L’immigration espagnole en Aveyron du XIXe à nos jours [2021]

EXPOSITION EN LIGNE (Clara TADIOTTO)

 

« La colonie espagnole ne fait plus parler d’elle, son intégration est considérée comme exemplaire. Très hétérogène, elle est formée d’émigrés économiques installés durablement, d’anciens réfugiés politiques qui font maintenant d’incessants allers et retours entre les deux pays, et de la deuxième génération issue de l’exil », explique Geneviève Armand-Dreyfus[1]dans un  article sur La constitution de la colonie espagnole en France.

L’immigration espagnole en France est, effectivement, un phénomène ancien. Les réfugiés politiques espagnols sont la première nationalité étrangère en France après la Première Guerre mondiale jusque dans les années 1970.  Ils se dirigent, entre autres, vers l’Aveyron, un département rural du sud-ouest. Comment ce département a-t-il accueilli ces différentes vagues d’immigrations ?

La longue marche des exilés espagnoles, tiré de l’exposition Memoria andando, collection J.Villamosa

[1] Historienne française, spécialiste sur l’exil républicain espagnol

Une immigration espagnole économique au début du XIXe siècle

Cette immigration espagnole du début du XIXe siècle est de nature économique, essentiellement composée de paysans, de vagabonds, de femmes et d’enfants. Ils se voient confier  des emplois dans des entreprises qui proposent des salaires très bas et avec peu de promotions professionnelles du à la faiblesse de leurs qualifications professionnelles. En Aveyron, 50 % des Espagnols travaillent soit dans les mines, soit dans l’agriculture.

La France connaît deux grandes vagues migratoires économiques, celle liée à la révolution industrielle de 1850 à 1914 puis une deuxième vague migratoire économique de 1914 à 1939 , en effet  même si l’Espagne n’entre pas dans la première guerre mondiale, elle en subit les conséquences économiques et sur l’inflation à cause de l’exportation de produits vers les pays en guerre. Cela va entraîner la famine dans les campagnes espagnoles et pousser les populations à venir en France. C’est dans ce mauvais contexte économique que  les espagnols sont employés en Aveyron notamment à Decazeville dans l’usine vieille montagne de Viviez spécialisée dans la métallurgie du zinc.

Le département profite de la politique d’accueil de main-d’œuvre étrangère en France, très ouverte durant l’entre-deux-guerres pour pallier le manque de main d’œuvre. Ce manque est particulièrement sensible en Aveyron qui connaît alors une faible natalité et souffre des pertes importantes de la Grande guerre.

Carte postale de Viviez, Usine de la vieille montagne, four à zinc, collection Industrie lu

Une immigration politique au milieu du XIXe siècle

À partir de 1936, l’immigration espagnole devient majoritairement politique. Cela s’explique par la fragilité de la République espagnole qui subit plusieurs révoltes comme celle des Asturies en 1934. Le 17 juillet 1936, le général Francisco Franco attaque la République, ce qui déclenche une guerre civile, qui oppose les Républicains aux Nationalistes.

La ville de Guernica après le bombardement de 1937, fonds des archives générales (Allemagne)

Cette guerre civile  dure jusqu’en 1939, date de la défaite des Républicains entraînant des vagues de migrations, dont la plus célèbre porte le nom de Retirada. Elle débute en février 1939 et compte près d’un demi-million de réfugiés qui passent la frontière française dans des conditions extrêmes à cause des frappes aériennes de Franco sur les Pyrénées et du froid et de la neige.

 L’intégration difficile des Espagnols

En fait, les migrations commencent dès le mois de janvier 1939, avec un afflux important de Républicains espagnols par les Pyrénées. Des camps sont construits afin d’accueillir cette forte migration, notamment dans le Sud-Est et le Sud-Ouest, destinés à les héberger à leur arrivée. On en dénombre un en Aveyron, au camp militaire du Larzac où les Espagnols ont des obligations militaires. La vie dans les camps est très difficile, les réfugiés sont exposés à la faim, au froid, aux maladies mais aussi à la violence de certains gardiens des camps.

Réfugiés espagnols pendant leur transfert au camp de Barcarès (66) en mars 1939, Robert Capa, Musée national de l’histoire et des cultures de l’immigration .

Les Espagnols font face à de grandes difficultés tant au niveau physique que psychologique. Ils subissent la xénophobie. C’est ce que l’on a appelé la grande peur, à savoir la crainte des Français face à l’arrivée massive à la frontière française de près d’un demi-million de personnes, civils et militaires, fuyant la répression franquiste. L’intégration des Espagnols est finalement réussie à partir des années 1940. Ne pouvant retourner en Espagne en raison du maintien de Franco au pouvoir, grâce au déclenchement de la Guerre froide, ils se sédentarisent en France, et, grâce à leur travail, bénéficient d’une ascension sociale. Ils profitent du boom économique des trente Glorieuses, investissent dans des maisons, se marient et construisent leur vie en France. 

L’Aveyron, un département qui attire toujours après 1945

Après la Seconde Guerre mondiale, la colonie espagnole est la seule colonie étrangère dont le nombre augmente puisque le gouvernement accorde, par le décret du 15 mars 1945, le statut de réfugié à tous les Espagnols fuyant la répression franquiste. L’immigration atteint son maximum dans les années 1960 grâce à la demande de main-d’œuvre due aux Trente Glorieuses et cela s’accompagne de différentes aides sociales mises en place par l’État et la hausse des salaires pour les travailleurs étrangers.

Les offres d’emploi de l’Aveyron

La France offre de nombreuses opportunités professionnelles, notamment en Aveyron avec l’exploitation minière (Decazeville, Le Gua, Cransac), la sidérurgie (Viviez) ou encore avec les ateliers textiles (Saint-Affrique).

Cependant, les entreprises locales ont du mal à recruter de la main-d’œuvre étrangère. Pour faire face à cela, les administrations favorisent l’immigration en régularisant les travailleurs en situation illégale.

Une politique administrative restrictive

Cette immigration est toutefois limitée et contrôlée à partir du milieu du XXe siècle par la politique administrative avec une surabondance de décrets et de circulaires comme la création de l’Office national d’immigration chargé de l’introduction des travailleurs étranger en 1946 lorsque le pays connaît un certain tassement économique de la production industrielle.

Avec la mort de Franco en 1975, de nombreux Espagnols décident de rentrer en Espagne, environ 15 000 retours par an. Au même moment en France, une politique migratoire restrictive se met en place à travers la loi Barre-Bonnet de 1979-1980, qui tente de réglementer l’entrée et le séjour en France. La France favorise les retours et aide les Espagnols à retourner en Espagne avec des subventions.

Affiche éditée par l’Office national des migrations, 1980 Collection Génériques

La sauvegarde de la mémoire de l’immigration espagnole

Aujourd’hui, il y a une tentative de sauvegarde de la mémoire de l’immigration espagnole en France, et plus particulièrement en Aveyron. Au niveau national, la fédération d’associations et de centres d’émigrés espagnols en France (FACEEF) y œuvre également.  Elle regroupe deux fédérations très importantes : la FAEEF et la APFEEF qui ont pour objectif de favoriser la reconnaissance et la valorisation de la communauté espagnole.  En Aveyron, notamment dans le Bassin de Decazeville, on peut voir par exemple une association nommée Memoria Andando, grâce à plusieurs manifestations et évènements. Elle permet de préserver l’histoire et la forte empreinte espagnole sur le Bassin de Decazeville. Des expositions temporaires ou permanentes sont organisées pour sauvegarder la mémoire, ainsi à Decazeville avec une exposition temporaire sur le 80e anniversaire de la Retirada réalisée du 5 au 23 février 2019 à la MJC de Rodez.

 

Ces vagues d’immigrations espagnoles ont réussi à s’intégrer progressivement en Aveyron et dans la société française après une arrivée particulièrement difficile sur le territoire français. Aujourd’hui l’immigration espagnole est considérée  comme intégrée dans la population française. L’immigration espagnole n’est pas la seule, on dénombre des immigrés Italiens, Portugais, Polonais …

 Pour en savoir plus :

Etudiant.es

  • Clarisse Jacquet
  • Fanny Sanchez
  • Clara Tadiotto
  • Milo Carrière