Introduction
En 1910, Graulhet était une position géographique idéale pour le travail du cuir, avec la présence de tanneries dès le XVIIIe Siècle et l’explosion industrielle de la ville durant le Second Empire, notamment autour du Dadou.
I) Une chronologie de la grève
Dans les années 1880, cette puissance industrielle s’accompagne de création de chambres syndicales importantes dans la main d’œuvre graulhétoise. Inspirée par la grève de Mazamet de 1909, cette dernière impacte directement la production de cuir graulhétoise, puisqu’elle bloque la production de matière première pour la production ; elle renforce ainsi une précarité ouvrière déjà importante. C’est pour cette raison que, le 4 Décembre 1909, les femmes demandent 25 centimes d’augmentation à la Maison du peuple. Les ouvriers suivent et, par solidarité avec leurs collègues féminines, ordonnent la grève générale le 6.
Les premières violences datent de la fin du même mois, justifiant le départ des enfants pour des centres d’accueil. Malgré une importante pression, les tentatives de négociation de janvier, menées tambour battant par Jean Jaurès, n’aboutiront pas et le mois de février, notamment, voit l’exacerbation des tensions : on observe des poteaux sciés et des vitres brisées en février, et la réaction patronale, expliquant qu’elle se défendra elle-même si l’État n’est pas capable de le faire, fait empirer la situation. L’État, entre les deux parties, essaie d’éviter la casse mais est accusé de jouer un double jeu.
La lassitude face à la grève se fait cependant ressentir dans les deux camps, autant pour les ouvriers, sans revenu, que pour les patrons, sans aucun dividende. Totalement stoppée, la situation graulhétoise pousse des ouvriers à quitter la ville, tandis que d’autres créent un syndicat pour la reprise du travail, créant une fracture dans le mouvement. Il est difficile pour un ouvrier de trouver de quoi subvenir à ses besoins, puisque dès la mi-mars les boulangers ne donnent plus à crédit. Les femmes, qui ont initié la grève, la termineront en décidant de se remettre au travail, suivies par les hommes. Le travail reprend le 2 mai, le lendemain d’une fête du Travail célébrée dans la morosité.
II) Une guerre d’usure entre les différentes factions
La grève devenant une guerre d’usure, les patrons cherchent des moyens de faire plier l’opposition ouvrière. Ces moyens alternent entre les concessions (ne pas travailler un samedi après-midi durant 6 mois par an) et les coups de pression, comme inciter les commerçants à couper les crédits faits aux ouvriers. Parfois même, la police est sollicitée afin d’inciter les ouvriers à revenir au travail. Des stratégies « souterraines » sont aussi mises en place : Avec l’appui de syndicats « jaunes », c’est-à-dire favorables à la reprise du travail, des tracts distribués aux grévistes les enjoindront de retourner à l’usine.
Malgré les tentatives patronales, on peut observer qu’une véritable solidarité ouvrière se met en place. Les grévistes sont soutenus par de nombreux acteurs de la vie locale : c’est le cas des commerçants qui leur font des crédits afin de pouvoir se nourrir, permettant l’élaboration des soupes communistes. Ils sont également soutenus par des hommes politiques, tels que Vincent Auriol, Calvignac, ou encore Jean Jaurès, député du Tarn. Mais la présence de ces politiques a ses limites, puisque la présence de Jaurès n’a pas permis la réussite des négociations.
Le conflit s’éternisant, et pour éviter toute échauffourée, l’État décide donc d’envoyer l’armée. D’une part pour jouer le rôle d’arbitre entre les deux parties puis d’autre part pour encadrer et faire respecter l’ordre. En effet, comme aucune solution n’est trouvée entre les deux parties, l’armée est désignée comme arbitre afin qu’une solution soit trouvée. Mais l’État décide de l’envoyer dans le but que toutes les manifestations soient encadrées et escortées par des gendarmes à pied et à cheval. Les rassemblements devenant nombreux et « agressifs » les hussards qui étaient des militaires appartenant à la cavalerie légère, n’hésiteront pas à charger la foule afin de la disperser. Au final, près de 3000 soldats et gendarmes ont été mobilisés pendant le conflit.
III) Particularités et contributions au mouvement ouvrier
Au niveau national, cette grève ne constitue pas une particularité car elle s’inscrit dans mouvement de grève général et national. De plus les grèves dans le Midi-Pyrénées ne constitue qu’une infime partie de l’ampleur des grèves sur le plan national. Cette faible ampleur s’explique par une sous-industrialisation de la région, le faible développement syndical et la prédominance de l’artisanat industriel sur la grande industrie. En revanche, les durées des grèves de la région sont une particularité car elles sont beaucoup plus longues que la moyenne nationale.
Autre point, on constate qu’au niveau local, les entreprises industrielles sont très centralisées et les milieux les plus touchés sont ceux des mines, des usines textiles, et des fabricants de cuirs et peaux. Le département du Tarn est le département de la région le plus important du point de vue des grévistes avec 43,3 %, sachant que le deuxième est l’Aveyron avec seulement 21%. Il a la population la plus active de Midi-Pyrénées et 63% des grèves ayant qui ont eu lieu dans le Tarn sont de : Carmaux, Albi, Castres, Graulhet et Mazamet sachant que son secteur industriel de prépondérance absolue est celui des industries extractives.
On voit ainsi, d’après le tableau en lien ici, que la fréquence des grèves tend à augmenter pendant la période, et cela surtout après les années 1900. Même évolution pour l’intensité des grèves que pour l’extension et pour la fréquence. En replaçant les conflits dans le contexte du mouvement économique général et en comparant l’évolution des grèves dans le Tarn qui a une influence déterminante et de la région dans son ensemble, on voit que la grève de Graulhet fait partie d’un mouvement ascendant qui contribue à la naissance d’un mouvement ouvrier
Conclusion
Pour résumer, la spécificité de la grève de Graulhet tient à l’origine de revendications féminines pour l’essentiel, ainsi que par sa longueur exceptionnelle de près de cinq mois. Cette alternance entre violences et négociations a amené à l’intervention de l’État et d’acteurs locaux dont l’influence se répercute au-delà de la commune graulhétoise. Le fait d’attirer l’attention de personnes et d’institutions plus hautes a permis de faire du cas de la grève de Graulhet, une affaire sortant de son cadre local. Mais la présence de ces acteurs n’empêche pas un résultat mitigé dans le dénouement de cette grève , et l’envoi de l’armée par l’État marque la fin des hostilités se terminant sur un goût amer.
En effet, concernant les revendications, seule une infime partie de celles-ci sont acceptées (seules les femmes reçoivent une augmentation de 25 centimes par jour, les ouvriers n’obtiennent rien). Pour les patrons, ils ont certes réussi à faire revenir les ouvriers dans les usines , mais les conséquences financières sont lourdes (casse, manque à gagner, perte de clients). Malgré les caractéristiques spécifiques de cette grève, elle est significative du mouvement de l’époque avec la montée d’acteurs importants, représentants de ce mouvement ouvrier comme Jean Jaurès ou Vincent Auriol. Elle est insérée dans un mouvement national, et elle a, avec plusieurs autres, contribué à la naissance et l’apogée du mouvement ouvrier.
Ci-dessous une petite bibliographie ; Une bibliographie plus exhaustive est disponible ici
-
Bruguière E., 1909-1910 La Grande Grève des Ouvriers Moutonniers de Graulhet, Graulhet, Mémoire Sociale Graulhétoise, 2011.
Collectif, Histoire et images du pays graulhétois, Graulhet, Commission municipale d’histoire locale, 1975
- Faure M., Le Journal de Jeanne : une ouvrière pendant la Grande grève de Graulhet de 1910, Graulhet, Futurs Antérieurs, 2010.
-
Thèbe G., Les grèves dans la région Midi-Pyrénées : 1890-1913, Mémoire maîtrise Histoire contemporaine Toulouse 2, 1970
- Vergnes G., Graulhet, 1000 d’Histoire, Graulhet, Georges Vergnes, 1987.