Durant le VIIIe siècle, deux puissances s’affrontent pour la première fois : l’Islam et les Francs. L’ancienne province wisigothique nommée Narbonnaise ou Septimanie dirigée par Akhila II, passe sous domination musulmane avec la prise de Narbonne en 719 par l’émir Al-Samh. En 639, la Gaule des Francs, royaume voisin, est dirigée par la dynastie des Pipinnides qui prennent de plus en plus la réalité du pouvoir. Au début du VIIe siècle, les Francs de Charles Martel dominent tout le territoire sauf l’Aquitaine et la Septimanie. Nous pouvons alors nous demander si la présence musulmane en Septimanie joue un rôle clé dans l’expansion franque et, comment les chefs Francs parviennent -ils à unifier le sud-ouest de la Gaule ?
Des relations complexes
Une arrivée brutale
En 721, Al-Samh et ses hommes assiègent Toulouse. Avec l’appui du Pape, Eudes duc d’Aquitaine les repousse. Néanmoins, en 725, les musulmans, menés par le gouverneur Anbasa effectuent une deuxième vague d’incursions vers Carcassonne, Béziers et Nîmes. Ils seraient même remontés vers Lyon et Sens. Arbûnah et Karkashûna (Narbonne et Carcassonne), comme l’attestent les sources archéologiques, deviennent les bases musulmanes actives de leur nouvelle conquête.
Coopération locale
Les musulmans pratiquent la dhimma. Les chrétiens et les juifs ne résistent pas et coopèrent. Les chrétiens conservent leurs lois et sont simplement fédérés par le pouvoir musulman. Les pouvoirs religieux locaux restent aussi en place. Les juifs, persécutés par les wisigoths retrouvent des droits. La puissance voisine, l’Aquitaine, tient à un certain particularisme. Eudes d’Aquitaine résiste à la domination des Francs au nord. Il passe alors une alliance avec un musulman.
Jeu d’alliance dangereux
Vers 729, le duc aquitain donne en mariage sa fille, Lampégie, à un chef berbère Munuza, rebelle du pouvoir central cordouan. Cette entente stratégique prouve que la différence de religion n’empêche pas l’entente pour une cause commune. Cela provoque une expédition punitive menée par le gouvernement de Cordoue. En 732, Abd-er Rahman franchit Pampelune, tue Munuza, envoie Lampégie à Bagdad et dévaste l’Aquitaine. Eudes est défait par les musulmans à deux reprises. Enfin, apprenant que l’abbaye de Saint Martin de Tours renferme un somptueux trésor, il décide de se diriger vers le nord.
Campagnes militaires et stratégie politique
De Poitiers à Narbonne
Après le pillage de la basilique Saint-Hilaire par les musulmans au printemps 732, Charles Martel répond à l’appel d’Eudes. Il affronte les musulmans de Abd-er Rahman le 25 octobre 732 à Poitiers. Ce dernier est tué dans la bataille ce qui contraint les musulmans à se replier.
Ils n’arrêtent pas les raids pour autant. En 739, les musulmans, menés par Ocbar, lancent un raid en Provence. Ils massacrent les garnisons franques à Arles, à Avignon, à Saint-Paul-Trois-Châteaux, à Donzène et à Valence. Charles ne tarde pas à rappliquer. Il reprend Lyon et Avignon puis sépare son armée en deux : la première va reprendre Arles et Marseille et la seconde, menée par Charles, va assiéger Narbonne. Le wali d’Espagne va alors leur envoyer des renforts sous le commandement d’Omar ibn Chaled. Ils affrontent Charles à Berre mais celui-ci va les repousser et les massacrer. Narbonne ne peut plus espérer des renforts mais ne se rend pas. Ce qui va lasser Charles. Il prend comme prétexte une agitation saxonne pour repartir dans le nord.
Charles et la papauté
Après avoir vaincu les Saxons, Charles rentre en Austrasie où il reçoit la visite de Boniface, un apôtre du pape, envoyé par Luitprand, le roi des Lombards, pour l’avertir de l’anarchie qui règne en Provence. En effet, les Arabes ont encouragé les révoltes puis ont reconquis la Provence avec l’aide du comte Mauronte. Charles repart donc dans le sud en 739. Il reprend Avignon. Ce qui divise l’armée gallo-musulmane en deux. Après avoir repris Marseille, il domine la Provence. Ensuite, il reçoit des émissaires du pape Grégoire III qui lui demandent de l’aide contre Luitprand qui saccage les terres pontificales. En échange, il lui offre des objets sacrés, un titre de consul de Rome et lui propose de se placer sous son autorité. On ne connait pas la réponse de Charles mais on pense qu’il aurait refusé pour éviter une guerre contre l’Empire Byzantin ou pour rester ami avec Luitprand. Charles meurt le 15 octobre 741. Le pouvoir politique franc s’est donc largement imbriqué avec le pouvoir religieux.
Pépin le Bref : l’unification
Pépin le Bref, qui succède à Charles Martel, est sacré roi des Francs par le Pape en 754 en même temps que ses deux fils Charles et Carloman. Il semblerait que c’est l’attaque du duc Waifre en 751 sur Narbonne qui ait donné des raisons à Pépin, tout juste élu roi Franc, de partir à la conquête du dernier bastion musulman. Narbonne était un lieu stratégique permettant d’avoir un accès sur la Méditerranée, en sachant que les Aquitains avaient déjà un accès sur l’océan Atlantique. Au delà d’une lutte contre les musulmans, il faut donc voir la conquête de la Septimanie comme une lutte contre les Aquitains pour l’unité de la Gaule. Pépin avait en effet peur que les Aquitains prennent trop de pouvoir. Ils entament alors des pourparlers avec les Wisigoths. En 752, Pépin reprend le siège de Narbonne. Il charge le comte Goth Ansemond de prendre possession de Narbonne avec d’autres Goths. Le siège dure 7 ans car les musulmans sont soutenus par les populations locales. En 759, après des assauts quotidiens, ils expulsent les musulmans qui se réfugient en Al-Andalus. La prise de Narbonne, annonciatrice du déclin de l’émirat Omeyyade, marque la fin des volontés expansionnistes musulmanes en Gaule et permet l’unification du royaume Franc au sud.
Liens diplomatiques
Les Carolingiens et l’Islam : le début d’une diplomatie
Entre 759 et 768, il n’y a aucun affrontement entre les Musulmans et les Francs, occupés à combattre les Aquitains et finissent par tuer Waifre. Le monde musulman est marqué par des divisions. Ce qui permet aux Francs de mener une politique de diplomatie avec le Calife Abbasside Al Mansûr et un chef dissident Sulayman wali de Barcelone dans le but de lutter contre l’autorité d’Abd Al Rahman, premier gouverneur d’Al-Andalus. De plus, Pépin et Sulayman avaient l’Empire Byzantin comme ennemi commun. La mort de Pépin, le 24 septembre 768, ne permettra pas d’amener la diplomatie avec les Abbassides à sa finalité.
La sécurisation des frontières
En 777, Charlemagne reçoit la visite de Salayman ibn al-Arabi, le gouverneur de Saragosse, qui lui propose le nord de l’Espagne en échange d’un soutien dans sa rébellion contre l’émir de Cordoue. Charlemagne y voit un intérêt stratégique car cela lui permettrait de contrôler les routes commerciales avec l’Al-Andalus. En avril 778, il franchit les Pyrénées avec une grande armée, conquit les villes promises mais Saragosse lui résiste. En effet, Salayman a été remplacé par El-Harein, un fidèle de l’émir de Cordoue. Pendant son repli en Gaule, son arrière garde est massacrée à Roncevaux le 15 août 778 par les Basques. Une agitation se fait alors ressentir en Aquitaine. Charlemagne y remédie en plaçant son fils Louis sur le trône en 781. En 785, il repart en Espagne avec deux armées : celle de Septimanie qui prend Gérone, Urgell et Vich. Ce qui permet à l’autre armée, dirigée par Charlemagne, de conquérir les villes du Nord en toute sécurité. Charlemagne enchaîne les succès contre les Arabes grâce à Guillaume, comte de Toulouse et marquis de Septimanie, avec qui il va aller jusqu’à Barcelone. Mais entre temps, les Arabes vont reprendre Gérone et piller Narbonne. Ce qui contraint Guillaume à revenir en Septimanie où il va être battu à la bataille de l’Orbieux. Mais, affaiblis, les Arabes se replient et cela permet à la Septimanie de se restructurer. Les divisions musulmanes affaiblissent l’Al-Andalus. Les frontières sont alors sécurisées.
Bilan d’une stratégie diplomatique efficace
Guillaume convoque à Toulouse une assemblée au cours de laquelle il est décidé d’envoyer trois armées dans le but de conquérir Barcelone : une menée par Guillaume, comte de Toulouse, une par Rostaing, comte de Gérone, et l’autre par Louis d’Aquitaine. Ils contournent les Pyrénées orientales, rentrent en Espagne et récupèrent ainsi Gérone. Ils progressent ensuite vers le sud et prennent possession de Lérida. A l’automne 800, ils arrivent aux portes de Barcelone. Mais la stratégie de Zado, le gouverneur de Barcelone qui avait fait la promesse à Louis de se rendre, avait permis un gain de temps. Louis, confiant, était reparti sans prendre possession du territoire. Finalement, le 5 avril 801, Louis fait une entrée triomphale dans Barcelone. Après la prise de Barcelone, les Hispanis émigrent vers la Narbonnaise étant alors sécurisée. Zado, livré à Charlemagne, est condamné à l’exil.
Nous pouvons alors constater que l’opposition aux Arabes et la conquête de la Septimanie sous leur domination, constitue l’élément déclencheur de l’expansion franque. Cependant, si la conquête est une réussite, l’unification du pouvoir carolingien reste de courte durée. En 843, le traité de Verdun marque la division franque en trois royaumes, attribués aux petits fils de Charlemagne.
Par Fanny Taillandier, Morgan Garrau et Sylvain Imart