« Les Italiens dans le Sud-Ouest, c’est d’abord une histoire de migration sur fond de campagnes », d’après Laure Teulières, spécialiste de l’histoire des migrations.
Les Italiens ont, dès le XIXe siècle, été attirés par la France, un pays fort d’unification, notamment avec la mise en place d’une importante fabrique des nations[1]. Au total, il y aura plus de 27 millions d’émigrés italiens dans le monde, c’est le pays d’Europe qui a connu le plus fort contingent de migrants au départ. En Occitanie[2], l’immigration italienne a surtout été agricole. Comment se sont-ils intégrés dans la région ? Que lui ont-il apporté ?
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Une main d’œuvre italienne nécessaire
L’immigration italienne en France s’est faite en trois vagues. La première commence avec l’unification italienne en 1861 par Victor-Emmanuel II (Royaume de Piémont-Sardaigne). Les Italiens du Sud, majoritairement paysans, ne se sentent pas concernés par cette unification et ils sont dans la misère, ce qui les pousse à vouloir partir. En France, et plus particulièrement en Occitanie, on recense un déficit démographique qui freine le développement de la région. Considérée comme l’un des garde-mangers de la France, l’Occitanie a besoin d’agriculteurs qualifiés. c’est une aubaine pour les Italiens du sud qui vont s’y installer. On compte en 1881 plus de 240 000 Italiens dans l’hexagone. Cette première vague continue jusqu’en 1914.
Après la guerre et en raison des lourdes pertes démographiques, la France manque de main d’œuvre. La deuxième vague d’immigration débute. Les premières générations d’immigrés avaient déjà mis à l’œuvre leurs techniques qui sont appréciées par les Français. Les Italiens candidats au départ n’y sont pas insensibles et cela renforce leur envie de partir. Dès 1925, on dénombre dans l’actuelle Occitanie précisément 59 121 Vénitiens, selon Laure Teulières.
Enfin, la troisième vague d’immigration italienne débute après la Seconde Guerre mondiale. Les terres agricoles occitanes attirent toujours autant les Italiens qui ne cessent d’affluer. On compte dans les années 1960 plus de 10 000 familles italiennes installées autour de la Garonne. Cette dernière vague s’explique par une situation économique plus favorable en France au lendemain de la guerre qu’en Italie.
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La confrontation Italiens/ Français
Jugés plus robustes et plus prompts à travailler, les travailleurs italiens sont recherchés par les patrons, notamment dans le monde agricole dont ils sont issus. Ils introduisent leurs savoir-faire comme des techniques plus modernes d’agronomie ou de travail. Par exemple, ils préfèrent utiliser des chevaux de traits à la place des bœufs. Mais les Italiens n’ont pas de syndicat ou sont moins syndiqués, ce qui plaît aux recruteurs. C’est seulement en 1926 que le syndicat italien des travailleurs de la terre est créé avec l’aide de la CGT[3].
La bonne insertion professionnelle des Italiens ne va pas sans créer des jalousies et des tensions, ce qui provoque des rixes entres Italiens et Français. En 1893 à Aigues-Mortes, à la suite d’un changement d’organisation dans les salins, des différents éclatent entre les ouvriers français et italiens ce qui donne lieu à un massacre rare. Selon les autorités françaises, on dénombre 8 morts.
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L’apport culturel et l’intégration partielle, voire totale des Italiens
Nous avons dans notre imaginaire contemporain l’idée que les Italiens se sont mélangés rapidement et facilement dans la société française. En réalité, cela a pris beaucoup de temps et ne s’est pas fait sans heurts, on vient d ele voir avec le drame d’Aigues-Mortes. Les Italiens ont été les victimes de moqueries, d’insultes et de quelques rixes[4]. Des Français les qualifient de macaroni, critiquent et rejettent fortement leur nourriture et leur mode de vie. Des clichés circulent à leur sujet comme leur goût immodéré pour le jeu, la boisson, la prostitution ou l’escroquerie et les « magouilles ». Les enfants ne sont pas épargnés, victimes d’insultes à l’école, pas plus que les indépendants comme certains commerçants dont les commerces sont brûlés ou pillés.
Au final, Italiens et Français commencent à “se mélanger” : les Transalpins sont acceptés dans la « famille française » à partir des années 1960. Les Français s’approprient les éléments culturels italiens. Ainsi, à Sète, la tielle[5] devient un symbole de la ville. Les grands chefs cuisiniers s’intéressent de près à la polenta aussi, à la base un plat nommé “plat du pauvre” et peu valorisant. En outre, l’immigration laisse quelques personnalités françaises, souvent issues de parents italiens qui ont migré. Pour le Sud-Ouest, nous avons Léon Gambetta, né à Cahors en 1838, célèbre pour avoir proclamé la IIIe République. Nous pouvons ajouter Fabrice Luchini, Lino Ventura ou Coluche.
Conclusion
Les qualités de travail et apports culturels des italiens ont permis à ces derniers de s’intégrer progressivement, malgré des heurts, en Occitanie et plus largement en France au cours du XXe siècle. Il est possible de faire un parallèle aux immigrés polonais, espagnols, portugais et maghrébins.
Notes de bas de page :
[1] Création volontariste et médité de la pensé progressive de l’identité nationale, on se fabrique des ancêtres, une langue commune, met en place un roman national (par exemple, l’histoire de France de Jules Michelet)
[2] Terme anachronique qui désigne la région française qui résulte de la fusion des anciennes régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées.
[3] Confédération Générale du Travail
[4] Querelle violente accompagnée de coups, dans un lieu public.
[5] Plat à l’origine napolitain, composé de sauce tomate piquante et de poulpe
Pour en savoir plus :
- Bibliographie
- 4 phases de l’immigration italienne – Musée de l’histoire de l’immigration
- Les Italiens dans l’agriculture du Sud-Ouest (1920-1950) – Musée de l’histoire de l’immigration
Etudiant.es : KHAROUBI Jonathan (L2), MOULY Juliette (L2), Abadie Paul (L1) et Vincent Ludo (L1)