Les fondements de l’ordre du Temple remontent au premier quart du XII° siècle. À l’aube de la première croisade (1096-1099), la papauté cherche à maintenir et étendre son pouvoir temporel dans les États pontificaux et sur toute la chrétienté, en théorisant pour la première fois un concept de « guerre sainte » en Occident.
Les origines
Le chevalier champenois Hugues de Payns (1070-1136), fondateur et premier grand maître de l’ordre du Temple, décide de s’installer définitivement dans la ville sainte de Jérusalem, récemment prise par les croisés en 1099. Puis entre au service du chapitre des chanoines du Saint-Sépulcre, un haut lieu du pèlerinage chrétien. À l’aide de 9 chevaliers francs, organise la milice des « pauvres chevaliers du Christ et du temple de Salomon » à l’issue du concile de Naplouse de 1120 en Palestine. La mission de cette militia Christi est de protéger les chrétiens venus d’Occident des brigands sur les routes du pèlerinage et par extension, protéger le Royaume de Jérusalem des incursions musulmanes. Les premières années d’existence de la milice consistent principalement en des opérations militaires à caractère défensif.
En 1139, l’ordre des templiers est officiellement reconnu comme ordre monastique par l’Église romaine avec la bulle pontificale Omne Datum Optimum publiée par le pape Innocent II. Elle octroie aux templiers l’essentiel des privilèges dont ils jouiront, en particulier le droit de construire leurs propres églises et une certaine autonomie vis à vis des souverains laïcs, car en effet ils ne rendent compte de leurs actes qu’auprès du pape.
Adhérer à l’ordre du temple
Tout homme de condition nobiliaire ou modeste qui souhaite volontairement intégrer l’ordre doit faire vœux de chasteté, d’obéissance, et de pauvreté relatif à la règle de vie monastique de saint Benoît. En outre, le candidat doit être un homme libre (et non un serf), âgé de plus de 18 ans, ne doit pas être fiancé ni appartenir à un autre ordre, ni être endetté afin de s’assurer de son total dévouement. Il doit également être en parfait état physique et mental et ne pas avoir été frappé d’excommunication par l’Église afin de pouvoir mener à bien les missions militaires et religieuses qui lui seront confiées.
Le frère reçoit ensuite la panoplie complète du templier. Les chevaliers issus de la noblesse reçoivent un manteau blanc, couleur symbolisant la chasteté. Les sergents issus de milieux modestes quant à eux reçoivent un manteau plus sombre, noir ou brun, couleur de l’humilité. Les templiers disposent d’un arsenal assez varié : une cotte de maille, un écu (bouclier), un heaume ou casque pour se protéger; d’une épée à double tranchant, une masse, une lance pour la cavalerie, de couteaux pour les offensives, mais également un ou plusieurs destriers selon le rang social, élément indissociable de la chevalerie, la cavalerie étant à l’époque la principale puissance militaire en Occident. Dès 1147, on leur attribue un emblème, la célèbre croix rouge, couleur du sang versé par le Christ, qu’ils cousaient sur leurs habits.
Le monachisme au sein de l’ordre
Le monachisme en Occident est le mode de vie, de spiritualité, de conduite des membres du clergé régulier. Ces derniers vivent généralement reclus dans un monastère ou une abbaye, à l’écart du monde extérieur et mènent une existence dédiée à la foi chrétienne. Ils ont un mode de vie plutôt austère, organisé selon la règle monastique de l’ordre auxquels ils appartiennent. Ils sont généralement habillés pauvrement (robe de bure) et pratiquent des travaux manuels, artisanaux ou agricoles, nécessaires à leur subsistance.
Les templiers vivent sous la règle monastique de Saint Benoit qui fera l’objet de nombreux emprunts et constituera la base des règles de vie monastique des divers autres ordres réguliers occidentaux qui émergeront ultérieurement, comme l’ordre de Cîteaux.
Le moine cistercien Bernard de Clairvaux, l’un des clercs les plus influent de son temps, est nommé abbé en 1115 à Clairvaux, par le maître de l’ordre Etienne Harding. Il participe à cet élan réformateur. Pourtant destiné à une vie en autarcie, il devient peu à peu un acteur essentiel de l’Église latine dans les affaires internationales. Dès 1129, il affichait déjà un soutien bien que relatif, à l’initiative de Hugues de Payns et de son ordre militaire.
Les premières années d’existence de l’ordre du Temple sont assez précaires, il apparaît nécessaire de définir clairement les prérogatives d’une organisation qui cumule à la fois des prérogatives monastiques et militaires. Fort du soutien du roi et du patriarche de Jérusalem, ils parviennent à obtenir une tribune au sein de l’Église Romaine auprès du pape Honorius II lors du concile de Troyes de 1129, date officielle de la création de l’ordre du Temple.
L’abbé Bernard de Clairvaux rédige à cette occasion une règle spécifique à ce nouvel ordre du Temple, pas moins de 73 clauses qui régissent la vie des templiers, sur les bases de la règle de saint Benoît et de saint Augustin. Grâce aux écrits de saint Bernard, les templiers parviennent à concilier une existence de moine et de guerrier sans déroger au dogme chrétien.
En effet, les jeûnes étaient moins sévères que ceux des moines bénédictins, afin de pouvoir livrer bataille.
Saint Bernard légitime le recours au meurtre et à la guerre si ceux-ci s’avèrent être « justes », la guerre est justifiée dans le cadre de la défense de la foi chrétienne.
L’organisation de l’ordre
La vie des templiers reflète bien la dualité de leurs statuts, leur quotidien oscille entre les prières, le travail (commerce, la récolte de l’impôt, la gestion de leurs biens fonciers) et l’entraînement au combat, l’accueil et la protection des pèlerins, les interventions militaires et diplomatiques dans les conflits liés aux Croisades.
L’ordre des templiers est socialement hiérarchisé. Parmi les hauts dignitaires, on retrouve principalement au sommet le grand maître de l’Ordre. Il est élu par 13 frères jurés à la tête de la maison mère de l’ordre du Temple. Il gère de manière relative les commanderies d’Occident et les biens fonciers qui y sont rattachés et il prend les décisions militaires et politiques de premier plan en Orient, ainsi que la gestion du trésor. Il réside à Jérusalem, qui est le siège central de l’ordre jusqu’à la chute de la ville en 1189 provoquée par les armées de Saladin. Le siège sera ensuite déplacé à Acre, toujours situé dans le royaume de Jérusalem. Mais lorsque les chrétiens vont perdre le contrôle du territoire durant la seconde moitié du XIII° siècle, le siège sera alors transféré à Chypre. Jamais le siège de l’ordre ne fut en Occident. Au total, il y aura eu 23 grands maîtres, dont le dernier est un personnage emblématique, Jacques de Molay.
On retrouve sous le grand maître le sénéchal, deuxième grande figure de l’ordre qui pouvait remplacer le grand maître lorsque ce dernier était indisposé à exercer ses fonctions ou en déplacement.
Parmi les dignitaires, il y a principalement les commandeurs des commanderies secondaires qui exercent leurs fonctions en Occident. Vient ensuite le corps armé et spirituel de l’ordre ; les frères chevaliers, les frères sergents et les frères chapelains.
Pour finir, les écuyers et autres membres de statut inférieurs affectés aux bases besognes, tels que les frères de métier ou les serfs.
À l’apogée de l’ordre en Occident au XIII° siècle, on recense environ 9000 commanderies réparties à travers l’Europe, dont 3000 commanderies en France environ.
L’ordre du temple : les banquiers de l’Europe
Les templiers ont très vite eu la réputation d’être de fins gestionnaires dans le domaine financier. Ils vivaient grâce aux dons variés qu’ils recevaient, en provenance tantôt des membres eux-mêmes lorsqu’ils rentraient dans l’ordre, ainsi que des dons parfois substantiels que leurs faisaient les seigneurs laïcs et ecclésiastiques.
Grâce aux richesses accumulées, ils mettent en place un système de crédit. Les templiers sont détenteurs d’énormes richesses, et finissent par devenir les banquiers des grandes fortunes d’Europe. Ils sont trésoriers royaux pour le compte du roi de France et d’Angleterre, prêtent de l’argent aux princes en difficulté et à l’Église, participent financièrement aux croisades.
Ils pratiquent également à grande échelle des activités commerciales et agricoles diverses et variées à travers les réseaux de commanderies situés en Europe, ce qui leur permettent de financer des dépenses militaires importantes en Orient.
Un contexte géo-politique ayant entraîné la création de l’ordre
De part leurs prérogatives, les templiers ont joué un rôle actif durant les Croisades (1096-1291).
Il serait réducteur de penser que les Croisades sont simplement imputables à une politique pontificale ambitieuse, à une manifestation exacerbée de la Foi chrétienne ou encore d’une entreprise occidentale militariste proto-coloniale en Orient.
Les royaumes occidentaux durant l’Antiquité tardive, à peine stables sur le plan structurel, entrent assez tôt en conflit avec la civilisation musulmane sur leurs frontières méridionales.
De son côté, l’Église romaine prolonge le rôle de l’Empire romain sur le plan administratif des territoires latinisés. La papauté se construit progressivement un territoire au centre de l’Italie. Elle légitime sa prétention à un pouvoir temporel, d’ordinaire dévolu aux princes laïcs, par l’acte de la donation de Constantin, le premier empereur byzantin converti au christianisme qui aurait remis la souveraineté de Rome entre les mains de l’évêque de la ville.
Ainsi, les États pontificaux seront placés sous l’autorité temporelle du pape dès le milieu du VIII° siècle. Le Saint-Siège désire affirmer sa primauté sur l’ensemble des autres sièges patriarcats d’Orient et se démarquer de la tutelle de l’Empire byzantin.
Durant les premiers siècles de son existence, la situation des États pontificaux est précaire, elle est concurrencée par les richesses engrangées par les activités commerciales de l’empire byzantin ainsi que la république marchande de Venise dans la péninsule italienne. Mais du côté du domaine spirituel, on note une part croissante des populations de mener une existence rythmée par la foi, le rôle social de l’Église au sein des royaumes et seigneuries croît.
Comme le souligne Claude Cahen, historien français spécialiste de l’Orient , les croisades sont en quelques sorte une réponse différée aux conquêtes arabo-musulmanes entamées au début du VII° par Muḥammad.
Les arabo-musulmans contrôlent peu à peu un empire vaste qui s’étend de l’Asie Centrale à l’Atlantique; de la Syrie, la Mésopotamie, l’Irak, l’Égypte, l’Iran, au VII°; le Maghreb et l’Espagne, Asie Centrale au VIII° et au IX° la Sicile et d’autres morceaux de terres méditerranéennes. Une expansion sans précédent, accompagnée de la diffusion de la langue arabe et de l’Islam dans les territoires conquis. Il est néanmoins important de préciser qu’en règle générale, il n’y a pas de conversions forcées, les population indigènes non musulmanes se voient assurer le respect de leurs cultes. De plus, l’expansion de l’Islam n’a pas empêché le commerce occidental au Levant, déjà effectif bien avant les Croisades : le commerce d’épices, de l’alun (minerai utilisé en teinturerie) situés sur des territoires non chrétiens et éloignés (industrie textile, indispensable en Flandre).
Tout comme l’Occident, le bloc oriental converti à l’Islam n’est pas uni, il y a des oppositions entre sunnites et chiites, deux branches distinctes de la religion coranique.
Les populations chrétiennes d’Orient étaient tout autant désunies que les communautés musulmanes, ont du faire face à de nombreux schismes au sein de l’Église. Les populations chrétiennes du croissant fertile (Irak, Mésopotamie, Syrie), Égypte, Asie Mineure ne dépendent pas de l’Église de Rome, mais relèvent en majorité de l’Église byzantine dont le patriarcat a rompu définitivement avec le pape en 1054.
Les populations chrétiennes du Proche Orient ignorent le rite latin et sont linguistiquement arabisés. Ils relèvent selon l’obédience du patriarcat d’Alexandrie, d’Antioche ou de Jérusalem et sont pour la plupart hostiles à l’Église byzantine et acceptent plus facilement la domination musulmane.
On constate en parallèle une évolution de l’Église en matière de guerre au milieu de l’ère médiévale, qui durant tout le Haut Moyen-Âge avait laissé le glaive au pouvoir temporel de l’Empereur laïc. Les luttes intestines entre les pouvoirs temporels conduisent l’Église romaine à considérer qu’il relevait de son autorité de décider des guerres, en corrélation avec l’idée d’un service armé effectué pour les seigneurs laïcs ou l’Église. Il y a un intérêt à dépasser le concept de guerre privée par celui de guerre au nom de la Foi.
Les pouvoirs pontificaux vont recourir à la promotion de la pratique de la guerre sainte contre l’Islam tout en essayant de se construire une clientèle de pouvoirs temporels dévoués à l’Église romaine. Elle promet aux participants d’obtenir le salut de leur âme. Quant aux Églises d’Orient, bien que chrétiennes, elles n’ont jamais suivi ce concept de guerre sainte. Byzance souhaitait instaurer une frontière de la Syrie du Nord à l’Arménie et non conquérir la ville sainte, afin consolider avant tout ses défenses dans une période d’affaiblissement.
La première croisade est particulièrement imputable au pape Urbain II (1042-1099). Fin diplomate, il parvient à réunir l’Église espagnole et encourage les expéditions françaises par delà les Pyrénées. Il cherche particulièrement à s’entourer géographiquement d’un réseau d’états vassaux du bassin méditerranéen. La papauté avait déjà joué un rôle dans la lutte contre les musulmans notamment en Espagne mais les incursions musulmanes étaient beaucoup moins belliqueuses au XI° siècle, les États musulmans en Espagne, Afrique du Nord, Sicile se désagrégeaient depuis lors.
La politique d’Urbain II a pour objectif de créer en Orient une base d’influence pour l’Église de Rome, on peut dès lors supposer qu’il y avait déjà en filigrane la volonté de créer des États latins sur les territoires du Proche Orient qui seraient des relais de l’autorité pontificale.
L’empereur byzantin Alexis Ier Comnène, à la fin du XI° siècle, est grandement menacé par les Turcomans qui n’arrive pas à repousser. Il subsiste un certain antagonisme entre le rite latin et grec, mais seule Constantinople affichait un réel schisme contrairement aux patriarcats d’Antioche et de Jérusalem. Byzance lance un appel à l’Occident, demande des renforts armés.
Pourtant dès 1092, on relève des crises internes chez les Turcomans, ils se neutralisent les uns les autres en Asie mineure notamment, ce qui accélère l’initiative de la papauté à un appel à la croisade.
Rome y voit une occasion de réunir les Églises et d’empêcher une alliance entre empire byzantin et allemand. Elle envoie une armée pour conquérir la terre sainte, il y a une substitution d’objectif pour motiver plus facilement les seigneurs fidèles au Christ, Jérusalem n’occupait pas une place significative dans le cœur des byzantins contrairement aux chrétiens Occident.
En 1095, Urbain II prend l’initiative qui conduira à la première croisade en prétextant des crimes faits aux pèlerins chrétiens par les musulmans. L’appel de Clermont de Urbain II ne trouva pas écho auprès des rois mais des seigneurs fidèles ou vassaux de l’Église tels que Godefroy de Bouillon (Flamand), Hugues de Vemrandois (frère du roi de France), Raymond de Saint-Gilles (Comte de Toulouse), Bohémond de Tarente (Normand), Robert de Flandre, accompagnés d’une masse de fidèle menée par le prédicateur Pierre l’Ermite, une troupe estimée à 12 000 hommes.
Le nombre de croisés envoyés en Orient dans le contexte du Moyen-Âge est plutôt conséquent : quelques centaines de chevaliers entourés de milliers de fidèles plus ou moins combattants. Les rangs sont composés majoritairement par les Francs.
Les Croisés atteignent Constantinople, dont les troupes ne participeront pas au conflit car trop éloigné de leurs objectifs, puis traversent l’Asie Mineure et arrivent en Syrie.
Le siège d’Antioche de 1097 en Syrie dure pas moins de sept mois, et une fois la ville tombée, les croisés se dirigent vers Jérusalem et prennent la ville en 1099.
Une fois la ville sainte aux mains des Croisés, on s’interroge sur le fait que le ville soit dirigée par un laïc ou par les États de l’Église de Rome. Mais rapidement la nécessité d’un pouvoir militaire fort sur place, dans l’incertitude permanente des invasions, s’impose.
Sur les territoires orientaux conquis, les chefs des armées de croisés fondent les États latins d’Orient sur la base d’un régime politique laïc et féodal.
Quatre principautés émergent, le comté d’Edesse (1098-1144), la principauté d’Antioche (1098-1268), le comté de Tripoli (1102-1288) ainsi que le prestigieux royaume de Jérusalem, qui n’a cependant pas une primauté d’autorité sur les autres. Ces états latins d’Orient ne présente pas d’unité politique, ce sont des entités féodales distinctes.
Le développement des voyages maritimes des villes italiennes à destination de la ville sainte améliorent les conditions de pèlerinage, la ville accueille progressivement un afflux massif de pèlerins occidentaux ainsi que de marchands et membres d’ordre religieux.
Cependant, les Croisés sont peu nombreux à rester pour consolider leurs positions durement acquises, et les routes de pèlerinages ne sont pas sécurisées. Le vœux de Croisade consistait à l’origine à reprendre la Terre Sainte aux musulmans et non pas de s’installer définitivement sur place. Les armées de l’Occident repose sur une cavalerie aristocratique nationale. Sur place, ils ne pouvaient compter sur les indigènes, traités tour à tour comme hérétiques car étrangers au rite romain, ainsi qu’à une population musulmane assujettie de force. Au lendemain de la première croisade (1096-1099), il ne reste que quelques milliers d’hommes sur place, le reste ayant péri ou étant retourné en Occident.
Cette insuffisance militaire qui faisait défaut au maintien des États latins d’Orient à induit à la création d’ordres militaires, dont l’ordre des Templiers à Jérusalem. Ainsi les seigneurs locaux ont donné à ces miliciens des réseaux de biens et de forteresses pour organiser la défense des frontières des royaumes et principautés. L’ordre s’installe à Antioche, Tripoli et progressivement dans les provinces occidentales.
Par la suite, les templiers participent de manière plus ou moins constante aux conflits, de la seconde croisade (1147-1149) jusqu’à la chute d’Acre en 1291, dernier bastion des croisés en Orient.
Contexte local
Au XI°s, le royaume de France s’articule autour d’un système féodal. Il est composé de 5 duchés : celui de Bretagne, de Normandie, de Gascogne, d’Aquitaine et de Bourgogne; de 4 comtés : de Flandre, du Vermandois, d’Anjou et de Toulouse; du marquisat de Gothie; sans oublier le domaine royal, les terres détenues en mains propres par le roi des Francs. Grâce aux campagnes militaires et alliances matrimoniales effectuées par les rois capétiens, le domaine royal ne cesse de croître tout au long du XII°s.
Durant cette période, le Larzac fait partie du Rouergue (actuellement l’Aveyron). Le Rouergue est érigé en comté au IX°s par Charles II le Chauve (petit-fils de Charlemagne, roi de Francie Occidentale). Ensuite, les comtes de Rouergue s’emparent de Toulouse en 852 et fonde la maison de Toulouse, la branche aînée conserve le comté de Toulouse, la branche cadette le comté de Rouergue.
Les comtes de Toulouse entrent en conflit avec les comtes de Barcelone, ces derniers parviennent au grès des successions patrimoniales et alliances locales à obtenir des possessions et des vassaux en Occitanie. Raimond Bérenger III (1086-1131), comte de Barcelone épouse la comtesse Douce de Gévaudan. Dans sa dot, elle amène avec elle, entre autre, le vicomté de Millau auquel est rattaché notamment les terres du Larzac. De leur union né Raimond-Bérenger IV de Barcelone (1113-1162) qui devient prince d’Aragon en épousant l’héritière de la maison d’Aragon au milieu du XII°. Le Rouergue est alors sous influence catalane jusqu’à la moitié du XIII°s, il serait finalement rattaché au domaine royal en 1271 par Philippe III « le Hardi ».
Le Larzac, quant à lui, est un vaste plateau de calcaire de moyenne montagne qui s’étend sur près de 100 000 hectares du sud de l’Aveyron (Millau) au nord de l’Hérault (Lodève). Il est le plus vaste et le plus méridional des causses du Massif Central. Ces terres présentent une diversité au niveau du sol et du climat mais restent en grande majorité isolées et arides. Lieu de passage depuis l’Antiquité romaine, le Larzac est néanmoins très peu peuplé mais demeure un lieu propice pour l’activité principale des Hommes depuis le néolithique, l’activité agraire et pastorale. On retrouve sur ces espaces des fermes construites en pierre du Causse, le seul matériau que l’on retrouve en abondance sur le plateau. Ces fermes dites caussenardes sont des exploitations agricoles dispersées sur le territoire, à proximité des points d’eau.
Si l’activité agricole et économique du Larzac est rudimentaire, l’arrivée des Templiers va conduire à une gestion efficace des ressources locales.
Les donations à l’origine de la puissance foncière des templiers dans le Larzac
Au Moyen-âge, les personnes qui font des dons à l’Église souhaitent en contrepartie obtenir le salut de leur âme.
- L’implantation des templiers dans le Larzac tient plus de la charité des puissances locales plutôt que d’une intention manifeste.
Le 11 décembre 1158, Raimond Béranger IV, comte de Barcelone et roi d’Aragon, donne à l’ordre du Temple une vaste étendue de terrains où se trouve déjà les hameaux de Ste Eulalie et de La Cavalerie, la ville de Ste Eulalie et la terre du Larzac situées dans le comté de Millau. Les templiers peuvent y étendre leurs possessions, construire des églises.
Le fils de Raymond Bérenger, Alphonse roi d’Aragon, accroît fortement la puissance de l’ordre du Temple dans la région par le biais de deux chartes datées de 1179. Dans la première, il annonce qu’il prend la maison de Ste Eulalie sous sa sauvegarde et dans la seconde il confirme la juridiction entière des templiers en matière civile et pénale sur toutes les villes du Larzac qu’ils possèdent.
Cependant, les donations les plus nombreuses proviennent de la noblesse laïque et ecclésiastique locale.
- 1159, tout le plateau du Larzac est donné à l’ordre ainsi que le droit de construire des forteresses .
- 1180, l’ordre obtient la juridiction civile et criminelle, le droit de basse et haute justice.
- 1184, la perception le droit de péage sur le Larzac.
- 1187, le droit de construire des fortifications dans les villes et en dehors est confirmé par le comte de Rodez.
Par la suite, Raymond abbé de Saint-Guilhem donne à l’ordre l’église de Ste Eulalie située dans le diocèse de Rodez, en échange d’une redevance, constituée généralement des produits de la culture céréalière et de l’élevage, mais également en argent, une rente qui sera rachetée par l’ordre en 1162.
En 1181, les seigneurs Richard de Montpaon et Bringuier de Molnar cèdent le territoire de la Couvertoirade aux templiers.
En 1187, le comte Hugues de Rodez octroie une charte de privilège qui confirme la seigneurie des templiers pour toutes leurs acquisitions sur leurs terres, leurs exemptions de droits de leude (droit de péage en Languedoc), de taille et queste (impôt levé par le comte). Il autorise la fortification de leurs places fortes. Idem pour Hugues, évêque de Rodez pour les acquisitions des templiers dans le cadre de son diocèse.
En plus des donation de terres, des droits et privilèges y sont rattachés. Il y a également des donations de soi, des personnes qui entrent au service de l’Ordre.
Le pouvoir qu’exerce les Templiers dans le Larzac suite aux donations et acquisitions assortis de droits et privilèges se matérialise sous deux formes au XIII°s.
La première est la seigneurie foncière, qui signifie que le seigneur possède des droits réels sur les terres de son domaine. La seigneurie est subdivisée en deux unités distinctes :
-la réserve, soit la terre qu’il fait cultiver pour son propre compte par des serviteurs, comprend également le foyer du seigneur et les dépendances directes.
-les tenures, soit les terres qu’il confie à des paysans tenanciers, contraints de payer des taxes, pas de mention de corvées pour les paysans dans les chartes de la commanderie de Ste Eulalie.
À l’époque, il semble anachronique de parler de droit de propriété sur un bien, on parle de possessions, de droits que l’on a sur un bien. Dans le cas présent, de manière général les templiers conservent l’alleu avec le cens soit le droit éminent sur la terre, le fief est conservé par le donateur d’un prés, pâturage, d’église, de village ou de mas. Le mas est à la fois une unité d’habitation, d’exploitation et d’imposition.
Les Templiers ne cultivent pas eux-mêmes leurs terres contrairement aux cisterciens, on suppose qu’elles étaient cultivées par des serfs de la commanderie ou par des salariés pouvant être des tenanciers. Selon George Duby, ces tenures fournissent » des pépinières de jeunes travailleurs » aux templiers pour exploiter leurs terres.
Enfin, la seigneurie banale se manifeste par le commandement des templiers sur la population locale. La ban est à l’origine le pouvoir de commandement du chef de guerre, le pouvoir de contraindre et de châtier. D’abord dévolu au roi, les seigneurs se sont appropriés le ban avec l’émergence du système féodal. La seigneurie banale est un moyen de pression et de domination par la possession d’un château et de rendre la justice notamment.
– 1159, tout le plateau du Larzac est donné à l’Ordre ainsi que le droit de construire des forteresses.
– 1180, l’ordre obtient la juridiction tant civile que criminelle et droit de basse et haute justice sur ses terres.
– 1184, droit de percevoir le droit de péage sur le Larzac.
– 1187, droit de construire des fortifications dans les villes et en dehors confirmé par le comte de Rodez.
Les Templiers reçoivent en moins de 30 ans les moyens de faire peser sur la population du Larzac leurs autorité.
Ils peuvent faire peser sur la population de nombreuses charges en plus du cens et de la taille ou la queste ;
– la perception du droit de péage sur l’ensemble permet de recevoir des bénéfices fructueux d’après les données qui concernent les recettes du péage au Pont Vieux à Millau, grâce à la charte de 1184 par le comte Sanche de Provence.
– Le droit d’albergue, un droit de gîte qui prévoit l’ hébergement des agents de l’autorité publique lorsqu’ils sont en déplacement. Par exemple, Raoul Fournel cède un mas à St Eulalie avec l’albergue pour deux chevaliers et un sergent à la moisson et à Noël, avec le couvert offert.
– Ils peuvent également construire de nombreux bâtiments comme des châteaux à St Eulalie, la Cavalerie ou la Couvertoirade. Le château est un moyen de faire régner la paix civile, mais c’est aussi un centre de commandement et de puissance que son possesseur exerce sur la communauté paysanne.
-Il exerce une activité juridique, un droit régalien qui donne le plus de pouvoir sur les hommes. Au vue de certaines sources, la justice est rude. Des documents font état d’une peine d’enterrement vivant à St Eulalie est rendu pour un cas d’homicide. Des peines d’amputations de membres sont également mentionnées.
Rendre la justice peut être également une activité rentable, ils infligent des amendes.
– Les banalités des fours et moulins est également très rentable. En 1187, le comte de Rodez confirme l’entièreté des privilèges acquis par les templiers, dont la possibilité de construire n’importe quel bâtiment militaire ou civil. On estime que c’est durant cette période que sont construits les deux moulins à eau à Ste Eulalie, alimentés en eau par la source du Cernon que les templiers ont réussi à exploiter. L’utilisation des moulins pour moudre le grain est rendue obligatoire par la commanderie pour la population locale de Ste Eulalie, du Viala-Pas-de-Jaux et de la Cavalerie.
La puissance des templiers s’étend sur l’ensemble du plateau du causse mais également au nord dans le Lévézou (près de la dépendance de la Clau), à l’ouest dans le Ségala, au sud dans le Bas Languedoc, à travers de nombreuses dépendances et biens fonciers. Néanmoins, c’est la commanderie de Ste Eulalie qui constitue le centre névralgique du pouvoir des templiers du Larzac.
La commanderie de Sainte-Eulalie : centre névralgique de l’ordre du temple dans le Larzac
Avant l’arrivée des templiers sur le plateau du Larzac, de nombreux grands et petits seigneurs se partagent cet espace isolé. La donation de 1158 par Raimond Bérenger IV à l’ordre du Temple qui vient modifier l’équilibre des puissances à l’échelle locale. Il donne au maître du Rouergue, Elie de Montbrun, le plateau du Larzac dont le petit village de Sainte-Eulalie de Cernon. C’est suite à cette donation que l’Ordre décide de s’installer définitivement sur ces terres, il fonde la commanderie de Ste Eulalie qui de 1152 à 1307 accumule les dons, des acquisitions de dépendances et privilèges pour devenir à terme la commanderie la plus riche dans le Sud de la France selon l’historien Antoine du Bourg. Elle s’inscrit dans un réseau européen de commanderies ayant pour objectif un recrutement au niveau local pour agrandir les effectifs de l’ordre ainsi que de générer des excédents pour envoyer en Orient des chevaux, des armes, de l’argent, des denrées alimentaires.
La commanderie est l’unité territoriale et administrative de base des possessions des ordres militaires et religieux en Occident, elle opère à une logistique humaine, financière, militaire et matérielle sur un territoire donné. C’est également la maison principale où résident les frères et le personnel de l’ordre. Les frères étaient logés dans la partie Est du bâtiment surnommé le “palais” subdivisé en un “palais haut” qui correspond au dortoir, et un “palais bas” qui correspond au réfectoire, le lieu où se tenait le chapitre des frères pour délibérer.
La commanderie de Ste Eulalie est avant tout une commanderie rurale. À droite de l’entrée principale de la commanderie protégée par un assommoir et un pont-levis situé sur le côté sud, on retrouve les écuries où logeaient les chevaux, les mulets, les bœufs ainsi que le personnel en charge des animaux. Au centre, il y a la basse cour avec divers ateliers liés à l’artisanat.
À l’angle nord-ouest, la tour de Quarante sert de grenier à grain, sa contenance est le fruit des impôts et taxes, le cens et autres redevances récoltés en nature qui témoignent de l’importance de la culture des céréales: le froment, l’avoine et le seigle principalement.
La bergerie où sont entreposés les brebis est située entre l’église et la tour de Quarante.
La commanderie de l’Ordre du Temple est fortement hiérarchisée et peut être considérée comme un reflet du système féodal dans la société médiévale. La commanderie de Ste Eulalie dépendait du maître de l’Ordre du Temple de Provence.
Le nombre et les statuts des membres de la commanderie de Ste Eulalie mentionnés dans les actes sont lacunaires, ils indiquent en principe les templiers qui exercent les fonctions de premier plan comme les commandeurs. Les textes sont plus précis durant la seconde moitié du XIII°s. Un document de 1267 fait mention d’un précepteur, de 13 frères dont un chapelain et deux milites/chevaliers.
On estime à une quinzaine de frères les effectifs de la commanderie de Ste Eulalie à la fin du XIII° s. On leur reconnaît principalement une activité d’administrateurs, de gestionnaires des biens de la communauté.
1) La commanderie de St Eulalie est gouvernée par un chef permanent qui y réside, le commandeur. Elie de Montbrun, le premier commandeur en Larzac au XII° portait le titre de maître en Rouergue, ce qui dénote la suprématie de la commanderie de Ste Eulalie dans la région. Le commandeur a une fonction de représentant de sa commanderie dans le contrat et procès qui engagent l’ordre. Les dons sont adressés en son nom, il instaure la discipline et la bonne gestion dans la commanderie. Comme dans toutes les commanderies, le maître ne prend pas les décisions seul, il doit réunir ses frères en chapitre pour prendre des décisions importantes.
2) Ensuite en dessous du commandeur, on retrouve les frères jurés, la plupart sont issus de la chevalerie locale ou des familles nobles qui font des dons à l’Ordre. Les seigneurs dotent leurs fils cadets avant d’entrer dans la commanderie de Ste Eulalie, pouvant apporter avec eux des sommes parfois conséquentes.
Ex : la famille d’Auriac dont Bérenger d’Auriac qui se donne au temple en 1178 et apporte de nombreux mas avec lui.
Les autres portent en général des patronymes familiers de la langue d’Oc, provenant de régions voisines. Par exemple, le nom de famille de Montbrun peut faire référence au château de Montbrun à Lodève. De plus, l’emploi de la langue d’Oc, celle du peuple, dans la rédaction des chartes prouve que les effectifs de l’ordre sont recrutés en général dans la région.
Les chapelains, les prêtres de l’ordre, assurent le service religieux. Les chevaliers et sergents assurent le service militaire, ils sont en général aux nombres de 2. En 1295, un acte mentionne 5 chevaliers vivant à la commanderie de Ste Eulalie, sureffectif probablement lié au repli des Templiers en Occident suite à la chute d’Acre.
Le reste est probablement composé de frères de métiers qui exercent des services ménagers, agricoles ou artisanaux.
3) Les donats sont ceux qui bénéficient des avantages matériels et spirituels du Temple (compensation) en se donnant volontairement à l’Ordre, pour des motifs principalement d’ordre spirituel. La donation de soi est accompagnée systématiquement d’un don en nature, conduisant en parallèle à l’appauvrissement de la petite noblesse locale au profit de l’ordre du Temple, ce qui tend à restreindre la pratique au XIII°s.
Ce sont des hommes ou femmes célibataires, et plus rarement des couples avec ou sans enfants ( ex : en 1281, Pierre Calatau et sa femme Alasaizia incorporent l’ordre en apportant avec eux la totalité de leurs biens), des « frères conjoints » accueillis sur une demande réciproque et qui vivent à l’écart de ceux qui ont fait vœux de chasteté.
Leurs statut des membres de l’Ordre sont variables, souvent leurs statuts dépendait de leurs situation sociale antérieure à l’entrée dans l’ordre.
Enfin, on suppose l’utilisation d’un personnel servile ou « salarié » entretenu par les frères du Temple pour les tâches agricoles dont les sources sont manquantes à leurs sujets.
Activités économiques, financières et litiges
Les animaux sont élevés par l’Homme pour leurs force de travail, essentiellement les bovins pour le labour dans les champs.
Les chevaux, les ânes pour le transport, les ovins pour leurs peaux, leurs toisons, leurs laits et avec les porcins la viande pour l’alimentation et le commerce. La production de lait ovin semble avoir la primauté et développée ensuite par l’industrie fromagère, bien qu’à l’époque ce n’était qu’une production locale, on atteste déjà l’utilisation des caves à fromage, ce qui explique la présence des produits laitiers dans les actes de redevances. Il est même probable que les templiers ont posséder des caves à Roquefort suite à des dons et achats. Le fromage constitue avec le pain, la base de l’alimentation de la population du Larzac de l’époque.
L’élevage est l’activité principale sur ces terres et particulièrement l’élevage de moutons, un animal peu coûteux qui s’adapte assez bien sur des sols arides.
La forêt était aussi un espace propice à l’élevage, fournissant des glands, herbes, fruits sauvages pour l’alimentation du bétail bovin et porcin.
L’eau est indispensable pour l’élevage comme pour la terre et les hommes. De nombreux textes des archives tenues par les templiers mentionnent les ressources en eau. Sur le plateau du Larzac l’eau globalement assez rare. Pour pallier à ce manque, on aménage des marres ou lavognes pour abreuver les animaux, sur des emplacements où le sol n’absorbe pas l’eau. On construit également des citernes, héritage du savoir romain, pour conserver l’eau de pluie.
Le bétail se nourrit sur les terres incultes des Causses et des landes du Lévézou/Ségala, les terres en jachères, de mars à novembre. Ils étaient sans doute parqués, comme le suppose une redevance de un mouton pour les tenanciers de la Couvertoirade qui possédaient un parc de moutons au milieu du XIIe. Le parcage, au delà de l’aspect sécuritaire autour du troupeau, permet d’engraisser le sol de jour comme de nuit.
Les bergers utilisaient des cabanes construites en matériaux de fortune, et dont la possession donne lieu à une redevance d’un fromage. C’est l’endroit où ces « cabaniers » travaillaient le lait et le fromage après la traite.
De nombreux troupeaux appartenant à différents propriétaires coexistent sur le Larzac; ceux des communautés religieuses, des seigneurs laïcs, des paysans et habitants des bourgs et villes. Le plateau est également une zone de transhumance depuis le Sud conduisant parfois à des rivalités et litiges concernant la répartition des terres.
Les templiers se sont installés dans le Larzac non loin de l’ancienne Via Domitia romaine et bénéficient des retombées du commerce méditerranéen, c’est un passage de marchands du Sud au Nord du royaume, particulièrement à Millau.
En outre, les templiers du Larzac ne peuvent subsister et prospérer en autarcie, ils sont contraints de commercer avec des acteurs économiques locaux ou plus éloignés.
Le nombre restreint de prés ne pouvait fournir une quantité suffisante en foin, conduisant les templiers à négocier avec les zones alentours comme l’Albigeois, le Bas Languedoc ou des seigneurs locaux, souvent vendu à prix d’or en raison de sa rareté, c’est pourquoi dès l’automne les templiers cherchent à se débarrasser du bétail soit en le vendant soit en le tuant, la viande de porc pouvait être conservé grâce à l’utilisation du sel.
Le sel est d’une importance primordiale pour la conservation de la viande, l’assaisonner des aliments, au salage des fromages. On suppose que les templiers se fournissaient en sel en provenance des salines du Languedoc dont l’existence est attestée depuis le IX° s.
Quant aux peaux et toisons, l’inventaire de la commanderie de 1308 indique le nombre de 120 peaux d’agneaux apprêtées et de deux cuves de tanneurs, ce qui suppose une exploitation artisanale et commerciale.
Concernant l’ activité bancaire, les dons et redevances perçues par l’Ordre permet de cumuler des disponibilités financières importantes, des somme improductives peuvent donc être utilisées à travers une activité bancaire, consentir des prêts qui présentent l’avantage d’investir un capital en vue d’une rémunération et d’accroître la puissance foncière de l’Ordre. La somme prêtée est souvent inférieure à la valeur réelle du bien, les templiers ne deviennent propriétaires du bien que s’il n’y a pas eu de remboursement, cela constitue un moyen de faire des acquisitions à des prix avantageux. Pour le préteur c’est un excellent placement car il perçoit les fruits du bien mis en gage. Le seul inconvénient est qu’il temporaire, et que s’il y a remboursement avant l’échéance il n’y a aucun profit.
Si les templiers exercent à grande échelle des activités bancaires diverses et variées, le rôle de banquier de la commanderie de Ste Eulalie ne s’exerce qu’à l’échelle locale, seules les opérations de prêt avec mort-gage figurent dans les actes des archives du Temple qui nous sont parvenus, environ 50 prêts, dont la commanderie est débitrice dans un seul cas. Pour garantir le remboursement du prêt, le débiteur transfère au créancier un bien immobilier dont ce dernier à la jouissance et perçoit les revenus qui constituent son intérêt.
Ces actes sont tous datés de 1240 à 1247. Le prêt avec mort gage disparaît peu à peu avec le renforcement de l’autorité publique au XIII° et XIV°s., on passe du gage avec dépossession à l’hypothèque.
La puissance économique des templiers, garantie par leurs privilèges, suscite des rivalités avec la noblesse locale.
Les archives du Temple nous révèlent de nombreuses disputes et conflits donnant suite à des procédures judiciaires sous forme d’arbitrage afin de régler les conflits qui opposent l’ordre et ses rivaux.
Les disputes avec les seigneurs laïcs concernent principalement l’utilisation des pâturages et les bénéfices engendrés par les droits qui relèvent de la seigneurie banale.
Les conflits majeurs se font avec le comte de Rodez et les seigneurs de Rocquefeuil, une famille de seigneurs qui compte parmi les puissantes de la région, possèdent plusieurs châteaux. En 1257, la commanderie dépose une plainte contre Arnaud de Roquefeuil pour vols avec violence de bêtes et de troupeaux entiers, des moutons, porcs et ovins sont embarqués par centaines. Le comte de Roquefeuille ira par la suite jusqu’à assiéger la Couvertoirade avec des troupes armées.
Mais l’opposition la plus la sérieuse vient des comtes de Rodez. En 1260, les templiers portent plainte devant le sénéchal de Rodez contre Henri le fils du comte de Rodez, affirmant qu’il a pénétrer par effraction dans la maison du Temple avec des hommes armés, coups et blessures sur le précepteur et frères de l’ordre, vol de denrées alimentaires et de bétail.
Quelques années plus tard, Henri devenu comte prétend que le commandeur Pierre de Campfait avait fait hommage à son père pour St Eulalie, la Cavalerie et la Couvertoirade ainsi que leurs dépendances, demande à ce que sa seigneurie soit reconnue par l’ordre. Le sénéchal du Rouergue arbitre le conflit et refuse au comte les droits qu’ils prétend avoir sur l’ordre.
On note également les litiges fréquents avec les communautés villageoises telles que la communauté d’habitants de Millau ou encore des ordres ecclésiastiques, notamment avec l’ordre de l’Hôpital installé à Saint-Félix de Sorgues.