La vie des Rutènes

Les Rutènes sont un peuple de la Gaule Celtique situé entre le Tarn et l’Aveyron. L’étymologie du mot Rutènes pourrait signifier les « conquérants » au vu des études sur les langues indo-européennes. Cependant Jean-Marie Pailler, professeur et chercheur d’histoire ancienne, mais aussi spécialiste en archéologie toulousaine au sein du laboratoire TRACES rattaché à l’Université Toulouse Jean Jaurès (laboratoire de recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés), remet en cause cette signification et donne une autre en pensant que leur nom « Rutène » se rapporte au fait qu’il y ait la présence de nombreuses rivières dans leur territoire. Il y a encore le point de vue de Jean Lacroix, un philosophe français qui propose de traduire du celte le mot “rutène” par les “très ardents”. En effet, d’après son analyse on y retrouve le préfixe celtique “ro” qui signifie grand et l’élément central “ten” qui signifie la chaleur, le feu. On a retrouvé très peu d’écrits sur les Rutènes, peu de sources sont présentes à cause des traditions orales, cependant on connaît l’existence de certains écrits de Jules César. Ses écrits expliquent la situation des Rutènes durant la guerre des Gaules ou lors de certaines invasions. A la suite de la première invasion environ en 121 avant J.C, certains Rutènes vont rester indépendants mais d’autres vont passer sous la domination romaine. C’est par la suite en 59 avant J.C durant le guerre des Gaules que la totalité de leur territoire va être intégré à la République Romaine, après cela la culture romaine va peu à peu s’assimiler à la culture celte rutènes et devenir un des peuples Gallo-Romains. Les Rutènes, même avant l’arrivée des Romains, était une population avancée, connectée aux peuples limitrophes comme les Gabales, les Arvernes ou les Cadurques, qui vont développer le territoire sur lequel ils habitent, nous allons plus précisément étudier la société Rutènes en mettant en lumière les différentes caractéristiques religieuses, territoriales et économiques des Rutènes, qu’elles sont les caractéristiques de ce peuple celtique et de son territoire.   Malgré le manque de source écrite, la présence de nombreux objets retrace leur civilisation, on a d’ailleurs trouvé plusieurs éléments archéologiques à leur sujet sur les sites de recherches de Rodez et Millau

Les Rutènes, un territoire riche et développé

Répartition des sites rutènes considérés comme agglomération secondaires, Schaad Daniel (direction), Les Rutènes, du peuple à la cité de l’indépendance à l’installation dans le cadre romain, 150 ac – 100 pc, Aquitania, Bordeaux, 2011

Pour commencer, avant de vraiment parler des rutènes, de leur société et de leurs modes de vie, il est important de comprendre dans quel environnement ils évoluaient. Ce peuple qui s’étendait des plateaux  de l’Aubrac jusqu’aux vallées du Tarn possédait une géographie très hétérogène. La partie nord, dans l’actuel Aveyron, culmine par endroit à 1000 mètres d’altitude avec un sol calcaire et rocheux, une diversité de paysage composant le territoire, entre de nombreuses forêts, des causses ou encore des vallées plus fertiles dans la partie sud. De nombreuses rivières traversent le territoire, ce qui permet à différentes communautés de s’établir durant la préhistoire, avant l’arrivée des tribus celtiques. Les plus importants fleuves sont le Tarn et l’Aveyron encore aujourd’hui. En plus de cela, le territoire des Rutènes est riche en ressources, en particulier le fer et le cuivre mais on peut aussi y trouver de l’or. 
Ce territoire est donc propice à un développement, il fournit des ressources naturelles essentielles à la croissance d’un territoire, mais en plus de cela ce territoire rutène se trouve au carrefour de plusieurs peuples ce qui permet un riche commerce : au sud la région romaine de la Narbonnaise, au nord les Arvernes, au nord-ouest, les Cadurques et à l’est les Gabales. Ces échanges vont faire émerger deux agglomérations rutènes importantes : Segodunum (Rodez) et Condatomagos (Millau). Le premier va devenir un nœud commercial important, et le deuxième un centre de production de poterie lui aussi conséquent.
En périphérie de ces deux agglomérations, de nombreuses agglomérations secondaires ont été attestées d’après les archéologues suite à de nombreuses fouilles, même si aujourd’hui, il ne reste plus beaucoup de traces à cause des matériaux périssables utilisés à cette époque. On a pu cependant trouver des restes de bâtiments comme à Graulhet, avec les restes d’une ancienne étable. Et malgré l’existence de traces archéologiques de petits villages, on peut supposer que les petits villages étaient spécialisés dans des domaines spécifiques comme l’élevage, l’abattage de bois ou encore l’extraction de minerai pour répondre au besoin des habitants des grandes agglomérations.

L’économie Rutène, une économie diversifiée :

Drachmes « aux feuilles aquatiques », Ier siècle avant J-C, musée Fenaille, Rodez

C’est donc sur ce territoire particulier que l’économie rutène va se développer, l’étude des monnaies et de sa circulation nous apprend et nous montre comment le peuple celtique des Rutènes pouvait développer une économie structurée mais également , un facteur d’identité social avec les différentes formes inscrites sur les pièces souvent liées à des formes importantes dans la culture rutène que ce soit avant ou durant la conquête romaine par Jules César. Les Rutènes possèdent de nombreux sites miniers au nord-ouest vers Carantomagos (Compolibat) et au sud-est vers Condatomagus (Millau). Ces mines d’argent seront exploitées tout au long de la présence rutène, cet afflux de matière première fait la renommée du peuple dans toute la Gaule jusqu’aux romains qui y verront une véritable opportunité afin de les exploiter et utiliser lors de leur conquête. Ce sera le philosophe et homme d’État Italien Cicéron qui le qualifie de « Trésor des Rutènes ».
Cette économie, qui est principalement basée sur le paiement par pièces, représente un réel rayonnement de l’identité culturelle des rutènes du fait de l’iconographie particulière et par l’adoption d’un nouveau type de frappe « à la croix »( frappe des « nouvelles pièces » au IIe siècle avant JC qui permet de le métal plus facilement afin d’appliquer des dessins) qui permet par des frappes plus précises de par un métal plus souple une application de modèles en lien avec leur culture Celtes. Les fouilles ont pu donc déterminer des peuples qui servaient de centres importants d’émissions et de diffusions des monnaies comme le peuple des Rutènes ou des Goutrens avec les mêmes plan “au torque”, “au sanglier”, et aux “feuilles aquatiques” qui correspondent probablement à trois entités de la culture Celtes qui ne sont que partiellement définis même si le thème de la mer revient souvent. Des théories sur des divinités sont de plus en plus exploités chez les Celtes, la mer était déjà la matrice des dioscures (jeune homme en âge de porter les armes), on le retrouve dans le mythe Cernunnos, un dieu lunaire, ou bien encore dans le personnage de Merlin qui signifie à la fois la mer et le merle.
Enfin, on sait à travers de nombreuses fouilles réalisées dans le sud de la France qui ont permis de trouver de nombreuses pièces que les Rutènes utilisent les voies d’échanges commerciales pour réaliser des échanges économiques, que ce soit avant ou pendant la période d’occupation. En effet la diffusion de la monnaie locale au sud allant de leurs régions au littoral tout ceci grâce à des routes déjà façonnés dans la période pré-augustéennes comme la Via Domitia. Une route  qui relie l’Italie à la péninsule Ibérique en traversant la Gaule narbonnaise, ces nombreuses voies ont permis aux Rutènes d’entretenir de très bonnes relations avec les villes voisines. Ces routes sont construites par les Romains pour favoriser leur commerce avec les civilisations voisines pour le marchandage de céramique.

Sanctuaires et liturgie

Lieux de culte avérés, Schaad Daniel (direction),Les Rutènes, du peuple à la cité de l’indépendance à l’installation dans le cadre romain, 150 ac – 100 pc, Aquitania, Bordeaux, 2011

La religion rutène s’organisait autour des sanctuaires afin d’y réaliser des offrandes et des rîtes. Mais il faut aussi savoir qu’il y a une certaine difficulté à l’appréhender, premièrement à cause du fait des sources qui sont lacunaires, et deuxièmement en raison du système religieux des rutènes était assez éloigné de ce qu’on connaît aujourd’hui avec les religions monothéistes en France : il n’y avait pas de dogme établi, mais une communauté de dieux patronant la communauté, il s’agit d’une culte polythéiste.. Dès lors, ce qu’on peut affirmer, c’est qu’on pense que le culte s’organisait de manière autonome, même après la colonisation romaine. Avec celle-ci sont apparus de nouveaux dieux dans le panthéon rutène, mélange des dieux locaux et des dieux romains. Mais il ne s’agit toutefois pas d’un syncrétisme : les nouveaux dieux sont entièrement nouveaux, et ne sont pas juste un mélange des dieux des deux cultures reprenant des caractéristiques de chaque côté.
La pratique religieuse n’était pas limitée qu’au sanctuaire : ainsi les sacrifices pouvaient se pratiquer aussi en extérieur, au carrefour de routes ou même dans les centres urbains. Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, les fouilles, même faites hors de lieux où était pratiquée la religion, doivent se faire avec la conscience de (éventuellement) fouiller un lieu religieux. En ce sens, dans le culte rutène, les objets cultuels pouvaient être dépourvus de représentations religieuses, au contraire d’objets du quotidien qui pouvaient en être pourvus, ce qui a amené à de mauvaises identifications de la part des archéologues.
L’identification des sanctuaires a donc été freinée par la désignation de lieux comme étant religieux alors qu’ils ne le sont pas, et par des fouilles pas assez sérieuses et anciennes. Ce qui fait qu’à ce jour, on peut désigner avec certitude 15 lieux de culte rutènes, principalement en Aveyron, et dans le Tarn. Un des plus importants est celui de la Graufesenque, près de Millau, dans le sud-aveyron.
Le sud-aveyron était aussi un des principaux centres de production de poterie de l’empire romain au Ier siècle. Sur ce site, on a notamment retrouvé un autel votif, commémorant un sacrifice, ce qui laisse entendre qu’il y avait aussi la présence d’autels sacrificiels ; et un puit, car les sacrifices devaient s’effectuer puris manibus, c’est-à-dire les mains pures, lavées des souillures du monde extérieur. Plus généralement, on a aussi retrouvé divers autels, des troncs monétaires et des monnaies.
Les rutènes n’étaient pas réfractaires au nouveaux modes d’expression de leur religion. Pourtant, on a retrouvé très peu d’inscriptions de divinités. On pense que ce serait à cause du manque de matériel (grès) ou de technique. L’architecture des sanctuaires était directement inspirée du modèle romain, même si les édifices romain classiques étaient rares dans la région. Aussi, beaucoup de lieux de culte rutènes seraient d’origine protohistorique. Quant à la fin de la période des sanctuaires, il est difficile de la dater. On pourrait penser qu’elle se situe au IVe siècle, à cause de monnaies de cette époque retrouvées dans des lieux de culte, mais ce n’est qu’une hypothèse, ces monnaies seules ne permettant pas d’affirmer que le culte ait survécu jusque-là. Cette date correspond aussi à la diffusion du christianisme en Europe.

Figurines et liturgie

Minerve en terre rouge découverte sur le site de la Graufesenque, à Millau. D’après Conti, 1998, planche 42 A.

La fouille de sites archéologiques nous permet aujourd’hui d’avoir une idée précise du fonctionnement et de la pratique de cette religion. Segodunum (Rodez) et Condatomagos (La Graufesenque) sont deux exemples nous permettant de préciser les recherches sur la vie religieuse et cultuelle de cette civilisation, d’un point de vue archéologique.  De même, la découverte d’une inscription opisthographe (écrit sur le recto et le verso) sur marbre à Rodez (Segodunum), nous permet aujourd’hui de déterminer le caractère essentiel du prêtre dans la ville, et donc de la vie religieuse. Les fouilles archéologiques nous permettent aujourd’hui de rassembler suffisamment d’éléments pour le comprendre globalement. Les figurines en terre cuite, retrouvées au cours de ces fouilles, occupaient une place très importante dans la religion chez les Rutènes. Ainsi, les spécialistes ont assigné différents contextes et rôles à ces figurines au cours de leurs recherches et de leurs analyses. Tout d’abord, on pouvait les retrouver de manière générale dans le contexte de l’habitat. Elles étaient généralement associées à la vie quotidienne des rutènes et à l’artisanat. La majorité de ces figurines était accompagnée de petits gobelets en terre cuite, que l’on associe à une activité religieuse dans foyer, probablement un rôle de protection, ces gobelets étaient présents sur de nombreux sites de fouilles mais leur utilité réelle est encore floue. On retrouve ensuite une fonction cultuelle. Dans ce cas là, les figurines étaient placées dans des sanctuaires et on les associe aujourd’hui au culte et à la religion de par leur disposition dans le complexe cultuel. Pour finir, on retrouve aussi les figurines dans un contexte funéraire. Les figurines sont alors en relation avec des ossements, probablement pour accompagner et protéger le défunt.

Conclusion

Les Rutènes sont un peuple complexe, avec un monde social tout de même développé avec notamment les relations qu’ils entretenaient avec les régions voisines.
Aujourd’hui, malgré les traces archéologiques qui permettent de vous présenter les résultats ci-dessus, le manque de source est un problème récurrent pour l’étude de ce peuple du Sud de la Gaule. Traditionnellement de culture orale, les Celtes dont les Rutènes font partie n’ont laissé aucuns écrits de leurs sociétés ce qui rend la tâche pour les historiens extrêmement difficile. Malgré cela, les analyses de dizaines de sites archéologiques nous permettent d’avoir de nombreuses informations, parfois très précises sur les Rutènes

Site archéologique de la Graufesenque, photographie personnelle

Si vous voulez en apprendre plus, vous pouvez faire comme nous et vous rendre au musée Fenaille à Rodez ou encore au musée de Millau et sur le site de la Graufesenque.

Julien Fontana, Léo Bouscayrol, Elora Bourgeois, Jeanne Enot, Martin Matin

Bibliographie