La Vallée Rouge, qu’est-ce-que c’est ? 

L’affaire dont il est question se recentre sur le département de l’Aveyron, qui, au sortir de la guerre, se trouve dans une situation très difficile.  En effet, 412 Aveyronnais ont péri au combat, 9401 soldats sont prisonniers. Les fermes et les récoltes qui ont été laissées à l’abandon entraînent de lourdes dettes pour la population.

C’est dans ce contexte déjà lourd que huit meurtres ont été commis dans la Vallée du Lot entre 1946 et 1953. Quatre affaires successives, d’une brutale sauvagerie, désolèrent la région d’Espalion, ville située dans le nord de l’Aveyron. Elles présentaient de telles similitudes qu’elles furent d’abord attribuées à un même criminel. Puis au cours des enquêtes, plusieurs suspects furent arrêtés. À l’issue d’aveux et de rétractations successives, certains d’entre eux finirent par être mis en examen. Mais en dépit de plusieurs jugements, le mystère ne fut jamais totalement éclairci. Cette affaire porte le nom de La Vallée Rouge.

Un contexte de crise

La France sort exsangue des années de guerre et d’occupation, bouleversée sur le plan moral et laminée sur le plan économique. Dans un premier temps, se développe dans une partie de la population, une volonté de punir les traîtres. Elle peut prendre des formes légales, avec enquêtes et jugements, ou des formes sauvages. L’Aveyron qui, comme tout le territoire a eu ses collabos et ses résistants, n’échappe pas au besoin “pulsionnel” de punir les traîtres, de se venger, sans pour autant passer par les tribunaux. 

Parallèlement, la situation économique reste désastreuse car la France a été pillée durant l’occupation allemande. Le plus gros problème de ravitaillement se situe surtout dans les villes. Bien que le système de rationnement se maintienne après la Libération, il est faussé en raison du grand nombre de faux tickets en circulation. La situation est d’autant plus difficile étant donné que l’agriculture connait de grandes difficultés. Les mauvaises récoltes de 1946 et 1947 sont responsables de la forte augmentation des prix agricoles qui font plus que doubler durant ces deux années. La production agricole a chuté d’un tiers depuis 1938.  A partir de 1948, de meilleures récoltes ainsi qu’une offre de produits industriels croissante, en grande partie grâce aux effets de l’aide du plan Marshall, se conjuguent pour rétablir, fin 1949, les grands équilibres. La production agricole retrouve, grâce à ce climat plus favorable, sa situation d’avant-guerre.

A la fin de la guerre, la quête de nourriture et la misère sont une des causes de l’augmentation de la délinquance, voire de la criminalité, de petits vols, de pillages, de la fabrication de faux billets aux agressions physiques.

Dans la Vallée rouge, ces sont les formes les plus dures de la criminalité qui sont commises dans ce contexte économique difficile.

Le déroulement des meurtres de la Vallée Rouge

Tout commence le 28 décembre 1947. Au moment de rentrer ses vaches, un fermier s’aperçoit qu’un incendie s’est déclaré à la ferme du Roucanel située entre St Côme et Espalion. Le lendemain, on y retrouve les cadavres calcinés du fermier Bras et de sa servante, Jeanne. En procédant aux premières observations, les gendarmes trouvent un bidon d’essence vide à la cave. Mais les enquêteurs concluent seulement à un accident, les deux occupants auraient été asphyxiés par la fumée. Ce n’est que deux ans plus tard que l’incident revient à l’ordre du jour, à l’occasion d’une affaire similaire. 

Le 25 mars 1949, c’est au tour du Moulin de Verrières, entre Espalion et Estaing, de brûler. Mais cette fois-ci, les gendarmes retrouvent Paul Pélégry et sa femme, morts, le crâne fracassé par un instrument lourd et contondant.

Deux ans après, le 12 août 1951, c’est au tour de la Combe d’Ardennes, une modeste ferme isolée au milieu des bois d’être touchée. La veuve Prat, 71 ans, est retrouvée par sa fille, assassinée, le crâne fracassé de la même manière que le couple du Moulin de Verrières. Pour la première fois depuis le début des meurtres, les gendarmes ont un suspect : Edouard Capoulade. Les interrogatoires sont tellement épuisants qu’il finit par avouer. Il est jugé mais Maître Escaffre, son avocat, réussit à le faire innocenter en raison du manque de preuves. Il regagne son domicile le soir  même. 

Enfin, le lundi 18 février 1952, la ferme de la Bessette, habitée par Abel Maurel, est incendiée à son tour. Le corps du fermier est tiré hors de l’étable par Louis, un voisin. Ce dernier remarque la trace d’un bigos, outil agricole traditionnel, à l’arrière du crâne de la victime. Sa femme Léonie et leur fille, Valérie sont de suite trouvées dans la maison, avec la même blessure. 

Vers le procès

Des doutes se portent sur une personne en particulier. Les fermiers remarquent, en effet, qu’Auguste Boudou, un voisin de la ferme, avait refusé d’éteindre l’incendie et n’était venu qu’en dernier sur les lieux alors qu’il était le plus près de la ferme.

Quand, le lendemain, les gendarmes se présentent chez lui, Boudou s’enferme dans le mutisme. Les jours suivants, les enquêteurs apprennent que le fermier vient de solder un remboursement de 30 000 francs au Crédit agricole. Cela augmente la suspicion à son encontre.

Beaucoup de preuves associent Auguste Boudou au principal suspect, mais une chose en particulier, le rapproche du coupable idéal : durant le conflit de 1914-1918, le fermier était devenu nettoyeur de tranchées.
A son retour de la guerre, les locaux disaient souvent que les actes qu’il avait dû commettre l’avaient rendu fou. 

Questionné suite à l’enterrement des Maurel, pendant plus de 24h, Boudou hésite, se contredit, et retombe dans le silence. Le 7 mars, épuisé, il avoue.   

 

Le procès se tient trois ans après le dernier meurtre, du 19 au 21 juin 1956. Auguste Boudou est condamné à mort, avant d’être envoyé, en appel.

Le 8 novembre de cette même année, Boudou est renvoyé devant la cour d’assises de Montpellier où, après trois jours de débat, la sentence est de nouveau confirmée. Le Président de la République, qui est à l’époque René Coty transforme sa peine de mort en travaux forcés à perpétuité. 

C’est à la centrale de Cognac qu’Auguste Boudou finit ses jours, en 1967, à l’âge de 70 ans. 

Une affaire qui marque encore les esprits 

Ce genre d’affaire a toujours existé, cependant, dans le nord de l’Aveyron, celle-ci a marqué les esprits, presque autant que les attentats du Masque Rouge, installant un climat de terreur et de psychose et créant entre paysans, beaucoup de soupçon, dans un contexte, on l’a dit plus haut, déjà très tendu en raison du passif de la guerre et de la situation économique difficile.
Chaque soir, les paysans de fermes isolées barricadaient donc leur maison et tenaient un fusil chargé à portée de main. 
La presse a joué un rôle important dans cette affaire. Ainsi dans le journal parisien Détective, on peut lire le récit des faits, voir des photographies de Boudou et du commissaire chargé de l’enquête.

Aujourd’hui, la plupart des contemporains sont décédés, mais ils ont transmis à leurs enfants cette histoire qui a pu ainsi arriver jusqu’à nous. C’est ce qui s’est passé pour André Couhaillac, qui peut encore aujourd’hui raconter l’affaire du Moulin de Verrière, où Boudou a assassiné Paul Pélegry et sa femme. C’est d’ailleurs son père qui a retrouvé le corps de Paul.

La persistance de l’angoisse des populations locales s’explique aussi par d’autres crimes, commis après l’affaire Boudou.

En 1953, le fils de Louis-Joseph Brassat tue successivement à coups de bigos sa mère, son père et son frère, avant de mettre le feu à la maison où gisent les cadavres. Les mobiles du crime étaient tellement insignifiants que l’on a douté de l’équilibre mental de l’adolescent alors âgé de 16 ans. A-t-il été influencé par les crimes d’Auguste Boudou ?

Outre les récits faits dans les familles, la persistance de cette affaire a été favorisée par une littérature spécifique, dédiée aux affaires criminelles régionales, dont les personnes âgées étaient friandes. Pas moins de cinq livres relatent cette histoire. En 2016, c’est encore une pièce de théâtre amateur qui s’est jouée sur ce thème à Saint-Affrique (« Crimes à l’ancienne ou le tueur au bigos”.) et en 2018, un documentaire a également été réalisé sur l’affaire « La Vallée rouge, par le fer et par le feu ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Étudiantes : AYGALENQ Mathilde (L2), BLANDINIERES Lena (L2) et PERIE Aurélie (L1)