Si la ville médiévale a tendance à se pétrifier sur le temps long, cela n’est pas uniquement du fait de l’augmentation de l’utilisation des matériaux durs dans le mode de construction des bâtiments, mais également du fait du pavage progressif des rues. Celui-ci bouleverse les dynamiques pédologiques et écologiques de la ville, car en diminuant drastiquement voire en interrompant les interactions chimiques au niveau des sols, il participe à la mise en place d’un écosystème proprement urbain. Toutefois, ce n’est pas là le seul domaine où le pavage des rues contribue à faire de la ville ce qu’elle est en train de devenir alors à la fin de l’époque médiévale. Nous nous proposons dans cette communication d’interroger les spécificités et le sens particulier de cette pétrification, en nous appuyant sur l’exemple de Paris.
Etant donné que, pour des raisons pratiques, le pavage des rues se fait dans l’écrasante majorité des cas à l’aide de pavés de pierre, étudier la pétrification des chaussées des rues de la ville revient en fait à comprendre le phénomène du pavage de celles-ci.
L’étude des dépenses de pavage réalisées par le domaine de la Ville de Paris au cours du XVe siècle nous permettra tout d’abord d’envisager une quantification de cette pratique, ainsi que d’en pointer un des moteurs qu’est l’évolution des rentrées fiscales. Ce qui nous amènera à conclure au lien existant entre conjoncture économique et pétrification des rues. Dans un second temps, un examen des récits de l’épisode à l’issue duquel Philippe-Auguste a ordonné le pavage des rues de la ville, qui ont été produits dès la fin du XIIe siècle, nous amènera à montrer que le pavage des rues est investi dès le début d’une dimension symbolique forte. En effet, parce qu’il requiert des moyens et, peut-être surtout, de la coordination entre les autorités et les différents corps de métiers sur toute la distance de la rue -transcendant ainsi les propriétés du sol – il devient le signe de l’existence d’une autorité forte et respectée. Il permet en outre de rapprocher la ville d’alors de l’idée que l’on se faisait de celles de l’époque antique. Enfin, nous montrerons que le besoin impératif de faciliter les mouvements des hommes et des véhicules qui est exprimé en tête de l’ensemble des règlements de pavage produits dès le XIIIe siècle, peut être analysé comme la marque de l’émergence d’un intérêt pour la lutte contre l’encombrement des rues et la facilitation des circulations commerciales.
Nous montrerons ainsi que ce n’est peut-être pas tant la dynamique de la ville qui aboutit à la pétrification des rues que l’émergence d’une certaine idée de ce à quoi elle doit servir et de ce que doit être le pouvoir qui la gère.