L’Académie des jeux floraux à Toulouse [2018-2019]

L’académie des Jeux Floraux est la plus ancienne académie du monde occidental, née à Toulouse en 1323. Comme le proclame le slogan de l’Académie « par ces fleurs toujours la même beauté », l’académie a pour emblème les fleurs. Mais ce nom n’est pas anodin non plus, il renvoie aux jeux floraux de Rome, qui remontent à la Rome antique, célébrés en l’honneur de la déesse Flore, déesse du printemps et des jardinsL’académie des Jeux Floraux n’est bien sûr qu’une académie parmi tant d’autres en France, pays réputé pour sa culture aussi bien littéraire, qu’artistique, qui subit l’influence de la Renaissance (1453-1600), mais aussi des Lumières au XVIIIesiècle. C’est d’ailleurs en France que l’on connaît le plus grand essor académique. Les académies ont pour objectif principal de veiller aux bon usages des règles et codes dans la discipline concernée.

L’Académie des Jeux floraux a donc réussi la prouesse de perdurer pendant des siècles, malgré les changements politiques, sociaux et culturels. Comment peut-on expliquer cette exceptionnelle longévité ?

Clémence Isaure par Jules Joseph Lefebvre, 1909, collection privée Fred and Sherry Ross

L’apparition du consistoire du « Gai Saber » : animer la vie culturelle toulousaine (1300-1600)

Miniature des capitouls de Toulouse, XIVe, musée des augustins, Toulouse

En 1323 à Toulouse, les Jeux Floraux sont fondés par les troubadours pour maintenir les grandes traditions du lyrisme courtois, compromises après la croisade contre les Albigeois (1209-1229). C’est une croisade qui s’est déroulée dans le sud de la France, en Languedoc, menée par l’Église catholique dans le but de combattre l’hérésie albigeoise et surtout le catharisme. Elle s’appelle alors le Consistoire du Gai Savoir (Consistori de la Subregaya companhia del Gais Saber) avant d’être connue sous le nom d’Académie des Jeux Floraux (Acadèmia dels Jòcs Florals). Elle est considérée comme la plus ancienne institution littéraire du monde occidental. Les troubadours sont au nombre de sept : Bernat de Panassac, seigneur d’Arrouède, Guilhem de Lobra, bourgeois, Berenguier de Sant Plancat et Peyre de Mejanasserra, deux changeurs, Guilhem de Gontaut et Pey Camo, deux marchands, et un notaire, Bernat Oth. « Les sept troubadours » sont des poètes lyriques courtois de langue occitane des XIIeet XIIIesiècles. Les Jeux Floraux bénéficient en outre du soutien financier des Capitouls, des bourgeois qui gouvernent la ville au nom du comte de Toulouse. Ils s’engagent à financer le premier concours de poésie fondé le 1ermai 1324, doté d’une violette d’or (qui existe toujours aujourd’hui) et qui est remportée par le poète occitan Arnaut Vidal de Castelnaudary. Sans le soutien des capitouls, les Jeux Floraux n’auraient surement pas pu continuer à exister. 

Au fil des siècles, l’académie a occupé différents lieux comme le Verger des sept Troubadours jusqu’à 1356 ou l’Hôtel de Ville jusqu’en 1881. Leur influence va au-delà de Toulouse puisque des jeux floraux sont instaurés en 1393 à Barcelone. A la Renaissance (entre la fin du XVe siècle et le début du XVIIe siècle), période de renouveau culturel, aussi bien littéraire qu’artistique qui touche l’Europe entière, le but premier du Consistoire est de promouvoir les lettres, de défendre la poésie, la littérature, la philosophie ou l’occitan, alors langue officielle du pays toulousain. Il s’inscrit dans un renouveau intellectuel, littéraire et artistique européen, favorisé par les nouvelles méthodes d’imprimerie. Dans les années qui suivent des tensions se font ressentir entre le Consistoire et les Capitouls. En effet, les mainteneurs sont choisis parmi les membres du Parlement. Mais les Capitouls qui financent en grande partie les jeux veulent avoir le pouvoir de choisir qui obtient les fleurs et avoir le privilège de la préséance. Or ils échouent. En 1513, le Consistoire décide de prendre son indépendance et finit par changer de nom pour devenir « Le Collège de Rhétorique ». C’est alors qu’est créé le personnage de Clémence Isaure. Selon la légende toulousaine, elle aurait légué tous ses biens à la ville afin de maintenir les Jeux Floraux. La légende de « Dama Clemansa » naît vers la fin du XVesiècle et contribue grandement à la popularité des Jeux Floraux pendant plus de 300 ans. Elle laisse un souvenir mystérieux et est considérée comme l’inspiratrice et la bienfaitrice des poètes. Une statue tombale, image de Bertrande Yssalguier, est transportée et érigée au Capitole dans les années 1540 et aujourd’hui à l’hôtel d’Assézat où siège l’Académie. Depuis 1528, l’Éloge de Clémence Isaure est prononcé chaque année pour la fête du 3 mai.

Clémence Isaure distribuant des fleurs aux troubadours par Félix Saurines, entre 1730 et 1830, musée du vieux Toulouse

De consistoire à académie (1600-1789)

Lettres patentes du roi, 1694

Au XVIIesiècle, on voit un peu partout en Europe fleurir de plus en plus d’académies, comme en Italie ou en Espagne. Les Jeux Floraux, à la base collège rhétorique, deviennent, grâce à la lettre patente donnée par le roi Louis XIV le 26 septembre 1694, une académie. Ils prennent alors une envergure nationale, voire internationale. Les mainteneurs sont désormais au nombre de 40 et non plus 36. Ce sont souvent des écrivains, des avocats ou des professeurs, des gens de lettres, cultivés, chargés de remettre les prix tous les ans, et de tenir les séances régulières. De grands auteurs tels que Chateaubriand ont été lauréats de l’Académie, tout comme Victor Hugo qui gagne son premier prix à l’âge de 17 ans.

A cette époque on définit dans L’Encyclopédie(au XVIIe) ce qu’est une académie : des institutions vouées à faire différents travaux et missions, qui réunit des gens de lettres. Entre 1720 et 1750 on a pu observer une augmentation considérable du nombre d’académies en France ainsi que le nombre de lettres patentes, qui contribuent en partie aà conserver et répandre le goût des lettres et de l’étude dans le pays. En 1760, on trouve une académie dans quasiment toutes les grandes villes de France. Mais c’est aussi à cette période que l’occitan est supprimé dans le but de faire triompher la langue française et donc de renforcer l’émergence d’une langue nationale. Mais les Jeux Floraux persistent malgré tout.

Lors de la Révolution française, comme toutes les institutions scientifiques et littéraires, symboles de l’ordre ancien, les Jeux Floraux sont supprimés par le décret de la Convention Nationale du 8 août 1793.C’est un coup dur dont elle aurait pu je jamais se relever.

 

Portrait de Diderot, J.-L. Ernest, entre 1815-1891, Paris, Bibliothèque nationale de France.

 

La renaissance de l’académie, à l’époque contemporaine (1806-2018)

Avec la période napoléonienne, les institutions scientifiques renaissent, l’université mais aussi les académies, même si elles ne le font pas sous l’ancien régime des lettres patentes. Les Jeux Floraux peuvent récupérer leurs registres ainsi que leur bibliothèque et postuler pour de nouveaux revenus. Depuis 1894 l’académie siège à l’hôtel Assézat, profitant comme d’autres académies ou sociétés toulousaines du don du banquier Ozenne en leur faveur. Sans remettre en cause la domination de la langue nationale, mais dans un souci d’intégration des « petites patries » et de leurs traditions linguistiques, l’occitan est rétabli en 1895. Le XIXesiècle est vu comme « le siècle des sociétés savantes » par J. P. Chaline. En effet, les sociétés savantes se diversifient, on ne se cantonne plus seulement aux élites ; on intègre des professionnels, des gens aux opinions politiques différentes… Elles deviennent des lieux essentiels où sont exposés les travaux de recherches menés. L’Académie participe pleinement à ce mouvement érudit. En 1820 Victor Hugo est élu mainteneur. C’est à cette période que l’on ressort les vieux manuscrits de l’académie, pour remettre au goût du jour la poésie des troubadours.

Photographie du Maréchal Pétain à l’Académie des jeux Floraux, 6 novembre 1940, bulletin municipal de la ville de Toulouse.

Au XXe siècle, l’académie est reconnue d’utilité publique par décret du 1er mars 1923. Cela lui permet de recevoir des donations variées, des dons, des legs, de particuliers. Sous le régime de Vichy, alors que la France est soumise à une dictature, plusieurs membres du régime sont inclus à l’académie et deviennent des mainteneurs. Le 5 novembre 1940 le maréchal Pétain est nommé « protecteur de l’académie ». N’est-ce pas alors un moyen de contrôler ce qu’il se dit à l’académie, contrôler les documents qu’elle publie et contrôler les séances qui continuent à avoir lieu ? Car comme souvent la poésie été utilisée pour faire passer des messages subliminaux. Certains membres du gouvernement en profitent d’ailleurs pour se placer et se porter candidats aux Jeux Floraux. Après la chute du régime de Vichy,Camille Soula, poète occitan, résistant ariégeois membre de Comité de Libération de Toulouse, ferveur admirateur de la langue d’Oc, propose de dissoudre l’académie, en vain.Il est appuyé par Ismaël Girard, fondateur de la revue d’Oc et de l’Institut d’études Occitane (IEO) qui a pour objectif le maintient et le développement de la culture occitane.Finalement, pour oublier cette période sombre, on demanda aux poètes candidats d’écrire des odes à la liberté. Ainsi on voit que l’académie est prête à adapter ses concours selon les circonstances.

Aujourd’hui, les mainteneurs s’attachent encore à dire qu’il est prestigieux de siéger à l’académie des Jeux Floraux. Mais nous ne pouvons pas ignorer le fait que l’académie est beaucoup moins réputée qu’aux temps de sa création. Malgré les tentatives de modernisation directe, la poésie attire moins. Elle semble être un art qui n’est accessible qu’aux élites, difficile à comprendre et à manier. Après avoir mis en place des concours pour les jeunes poètes qui concernent les lycéens, accepté les femmes à porter le titre de mainteneur, comment l’académie va-t-elle faire pour continuer à exister ? Aujourd’hui, le nombre de textes soumis ne fait que diminuer. Elle attire aussi de moins en moins de Toulousains qui avant s’y précipitaient pour soumettre leurs beaux textes. Et même si la France a toujours été vue comme un pays de grande culture, réputé pour ses lettres, on ne peut ignorer le fait que l’académie des jeux floraux ne participe pas, ou très peu aujourd’hui à son rayonnement. Si l’académie réussit à se maintenir, c’est sûrement grâce au fait qu’elle reste très attachée à ses traditions. Étant la plus vielle académie d’Europe, elle fait maintenant partie intégrante de l’histoire de Toulouse. Siégeant à l’hôtel Assézat, protégée par les conditions du legs Ozenne, monument historique incontournable de la ville qui regroupe l’académie des inscriptions et belles lettres, mais aussi la société archéologique de Midi-Pyrénées, les jeux Floraux s’assurent une visibilité, au moins dans la ville de Toulouse. Mais ces vieilles traditions peuvent parfois lui porter préjudice aussi. En effet, ce n’est qu’en 2005 qu’une femme est nommée mainteneur des jeux, Lise Enjalbert. De plus, ils sont concurrencés par d’autres prix littéraires, tels que le Goncourt, ou le Femina… plus modernes, plus médiatisés, plus lucratifs et aujourd’hui plus réputés. L’académie a du mal à se moderniser, car elle reste fidèle à ses traditions parfois dépassées de nos jours. Entre les nombreux colloques et conférences qui s’y tiennent, les mainteneurs s’efforcent encore aujourd’hui de tenir des séances de lectures privées, de renouveler les mainteneurs et continuent de distribuer des prix. Ils persistent à « défendre les traditions et défendre l’excellence culturelle ».

Photographie de la cour de l’Hôtel Assézat, 2008 (https://fr.wikipedia.org)

 

Pour aller plus loin

Etudiant.es : Cloé Bottero, Paul Panissal, Maëlle Poux