Interview de monsieur DE MONTGOLFIER

Nous avons rencontré monsieur DE MONTGOLFIER, propriétaire de la tonnellerie du Sud-Ouest à Brens le 6 décembre 2016. Il a accepté de répondre à nos questions sur sa tonnellerie et le métier de tonnelier et de nous faire visiter son entreprise.

 

Comment se transmet le métier de tonnelier ?

Dans la tonnellerie, il y a en France 3 écoles, à Blanquefort, Dijon et Cognac. Les gens viennent, ils sont en apprentissage et en alternance. Par exemple il travaillent deux semaines ici et vont une semaine en cours là bas donc il y a un cap de tonnelier. Dans des coins comme ici, c’est compliqué parce qu’on est loin des écoles. Mais tous ceux qui passent en alternance ressortent avec le diplôme. Ça branche pas beaucoup de monde car c’est un travail très physique même si aujourd’hui on arrive à alléger tout le travail pour porter les barriques (entre 50 et 70 kilos) et les choses comme ça mais on a toujours un marteau à la main et vous verrez, le marteau il pèse un kilo et demi.

Avant ça se transmettait de père en fils aujourd’hui je ne crois pas. Dans mes employés, il n’y en a pas un qui était de profession de tonnelier avant. Celui qui s’occupe de la chauffe était pâtissier, mais c’est important parce qu’il y a un développement des arômes. La tonnellerie a 130 ans.

Ceux qui font des formations ne finissent donc pas tous tonneliers ?

Je pense qu’entre les 3 écoles, il y a au moins 20 tonneliers qui sortent et ils sont tous pris. On en a besoin, si je n’ai plus de tonnelier, moi je mets la clef sous la porte. La formation est très importante.

Y a-t-il beaucoup de reconversion ?

Il y a des personnes comme notre responsable de production, qui s’est passionné pour ce métier et a donc quitté son précédent emploi. Il faut être passionné parce que c’est physique, il fait chaud l’été, froid l’hiver. Quand on prend des intérimaires, je peux vous dire que sur 10, il y en a 9 et demi qui ne reviennent pas.

Qu’est-ce que vous pensez de la fédération des tonneliers de France ?

Je ne peux pas en penser du mal car je suis administrateur et trésorier de la fédération des tonneliers de France. On s’est regroupé, c’est comme un syndicat où il y a un conseil d’administration. On n’est pas beaucoup parce qu’il y en a déjà 11 au conseil d’administration c’est à dire qu’il y a à peu près un quart de tonneliers indépendants.

C’est un conseil d’administration assez représentatif dans lequel tous le monde est représenté puisqu’il y a les plus grosses tonnelleries, les plus petites et les moyennes qui en font partie. C’est un syndicat qui permet de faire connaître le métier de tonnelier et qui permet ensuite de travailler sur des problèmes importants comme le TCA (Trichloroanisol, c’est un champignon microscopique qui peut contaminer les bouchons en liège, et par la suite transmettre un goût de bouchon, goût de moisi au vin),. On a essayé d’harmoniser un petit peu certaines choses de la tonnellerie. On a eu affaire aux alternatives c’est à dire quand les corporations sont sorties, il a fallu qu’on mette une séparation entre les groupe : un faisant de l’aromatisation et l’autre de l’élevage. À l’intérieur il y a une commission de communication, un syndicat de mérandier (l’approvisionnement) et une commission technique. C’est un syndicat qui est très actif, on y donne de notre temps car on sait que c’est très important. Les gros ont besoin des petits et les petits ont besoins des gros. Quand il a fallu aussi régler le problème important avec le DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) où quelques tonnelleries pas très scrupuleuses qui faisaient venir du bois des pays de l’Est et cela a commencé à tirailler avec l’État. On a mis en place une charte sur les massifs forestiers et c’est devenu une référence pour les DGCCRF et aujourd’hui le problème est clos. Cette fédération est donc importante et ma femme en est l’attachée de presse.

Dans les tonneaux, on utilise principalement le chêne et l’acacia, n’y a-t-il pas d’autres bois ?

Oui essentiellement. Avant il y avait un peu le châtaignier, cela se fait moins car c’est un bois qui est extrêmement tannique. Cela met des tanins dedans et le tanin ce n’est pas ce qu’il y a de plus agréable dans le vin, vous savez quand vous avez un vin et que vous le mâchez un peu, il est un peu gras. C’est fait avec des chênes, car on ne fait plus de barrique avec du châtaignier mais cela était un peu comme cela. Ce n’est pas terrible. 

Quelles sont les étapes du séchage ? Il n’y a pas d’entreprises spécialisées dans le séchage par exemple ?

Des personnes travaillent autrement, il y en a qui arrosent de manière intensive et qui après sèchent pour passer cette période de 8 mois. Quand vous arrosez de manière intensive, vous avez le parterre qui devient tout noir et les tanins qui s’en vont. Donc vous avez tous les tanins qui s’en vont. Cela donne des barriques qui sont beaucoup plus neutres. Alors, sur certains vins comme les vins d’Amérique du Sud qui ne sont pas très charpentés c’est une autre manière de travailler. Mais 80 à 90 % des tonnelleries aujourd’hui travaillent avec ce système là. Les merrains sont mis dans un stabilisateur, à l’intérieur duquel il y a un hydromètre. Les bois passent de 25 % d’hydrométrie à 17 ou 18 %, ce qui est exactement l’hydrométrie qu’il faut pour fabriquer des tonneaux.

Pourquoi fait-on la chauffe seulement le matin ?

On ne s’en sert que le matin pour deux raisons. Il y a le travail dans le cycle de travail, un tonnelier commence sa journée par la chauffe ; c’est à dire que la veille il a monté ses barriques. L’été, il fait moins chaud le matin. L’hiver ça réchauffe un peu l’ambiance et ça permet de continuer le cycle des barriques; c’est à dire qu’elles sortent de la chauffe, elles vont se reposer pendant que le tonnelier travaille les barriques de la veille parce qu’il faut que le bois ait le temps de se détendre. On ne travaille jamais une barrique quand elle est chaude. On la laisse se reposer, on regarde que tout soit bien et puis le lendemain matin le tonnelier va l’attaquer. Une barrique, quand elle arrive le soir elle est emballée. C’est pour ça que la chauffe est toujours décalée. Et puis la chauffe c’est ce qui donne le ton de la journée de boulot parce que quand normalement vous chauffez quinze barriques parce que vous avez votre usine qui est réglée, si vous en chauffez dix, le lendemain les mecs, ils n’ont que dix barriques à bosser. Dans une tonnellerie, vous avez deux parties : une à droite, qui est la partie usinage, n’importe quel crétin est capable de le faire, il suffit d’appuyer sur un bouton tout est programmé. Moi, j’achète des barriques qui sont préparées, elles ne sont pas chauffées mais usinées parce qu’on a pas le temps de faire ça. Ça change rien au travail de la tonnellerie.

Pour quelles raisons y a-t-il autant de chauffes ?

Parce que plus vous chauffez plus vous dégradez la lignine[1], plus vous dégradez la lignine plus vous la transformez en saccharide c’est à dire du sucre. Moins vous chauffez une barrique, plus vous lui amenez ce coté tanin, c’est ce qu’on fait dans l’acacia. Dans l’acacia on ne fait jamais plus que la chauffe légère. Les gens ne veulent pas le goût grillé dans le vin. Plus la chauffe est longue, plus il y a de rondeur. Par exemple pour des cépages comme le cabernet sauvignon, dès que vous le ramassez vert, il devient amer donc on lui amène de la rondeur. Et après vous avez les chauffes très fortes qu’on fait pour les alcools. L’alcool est souvent chauffé très fort parce qu’ils ont besoin d’amener un peu de sucre ajouté pour diminuer cette sensation d’alcool extrêmement fort.

Est ce qu’il y a des protections lors de la chauffe pour les tonneliers ?

Oui il y a du bruit donc ils ont des oreilles moulées et on essaye d’en mettre partout. Quand vous employez quelqu’un ce n’est pas pour qu’il parte à l’hôpital ou qu’il se tue. On essaye quand même de préserver les ouvriers. Effectivement on a très rarement d’accident du travail. Même si c’est un endroit où il y a pleins de machines qui coupent cela arrive très peu. Je crois que l’an dernier on n’en a pas eu. On essaye à la fois de trouver des conditions les moins pénibles et en même temps on essaye aussi de prendre le moins de risques possible.

Est-ce une seule est même personne qui fabrique entièrement le tonneau ?

C’est un poste. Les barriques passent de poste en poste et vous avez souvent une personne qui est là. Nicolas fait effectivement tout ce qui est ponçage et les finitions c’est un autre qui le fait. Il y a des tonnelleries qui font ça, vous avez des tonnelleries bon elles sont plus petites où un mec commence sa barrique et il l’a finit mais nous on fait pas ça.

En moyenne quelle est la production quotidienne ?

On produit entre 15 et 17 barriques par jour.

Vous mettez donc deux jours pour fabriquer une barrique ?

On part du principe qu’on fabrique 4 barriques par jour et par homme. En bas ils sont 4 donc c’est autour de 15 ou 16 barriques quand on fait tout le chêne.

Comment identifie-t-on un tonneau ?

Le tonneau est marqué par le logo de la boite qui le fabrique, celui-ci est tracé par un laser. Avant cela, c’était fait par une marque à feu. Le laser, c’est un temps masqué, on peut faire autre chose pendant que cela s’effectue, alors qu’avec la marque à feu il fallait qu’elle soit bien chauffée, ce n’était pas toujours bien fait. Une marque à feu coûte cher, tous les châteaux sont différents. Aujourd’hui, on numérise la structure, le logo. Sur une barrique, il y a le logo, le bois, le type de chauffe effectuée, l’origine et l’année de fabrication.

Combien de temps peut-on se servir d’un tonneau ?

Une barrique qui amène quelque chose cela dure entre 3 et 4 ans. En tant que contenant, on peut s’en servir tant qu’elle ne fuit pas. Mais cela n’amène plus rien, le bois n’amène plus rien. La relation entre le vin et l’air à travers le bois n’existe que par la barrique.

Les tonneaux en acier produisent- ils un vin de moins bonne qualité ?

Ce n’est pas de moins bonne qualité, dans les vins il y a des gammes. Pour les vins de supermarché à 4€ la mise en barrique n’est pas faite car la mise en barrique seule coûte déjà 3€ le litre. A partir d’un vin de 10 €, on dit que l’on peut le mettre en barrique. En dessous d’un vin à 10€, cela coûte trop cher. Cependant, certains le font pour faire une cuvée spéciale ou prestigieuse. Il y a des vins qui ont une structure très légère, comme le beaujolais mais il ne faut pas le mettre en barrique. Déjà ce n’est pas cher, mais en plus si on met le vin en barrique cela tue le vin, il va être tannique, exactement ce que l’on ne veut pas.

Beaucoup de pays élèvent-ils le vin dans des tonneaux ?

Tous les pays qui font du vin, ont une partie en tonneaux.

Qu’est ce qui fait la variation des prix des tonneaux ?

Déjà, il y a la taille, en effet les barriques de petites tailles coûtent 650€ et celles de grandes tailles coûtent 1500€.

Ensuite cela dépend du bois. Si vous voulez, en France les forêts sont divisées en deux : celles qui poussent en futaie et en taillis sous futaie. Dans la futaie, tous les petits chênes poussent en même temps, c’est à dire qu’un jour, vous allez dans une forêt, vous coupez tous les petits taillis, il ne reste que les grands arbres. Les glands tombent et l’ensemencement se fait à partir des sujets qui sont là. Dans un futaie, tous les sujets montent en même temps ; donc ça veut dire qu’il sont serrés les uns comme les autres donc les accroissements sont très faibles. C’est une sylviculture qui vaut très cher. Ça fait du bois avec des grains fins et dans la tonnellerie c’est ce qu’il y a de mieux. Si vous achetez des grains fins et qu’en plus vous le prenez de forêts prestigieuses comme Fontainebleau, vous vous retrouvez tout de suite avec des bois qui sont beaucoup plus chers. Quand vous travaillez des bois de moins bonne qualité, on rentre dans la deuxième sylviculture qu’on appelle le taillis sous futaie. Là, vous avez un taillis et au milieu du taillis vous avez un chêne et vous accompagnez la croissance de ce chêne avec un taillis de charme ou des acacias.

La France est le leader mondial des barriques en acacia, pour le vin blanc. A Gaillac, c’est une tradition. Lorsque j’ai racheté la tonnellerie, on m’a demandé si j’allais faire des barriques en acacia. J’ai accepté et j’ai gardé ce leader ship en m’accrochant. J’adore les barriques en acacia car cela fait quelque chose de très élégant, de très féminin. C’est un peu moins cher car le bois est moins cher que le chêne.

Les tonneaux sont-ils expédiés directement à la fin de la fabrication ou sont-ils entreposés ?

Il y a très peu de stockage, nous avons seulement un atelier de stockage avec un hygromètre, cela permet de maintenir une hygrométrie, parce que le pire de tout pour une barrique c’est le sec et le vent. En général on fabrique et on expédie. En France, ils sont expédiés en camion. Pour les exportations en Chine et à l’étranger on les met dans des cartons, puis dans un conteneur. Nous sommes les seuls à faire cela, puis c’est plus commode à charger.

Et combien de tonneaux rentrez-vous dans un conteneur ?

On peut rentrer 132 barriques bordelaises (220 litres) et 150 barriques bourguignonnes. Celles de 500 litres, il en rentre la moitié donc 66. Souvent, cela coûte moins cher d’envoyer un conteneur complet en Chine que d’envoyer 30 barriques à Bordeaux. C’est les lois du marché. Je suis très attentif à la traçabilité donc quand une palette rentre ici, elle a un papier blanc qui est en fait un numéro de palette avec sa provenance. Ce numéro de palette va être utilisé tout au long de la fabrication de la barrique pour qu’à la fin on mette un code barre sur celle-ci. Je suis n’importe où dans le monde, je scanne le code barre avec mon téléphone portable et j’ai tout l’historique de la barrique c’est à dire, la palette qui a été utilisée donc sa provenance, le temps de séchage, le tonnelier qui l’a faite et la température.

Il n’y a pas de protections dans les conteneurs ?

Non, c’est pour cela qu’on les met en carton parce que lorsqu’ils vont au Chili ou aux États -Unis, cela passe par Panama et parfois il y a trop de bateaux donc ils sont stoppés, et lorsque l’on est en plein été et qu’il fait 45 °C à Bogota ils sont au soleil. Les cartons les protègent et empêchent l’humidité de partir. Si les barriques sont séchées en arrivant on leur remet de l’eau ou un coup de vapeur pour que le bois regonfle. Mais certains ne le font pas, résultat cela fuit. Et cela n’est pas une bonne image marketing. Et en plus dans les conteneurs qui ne sont pas alimentaires, il y a un risque de TCA qui donne ce coté vieux à un vin. C’est grave, car vous vous faites fermer la porte de tout un pays.

Quel est le pays où vous exportez le plus ?

Aujourd’hui les trois pays où j’exporte et vends le plus ce sont les Etats-Unis, la Chine et la France. Ce sont les 3 plus gros marchés, la Chine est un marché que je connais bien puisque j’ai une entreprise à Hong Kong depuis 30 ans et j’ai été dans les premiers en Chine. C’est un marché qui grossira mais qui ne dépassera pas le marché américain.

Comment avez-vous eu l’idée de reprendre l’entreprise ?

J’ai toujours été passionné par le vin et par le bois donc c’était la meilleure possibilité. J’avais avant un groupe que j’ai revendu et j’ai gardé de celui-ci la tonnellerie et une société de training. Le training, j’en ai toujours fait mais la tonnellerie c’était vraiment lorsque j’avais ce groupe que j’avais dit que si je trouve une tonnellerie à acheter qui est à ma taille je l’achète et c’est ce que j’ai fait.

Est-il réalisable d’ouvrir sa propre tonnellerie ?

Il faut faire appel à une société de gage qui travaille avec les banques. Ici, par exemple, la moitié du stock est totalement financée, l’autre moitié on l’a fait financer, autrement c’est impossible. On doit injecter des sommes d’argent monstrueuses. Donc cela c’est un gros handicap pour les gens qui voudraient s’installer en tonnellerie. On part du principe que dans une tonnellerie, un homme seul peut fabriquer 500 barriques dans l’année mais il faut aussi qu’il les vende. Pour fabriquer entre 400 et 500 barriques il faut 24m3 de merrain, cela coûte 160 000€. Avec une palette de merrains, on fabrique entre 10 et 15 tonneaux. Il faut aussi financer les machines.

Et vous n’avez pas envie d’acheter d’autres tonnelleries ?

Non parce que j’ai déjà pas mal de boulot je voyage 8 mois de l’année. À Hong Kong ce n’est pas une mais trois sociétés qui existent. Ici, il y a aussi celle des merrains qui est à coté, j’ai un vignoble de Chablis. Aujourd’hui j’ai vendu mon groupe j’avais déjà 52 ans et j’ai refait l’usine parce qu’ici on était dans de vieux ateliers jusqu’en 2014. Donc j’ai refait une usine complète. Aujourd’hui, j’ai 60 ans et j’ai pas mal donné donc je vais aller jusqu’au bout et puis un jour je la revendrai.

[1] Composant principal du bois, permettant son étanchéité à l’eau.