Les grèves des mineurs carmausins, de 1850 à 1892 [2017]

Carmaux est situé sur un gisement de charbon qui s’est formé il y a plus de 280 millions d’années. L’extraction du charbon débute au XIIIe siècle pour ensuite s’intensifier au XIXe siècle. L’industrie minière se développe à Carmaux et le nombre de mineurs augmente progressivement. A partir du milieu du XXe siècle, le déclin de l’activité minière carmausine s’amorce. Aujourd’hui, les puits sont tous fermés. L’histoire des mines de Carmaux est marquée par la série de grèves qui débute à partir de 1855. Les revendications des mineurs se multiplient et les grèves prennent de l’ampleur tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle. Dans quelle mesure les grèves des mineurs carmausins s’inscrivent-elles dans un mouvement revendicatif qui évolue tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle ?

Le salaire est une des principales revendications qui alimentent les grèves. Le salaire fait l’objet de plaintes dès les années 1850 et les raisons qui poussent les mineurs carmausins à revendiquer un meilleur salaire sont multiples. Tout d’abord, il y a la hausse du coût de la vie. Le salaire est indispensable et permet d’assurer la subsistance quotidienne. La crise alimentaire de 1853-1856, qui provoque la hausse du coût des denrées alimentaires, entraîne la grève de 1855. Ensuite, des inégalités de salaires sont présentes. Les mineurs des houillères voisines gagnent parfois davantage. Enfin, les mineurs souhaitent profiter des bénéfices de la Société des Mines. A partir de 1883, le salaire des mineurs est comparé aux profits de la Société et les ouvriers remarquent que les bénéfices sont réels mais qu’ils n’en profitent pas.

Le salaire n’est pas l’unique revendication des mineurs carmausins, puisque la défense des conditions de travail fait également partie des facteurs de mobilisation. La durée de travail, l’embauche, les licenciements ou encore l’insécurité font partie des raisons qui ont poussé les mineurs à se mobiliser tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle. Les protestations concernent d’abord la pression politique, réactionnaire et cléricale dont les mineurs font les frais. En réalité, pour avoir plus de chances de se faire embaucher, il était préférable pour le mineur de fréquenter régulièrement l’église, notamment les dimanches et les jours de fêtes religieuses. Les licenciements sont également source de désaccords et de mécontentements. Par exemple, dès 1869, les mineurs dénoncent certains renvois qu’ils considèrent comme abusifs. Les mineurs font également grève pour empêcher la mise en place de certaines mesures, comme le passage de la journée de huit à dix heures de travail. De plus, le caractère dangereux de leur métier entretient chez eux un sentiment permanent d’insécurité. Devant les risques, l’action ouvrière s’organise autour de la prévention et de l’aide aux accidentés. Par exemple, lors de la grève de 1883, les mineurs demandent une meilleure gestion de la Caisse des secours.

Le mineur est avant tout un paysan. Les travaux dans les champs retiennent les mineurs en période de moissons ou de vendanges, ce qui entraîne un fort taux d’absentéisme saisonnier. Des grèves commencent à apparaître au milieu des années 1850, mais sont sévèrement réprimées jusqu’en 1864. En ce qui concerne le bassin carmausin, les grèves rassemblent la totalité des mineurs carmausins seulement à partir de 1869. De plus, le nombre de grévistes augmente, passant de 1000 en 1869 à environ 2350 en 1892. Ce succès est dû à la première grève totale organisée en 1869, dont la réussite pousse les mineurs à réitérer leur action. En effet, après cette victoire les mineurs continuent à organiser des grèves totales jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

Parmi les grévistes, il y a une majorité de jeunes mais aussi des femmes et des enfants qui participent aux manifestations, en particulier dans les actions violentes de certaines grèves, comme la dégradation de puits ou de résidences. Afin d’éviter les grèves, des stratégies sont mises en place par la Société des Mines. Le patronat tente de faire naître des conflits dans la classe ouvrière, en misant sur la différence des salaires, c’est-à-dire en ajustant les salaires en fonction du poste et de l’ancienneté des mineurs. Pour éviter les dégâts matériels ainsi que toute forme de violence, sont créés en 1892 un syndicat ainsi qu’un comité qui permettent la mise en place de négociations entre le patronat et les ouvriers. Ce processus s’accompagne de réunions ou de manifestations, lesquelles permettent de mobiliser la population autour de la cause des grévistes. La presse permet aux mineurs de faire connaître leurs agissements aux autres ouvriers ou aux personnels politiques. L’intervention de personnages publics, comme Jean Jaurès, joue également un rôle capital dans la diffusion du mouvement revendicatif des mineurs carmausins. D’ailleurs, l’intervention de Jean Jaurès a permis à la grève carmausine de 1892 de faire la une du Petit parisien en 1892.

La grève des mineurs de Carmaux, Le Petit Parisien, supplément littéraire illustré, 23 octobre 1892.

Les grèves carmausines de 1892-1895 ont attiré l’attention nationale en raison de leur importance et de leur durée. Ces grèves sont aussi importantes car elles sont marquées par la conversion de Jean Jaurès au socialisme. Les conflits apparaissent en 1889 avec l’élection de Ludovic de Solages en tant que député de Carmaux. Les conflits prennent de l’ampleur lors de l’élection de Jean-Baptiste Calvignac au poste de maire de Carmaux. A partir de cette élection, Carmaux entre dans le socialisme. Jean-Baptiste Calvignac doit cumuler sa fonction de maire et son travail à la Compagnie des Mines. Il demande alors deux jours de congés par semaine pour pouvoir assumer ses responsabilités de maire. La rupture a lieu lorsque la Compagnie des Mines rejette sa demande. Après la démission de Ludovic de Solages, les mineurs demande à Jaurès d’être leur candidat et, en 1893, Jaurès répond à leur demande et triomphe avec 59,3 % des voix. Ainsi, Jaurès se manifeste pendant les grèves de 1892-1895 dans le but de défendre les revendications ouvrières. Il aurait était accusé plusieurs fois d’avoir manipulé les mineurs afin d’accéder au pouvoir. C’est face à ces accusations qu’il écrit dans un article de La Dépêche le 29 août 1892 : « Nombreux sont les imbéciles à la tête creuse, au cœur vide, qui ne peuvent pas comprendre qu’on serve, sans arrière pensée personnelle, une grande cause ».

De nos jours, Jaurès, Carmaux et le socialisme sont des mots qui nous paraissent assez similaires. Dédiée à Jean Jaurès, la statue qui se trouve sur la place Jean Jaurès à Carmaux n’est qu’une réplique construite en 1983, l’originale sculptée en 1923 ayant été détruite en 1981 lors d’un attentat. La statue met en scène Jaurès surplombant un paysan, un mineur, un verrier et un forgeron. Cette statue est un symbole de l’union entre Jaurès, le socialisme et l’histoire de Carmaux. L’ancienne cité minière est un lieu de passage obligatoire pour tout candidat du parti socialiste à l’élection présidentielle. François Mitterrand y avait lancé sa campagne en 1980 tandis que François Hollande prononça un discours au pied de la statue de Jaurès en 2012.

Portrait de Jean Jaurès: Jean Jaurès, le génie pacifiste, ina.fr.

Tout au long de la seconde moitié du XIXe siècle, les grèves ont évolué. Prenant de l’ampleur, les grèves ont vu le nombre de grévistes augmenter à chaque nouvelle action. Leur organisation a également évolué. Les syndicats ont permis, par exemple, de favoriser les discussions entre les mineurs et la Compagnie des Mines. De plus, les grèves ne sont pas des événements isolés mais s’inscrivent dans un mouvement revendicatif continu et évolutif de 1855 à 1892. D’ailleurs, 1892 marque l’aboutissement de ce demi-siècle de grèves puisque pour la première fois un maire socialiste est élu à Carmaux. Aujourd’hui, l’histoire des mineurs fait partie du patrimoine carmausin.