Les Armagnacs et le comté de Rodez (1313-1497) [2022]

Aux XIVe et XVe siècles, le domaine royal ne comprend pas tout le territoire du Royaume de France, il existe de nombreuses principautés qui ne sont pas sous le contrôle direct du souverain, ce qui est notamment le cas de celle des Armagnacs. Les Armagnacs sont des comtes originaires de Gascogne. Les comtes d’Armagnac possèdent un vaste territoire dans le Sud-Ouest du Royaume de France, notamment dans le Rouergue qu’ils acquièrent au cours du XIVe siècle (1313 : Rodez). Ils en sont les seigneurs jusqu’en 1497.  Plus globalement les XIVe et XVe siècles sont une période troublée pour le Royaume de France. C’est à ce moment que de nombreux problèmes de succession au pouvoir apparaissent et créent ou entretiennent des conflits. 

Des relations privilégiées des Armagnacs avec le pouvoir royal

Le comté de Rodez a un seigneur, le comte d’Armagnac et deux co-seigneurs, le roi de France et l’évêque de la cité. Le roi de France abandonne son autorité aux seigneurs et donc au comte d’Armagnac vers le milieu du XIVe siècle. Un des personnages importants de cette famille est le comte Jean Ier d’Armagnac, il prête serment au roi et lui reste fidèle malgré l’occupation de son territoire par les Anglais lors de la guerre de Cent Ans. Les Armagnacs sont ainsi une famille proche des rois de France, comme on peut aussi le voir avec Bernard VI qui a servi loyalement les rois de France lors des guerres et Bernard VII d’Armagnac qui lui succède en s’alliant à la famille royale avec son mariage, celui de sa fille et son rôle de connétable.  

Sceau de Jean Ier, dans Sceaux gascons du moyen âge: (gravures et notices), Paul Laplagne, Paris, 1888-1892, p. 104 (ouvrage conservé à la BNF à Paris).

Les territoires armagnacais

Le comté d’Armagnac est un ancien comté de Gascogne compris avec le comté de Fezensac dans le duché de Gascogne, qui fut constitué en 960. Il est par la suite agrandi par la maison d’Armagnac. Le comté devient l’une des plus grandes principautés du Sud-Ouest de la France. Les alliances matrimoniales ont permis d’acquérir certains territoires. À cette époque de nombreux territoires sont en lutte contre leurs voisins. Les guerres entre Foix et Armagnac sont présentes tout au long de la période, en 1329 un compromis est imposé aux deux protagonistes qui doivent se partager des territoires. 

Carte des domaines des Armagnacs, “Les domaines montagnards des princes d’Armagnac : la baronnie de Roquefeuil et les montagnes du Rouergue”, Emmanuel JOHANS, 2003.

Malgré la trêve signée en avril 1373 avec Jean Ier, Gaston III de Foix-Béarn reprend ses opérations militaires sur l’Armagnac en commençant par Aire sur l’Adour. En 1374, il négocie avec le duc de Lancastre, puis réitère une trêve avec le comte Jean II

La place des Armagnacs au sein des intrigues royales

Les Armagnacs savent se faire une place au plus près du pouvoir que ce soit à la cour des rois de France ou par des alliances matrimoniales. Ils deviennent de véritables “piliers de la monarchie dans le Midi” (E. Johans, « Lignages aristocratiques du Rouergue et des Cévennes au service des princes d’Armagnac », dans Pouvoirs des familles, familles de pouvoir [en ligne], Presses universitaires du Midi, 2005, Toulouse (https://books.openedition.org/pumi/39546, consulté le 20/11/2021)). En effet, Jean Ier d’Armagnac se marie en 1327 avec Béatrix de Clermont, la petite-fille de Saint-Louis. Cela place donc les Armagnacs dans le lignage des Capétiens. Les filles du couple se marient d’ailleurs pour l’une avec le duc de Berry et pour l’autre avec le roi d’Aragon. Bernard VII d’Armagnac va encore plus loin et marie une de ses filles, au neveu de Charles VI, alors roi de France. C’est d’ailleurs cet événement qui constitue le parti d’Armagnac.

Cette alliance matrimoniale permet à Bernard VII d’Armagnac d’accéder à une place de choix à la cour. Les comtes d’Armagnacs ne sont donc pas forcément très présents dans leurs terres mais semblent tout de même respectés et globalement appréciés par leurs sujets dans leurs possessions rouergates. 

Les Armagnacs et la guerre de Cent Ans

La guerre de Cent ans est rythmée par plusieurs conflits tel que le conflit des Armagnacs contre les Bourguignons. Elle connaît de nombreux rebondissements liés à l’intervention de plusieurs personnages tels que Charles V, Henri V ou encore Jeanne d’Arc au côté de Charles VII.

Contrairement aux Armagnacs, les Bourguignons s’allient aux Anglais en 1419 et leur permettent d’avoir une mainmise sur le territoire de France et l’arrivée au pouvoir du roi d’Angleterre Henri VI. Les Armagnacs, eux, continuent de soutenir Charles VII, qui récupère le Royaume de France en 1435.

Miniature de la bataille de Castillon, manuscrit Martial d’Auvergne, Les Vigiles de la mort de Charles VII, vers 1484, BNF, Paris.

Comme de nombreux autres territoires, le Rouergue vit l’insécurité de la guerre de Cent Ans. La population y chute énormément, ce qui est également lié aux épidémies de peste entre 1348 et 1361. La population chute de nouveau à la fin du XVe siècle car le Rouergue fournit un gros contingent d’hommes dans le but de repeupler les terres vides telles que le Quercy.

Concernant la défense du territoire, la comptabilité du comte de Rodez distingue quels lieux doivent être ou non défendus. Il se concentre donc sur des zones précises et y fournit une défense de fer. C’est une stratégie géographique dans le but de repousser certaines populations dans les zones protégées, afin de renforcer celles-ci. Cette stratégie engendre cependant la destruction de certains villages, de par l’obligation de concession et l’imposition d’une obéissance forte car les sujets sont livrés à eux-mêmes dans le cas contraire.

La guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons

La guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons ne se déclenche pas du jour au lendemain. En effet, elle est l’aboutissement de luttes politiques pour le pouvoir. Ces luttes commencent par l’instauration d’un conseil de régence pendant le règne du roi Charles VI qui est atteint de folie. Au début, l’oncle du roi, Philippe le Hardi, dirige le conseil de régence. À sa mort, son fils, Jean sans Peur n’étant plus que le cousin du roi, n’a plus de légitimité à diriger ce conseil. C’est donc le frère du roi, Louis d’Orléans, qui prend la tête du conseil de régence.

Louis d’Orléans gère le royaume et devient donc très influent auprès du roi ce qui ne plaît pas à Jean sans Peur. Il est donc assassiné par Jean en 1407, ce qui permet à ce dernier de se hisser à ce poste. En réaction Charles d’Orléans le fils de Louis d’Orléans cherche du soutien auprès des Armagnacs et notamment de Bernard VII d’Armagnac. Celui-ci arrive à la tête du parti des Armagnacs contre Jean sans Peur grâce au mariage entre Charles d’Orléans et sa fille. Il crée également des bandes armées (les écorcheurs) qui sèment le trouble autour de Paris. À Paris le peuple demande aux Armagnacs de leur venir en aide contre un possible soulèvement. C’est durant cette période en particulier que Bernard VII est très proche du pouvoir royal. Mais ce même peuple demande à son tour aux Bourguignons d’intervenir contre les Armagnacs à Paris, ce qui mène au massacre de Paris de 1418 où Bernard VII trouve la mort. Le dauphin Charles, lui, fuit dans le Sud auprès de ses soutiens. Lors d’une entrevue pour mettre en place une trêve entre le dauphin Charles et Jean sans Peur, celui-ci est assassiné. Ce meurtre réengage le conflit jusqu’en 1435, date du traité d’Arras qui met fin à la guerre.  

Massacre des Armagnacs à Paris en 1418, par Martial d’Auvergne, illumination fin de l’ouvrage vigiles de Charles VII, XV siècle, BNF, Paris.

Les seigneurs du comté de Rodez

La famille des Armagnacs a une véritable place de seigneur. Le comté de Rodez est basé sur un système féodal. En effet, le comte prend le rôle du seigneur et acquiert de nombreux droits. C’est le comte qui perçoit les impôts et redistribue les richesses au peuple. La population rouergate est une population paysanne qui vit surtout de sa production agricole. Cependant, une partie de ses richesses revient au seigneur sous la forme de l’impôt. Cet impôt est une forme de prélèvement en nature ou en argent, avec les banalités ou encore les péages à l’entrée des villes. Le seigneur a également des droits judiciaires, il devient le chef des armées et contrôle l’ensemble de son territoire où il exerce son autorité sur le peuple et sur les vassaux. Ainsi, le comte d’Armagnac possède les pleins pouvoirs sur ses territoires mais reste tout de même sous l’autorité du roi de France.

Les travaux agricoles au fil des saisons, miniature du XIII siècle, BNF, Paris.

Modernisation de l’administration comtale par les Armagnacs

Au cours des XIVe et XVe siècles, le comte s’inspire de l’administration royale et met en place une administration très hiérarchisée avec le comte à son sommet entouré de nobles ruthénois qui font office de conseillers. Sous l’impulsion des Armagnacs, l’administration comtale voit se développer les juristes. Ils remplacent progressivement les officiers administratifs nobles qui n’étaient pas forcément formés à leurs fonctions.

Chez les juristes, deux postes se distinguent de par leur importance : le juge du comté et le juge de la ville de Rodez. D’autres magistrats s’avèrent indispensables pour le bon fonctionnement de l’administration du comté de Rodez : le procureur comtal, les notaires, le maître de la monnaie ruthénoise, les consuls, le sénéchal comtal et les châtelains. Le comte possède donc beaucoup de vassaux, qui sont des membres de la bureaucratie princière. Ainsi, cette administration princière connaît de grandes évolutions sous les Armagnacs, notamment un élargissement de la classe dominante ruthénoise avec les juristes mais son développement entraîne aussi la progressive indépendance du comte de Rodez vis-à-vis du pouvoir royal central.

Tableau des trois plus hautes fonctions dans le comté de Rodez, “Les officiers de justice à Rodez au XIVe siècle: un groupe réduit mais influent”, Emmanuel JOHANS, 2014.

Une indépendance progressive du comté de Rodez vis-à-vis du pouvoir central

Le comte d’Armagnac décentralise le pouvoir. En effet, les Armagnacs tentent de créer leur propre politique au sein du Rouergue, en s’éloignant du pouvoir central. Le comte d’Armagnac emploie de nombreux moyens : il devient le chef d’armée, le contrôleur de l’argent mais devient également proche de la population et de ses besoins, ce qui renforce son influence. Le comte n’est alors plus un représentant du roi, mais plutôt un dirigeant local, qui applique un semblant de politique nouvelle.  Dès lors, nous pouvons voir que les habitants portent plus d’intérêts pour le comte que pour le roi. En effet, le comte devient une figure politique importante pour les populations locales, qui s’appuient sur les Armagnacs pour leurs requêtes et pour l’argent. De plus, la puissance des Armagnacs sur le territoire s’accroît. En effet, le comte d’Armagnac crée son premier foyer de puissance à Rodez. Cependant, celui-ci s’implante dans d’autres provinces telles que : le comté de Toulouse, le comté de Foix, et celui de Béarn. Pour les comtes d’Armagnac, Rodez n’est qu’une de leurs capitales où ils exercent leur influence, mais le roi finit par reprendre la main, considérant que le comte n’exerce plus au nom du roi et devient trop puissant pour lui. 

Carte du royaume de France et de ses principautés en 1477,  Site internet du centre d’histoire de Bretagne.

Fin et chute de la famille des Armagnacs

À partir de la fin du XVe siècle, la maison d’Armagnac perd en influence et s’affaiblit. En effet, les Armagnacs perdent progressivement des territoires ainsi que leur relation privilégiée avec le roi. Ce dernier les fait assassiner (Jean V assiégé et assassiné à Lectoure en 1473), exécuter (Jacques d’Armagnac, comte de Nemours décapité aux Halles pour conspiration contre le roi Louis XI en 1477) ou encore enfermer comme c’est le cas de Charles Ier d’Armagnac, qui est enfermé treize ans par le roi Louis XI, de 1472 à 1485.

Louise Anglès (L2), Lucie Cailhol (L2), Carla Chateigner (L1), Maëva Julien (L1), Sylvain Maurel (L1), Aurore Sans (L1), Manon Thers (L1)