Le 22 mars 1594, après cinq ans de lutte pour affirmer son autorité sur le Royaume de France, Henri IV (1553-1589-1610) entre dans Paris. L’assassinat d’Henri III en 1589, appuyé par la Ligue, un parti ultra-catholique se définissant comme une « union prophétique et mystique » (Denis Crouzet) a poussé Henri De Navarre sur le trône de France. Celui-ci était le chef des Provinces Unies du Midi, une union protestante contre laquelle se battait la Ligue durant les Guerres de religion. Ces dernières eurent dans le sud-ouest du Royaume de France de lourdes conséquences, car les ravages y furent plus conséquents qu’ailleurs en raison de la forte présence ligueuse et protestante. Les habitants e cette région particulièrement rurale n’avaient pas les moyens d’assumer les lourds impôts dûs à la guerre, ni de se défendre face aux gens de guerre qui pillaient et ravageaient les campagnes. La solution apportée par ces ruraux fut de s’assembler et de prendre les armes pour s’insurger face à ceux qui les opprimaient. Ils prirent le nom de Croquants ou de Tard-Avisé.
Les premières années de règne d’Henri IV furent caractérisées par une reconquête du Royaume de France, car nombre de ses sujets ne l’acceptaient pas comme nouveau souverain du fait de sa religion. Pour autant les assemblées paysannes du sud-ouest, luttant contre la surcharge fiscale et les garnisons pillardes, donnèrent à la monarchie les moyens d’affermir son autorité. Nous chercherons donc à comprendre comment.
Dans un premier temps, les assemblées paysannes du sud-ouest virent dans les Huguenots (protestants calvinistes) la cause de tous leurs malheurs. Certaines villes comme Agen ou Périgueux de même que des assemblées paysannes se tournèrent alors vers la Ligue catholique, en quête de solutions aux maux qui les accablaient. Ce soutien fut pourtant de courte durée. En 1593 l’abjuration d’Henri IV lui gagna la plupart des villes comme des assemblées paysannes, qui optèrent pour la protection royale. Les « émotions populaires » se tournèrent contre les châteaux ligueurs, symbole d’une tyrannie que les Croquants voulaient voir disparaître. Dès lors, conscients qu’un nombre conséquent de communautés étaient touchées par la hausse fiscale et les pillages, les Croquants prirent un « nouveau sens politique ». Une conscience sociale se développa parmi eux, qui n’était désormais plus incompatible avec une forme de « tolérance » religieuse envers les huguenots.
Même si un tournant politique s’opèra avec cette prise de conscience sociale, les paysans, qui constituaient la majeure partie des assemblées révoltées, n’avaient pas les moyens ni les compétences pour donner un sens politique précis à leurs révoltes. C’est là qu’interviennent les notables ruraux. Ces hommes, possédant une forte autorité locale et une instruction assez élevée, prirent la direction de la plupart des assemblées paysannes. Antoine de La Saigne, notaire du Périgord, fut l’un de ces hommes. Il fut à l’origine des prises d’armes de 1594 et 1595 et porta les réclamations au roi en mars 1595. Celles-ci étaient simples : baisse de la fiscalité, libération des garnisons pillardes et autodéfense des villages et communautés rurales. Dans ces réclamations, le nouveau souverain vit un moyen de se légitimer.
Les réclamations ne venaient pas exclusivement des Croquants. Les révoltes paysannes avaient conduit les nobles ligueurs à redouter l’avènement d’une nouvelle forme politique où leurs titres et privilèges ne seraient plus que de lointains souvenirs. Il n’en fut rien. Cependant, cette peur les amena à demander l’aide de la monarchie : les nobles ligueurs, dont la plupart obtinrent le pardon royal suite à l’abjuration d’Henri IV, appelaient de leurs voeux la répression des assemblées paysannes. La monarchie opta alors pour une double tactique de conciliation et de répression envers les Croquants : elle accepta ainsi la plupart des demandes des Croquants (mis à part l’autodéfense des communautés), tout en dépêchant des troupes pour rompre les assemblées paysannes qui menaçaient la noblesse.
Denis Crouzet voit dans l’Edit de Nantes le reflet de la « philosophie politique du pouvoir henricien […] qui répond de manière très structurée à toute une série de problèmes par des moyens appropriés et donc différenciés ». Cette phrase s’adapte également à la tactique adoptée par Henri IV afin de se légitimer comme nouveau souverain et d’affermir son autorité.
Bibliographie.
C. Vivanti. Guerre civile et paix religieuse dans la France d’Henri IV, Paris, Desjonquères, 2006.
D. Crouzet. Les guerriers de Dieu : la violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990.
J. Garrisson. Guerre civile et compromis 1559-1598, Paris, Seuil (coll. « Points »), 2016.
Y.-M. Bercé. Croquants et nu-pieds : les soulèvements paysans en France du XVIe au XIXe siècle, Paris, Gallimard (coll. « Folio Histoire »), 1991.
Y.-M. Bercé. Histoire des Croquants. Études des soulèvements populaires au XVIIe siècle dans le sud-ouest de la France, Paris, Seuil, 1986.