Contrairement à ce qu’on peut observer ailleurs, les deux phases de l’industrialisation à Mazamet ne sont pas liées au charbon puis au pétrole, mais plutôt à l’énergie hydraulique et à une branche spécifique du textile : le délainage. C’est une technique appliquée aux peaux de moutons dont le but est de séparer la laine du cuir. Au départ, le délainage n’est que la première étape de la mégisserie et du textile. Mais il devient ensuite une industrie à part entière dont le berceau se trouve à Mazamet. Cette fantastique réussite, qui dure pendant plus d’un siècle, jusqu’au premier choc pétrolier interpelle forcément. Comment donc cette petite ville du Tarn a-t-elle réussi à devenir la capitale mondiale du délainage ? Il semble que ce soit en réussissant son implantation dans l’hémisphère sud.
Du déclin du textile à l’émergence du délainage
L’industrie textile à Mazamet date, du XVIII° siècle. Il s’agit au départ d’une industrie avec un réseau industriel important et de structures familiales . Dans les années 1880, la crise du textile favorise la reconversion des usines dans le délainage, plus rentable. Cette reconversion s’observe dans le nombre d’ouvriers puisqu’en 1903 on compte autant d’ouvriers du textile que d’ouvriers du délainage. Cette montée en puissance de l’activité du délainage doit beaucoup à une minorité protestante active, menée par des bourgeois conquérants tels que Pierre-Elie Houlès, Olombel, Périé et Sabatier.
http://www.ville-mazamet.com/mazamet-culture-et-divertissements/page-l%C3%A9pop%C3%A9e-industrielle_2-1_9.htm
Pierre Élie Houlès, fabriquant de tissus, s’affirme sur le marché parisien et son petit-fils et successeur, Ferdinand Cormouls, sur celui de Londres. Il, contribue à l’essor de Mazamet en développant au XIXe siècle la draperie et le délainage, fondant dès ses 28 ans sa propre entreprise dans le textile. En 1851, il a l’idée de récupérer les peaux argentines non utilisées. Mais sa mort la même année, ne lui permet pas de connaître le succès du délainage. Un autre industriel mazamétain, Augustin Périé, fait ouvrir un comptoir en Argentine pour en exploiter les peaux souvent laissées à l’abandon. Citons encore le fabriquant Garric dans l’atelier duquel est née l’activité du délainage ou Charles Sabatié qui crée en 1871 à Mazamet, la première usine spécialisée dans le délainage. Pendant 200 ans la dynastie Cormouls-Houlès règne sur l’industrie locale, sept générations se succèdent.
Les atouts de Mazamet
https://www.google.fr/search?biw=1600&bih=757&tbm=isch&sa=1&ei=5Ds3XpCRHZKfgQbxvC8&q=mazamet&oq=mazamet&gs_l=img.1.0.0i67j0l9.0.0..9151…0.0..0.85.156.2……0……gws-wiz-img.vpz6lC
Mazamet dispose de nombreux atouts. C’est d’abord un carrefour naturel qui favorise le commerce, situé entre l’Aquitaine et le Languedoc. Les industriels exploitent aussi les vertus des eaux fluviales particulièrement favorables au délainage. L’eau de l’arnette peu calcaire et elle favorise le nettoyage des peaux. Les nombreux cours d’eau provenant ainsi de la montagne noire fournissaient une importante force motrice et des quantités d’eau suffisantes. Il faut savoir qu’il fallait une centaine de litres d’eau par peau.
Notons encore que la géographie de Mazamet n’étant pas favorable à l’agriculture, ses habitants se sont tournés vers les activités industrielles, fournissant une main d’œuvre précieuse.
Les ouvriers du délainage
https://www.google.fr/search?q=les+ouvriers+du+d%C3%A9lainage&source=lnms&tbm=isch&sa=X&ved=2ahUKEwi_19mD4bPnAhU6BGMBHZ15CFEQ_AUoAnoECAwQBA&biw=1600&bih=757
Le textile étant en crise et le délainage étant une industrie très lucrative, beaucoup de fabricants mazamétains se sont donc reconvertis. Les ouvriers s’adaptent avec facilité car le délainage n’est pas très éloigné de leur savoir-faire traditionnel. Ils sont majoritairement originaires de Mazamet ou des alentours. On parle “d’ouvriers paysans” car un tiers des recrutés sont fils de paysans et une moitié fils d’ouvrier du textile. Où vivent-ils ? Rarement en centre-ville et plutôt dans les villages ou dans la montagne noire proches.
Quels types d’ouvriers travaillent dans le délainage ? On en trouve trois : les sabreurs (essentiellement des hommes solides), les peleurs (en majorité des femmes surtout à partir du début XXe siècle) et les « marragos ». Les « marragos », sortes de manutentionnaires du délainage, représentent plus de la moitié des délaineurs mazamétains. Ils comprennent des hommes, des femmes et des enfants (dont le nombre va diminuer) qui devaient faire sécher les peaux en laines.
Quelles sont leurs conditions de travail ? Depuis 1900 ils commencent leur travail à 6 heures, font une pause entre 11 heures et 13 heures pour finir ensuite à 18 heures soit une journée de 10 heures. Ils travaillent aussi dans le bruit à cause des sabreuses, dans les mauvaises odeurs, dans l’humidité et les risques d’accident, notamment avec les sabreuses, sont importants. Peu à peu, les progrès techniques améliorent la situation. Les sabreuses françaises sont par exemple remplacées par des sabreuses anglaises plus sûres, tandis que des progrès sont faits dans l’organisation du travail. Reste que pendant l’été, la sécheresse amène du chômage technique et oblige à faire des travaux saisonniers notamment agricoles.
Malgré tout, ces ouvriers profitent d’une progression globale de leur pouvoir d’achat par rapport aux années 1850, de deux fois et demi en 1900.
Une dynamique menacée : la grève de 1909
https://www.ladepeche.fr/article/2009/02/17/560345-mazamet-des-enfants-pour-figurer-l-exode-de-1909.html
La loi de Waldeck-Rousseau sur les syndicats en 1886 et la création de sept syndicat à Mazamet en 1903 conduit à un contexte plus favorable à la grève.
Le 22 décembre 1908 le syndicat délaineur “Faux-Jaune” adresse aux patrons une demande d’augmentation par courrier. Après deux réponses négatives la grève est votée par les deux syndicats délaineurs le 10 janvier 1909. Face à la résistance patronale les deux syndicats « Rouge » et « Faux-jaunes » décident de s’unir malgré leurs divergences politiques. Cette grève bénéficie d’un soutien national avec notamment l’aide de la CGT. Ce mouvement, d’abord calme pendant deux mois connaît ensuite de violents incidents à l’encontre des non-grévistes, des patrons et des forces de l’ordre. Les patrons se servent de ces violences pour expliquer dans la presse que les salariés ont laisser la marchandise en souffrance, mais d’après Rémy Cazals les pertes ont été très faibles et ont servi d’excuse au patronat pour ne rien céder. Ceci augmente les tensions entre ouvriers et patrons et amène le président du conseil, Clémenceau, à intervenir en tant que médiateur. C’est finalement le 30 mars, face à une situation qui s’éternise que l’assemblée patronale se met d’accord avec les représentants des ouvriers pour la création d’une commission mixte composée de trois ouvriers et de trois patrons. Ce qui aboutit à la fin de la grève le 6 mai. Dans l’accord, les ouvriers obtiennent une augmentation de 7 % des salaires et la création d’une caisse de soutien en cas de maladie. Cette victoire ouvrière amène une poussée du vote socialiste aux législatives de 1910 et, dans le même temps, le vote d’une loi sur les retraites ouvrières.
Mazamet capitale mondiale du délainage, entre ascension et déclin
Mazamet, centenaire du delainage
Le délainage mazamétain est fortement impacté par la conjoncture mondiale. Cela est dû à ses nombreux comptoirs d’achat dans les pays du sud comme l’Argentine et l’Australie. Beaucoup de cadres du délainage vont même s’installer et fonder une famille en Argentine, ce qui améliore leurs connaissances du terrain. La grande quantité de laine et de cuirots que posséde Mazamet, fait de la ville un marché important de matières premières qui sert à l’approvisionnement de l’ensemble de l’industrie mondiale. Ses principaux clients sont l’italie et l’Angleterre. La ville bénéficie ainsi largement des phases de libre-échange. De 1880 à 1910 la quantité de laine expédiée est multipliée par neuf.
En 1903, on note que plus de 47 millions de peaux ont été achetés et les ventes de laine passent à plus de 18 millions et 6 millions pour les cuirots. En 1905, le coût de la laine grimpe à cause du conflit russo-japonais, ce qui permet à Mazamet de dégager entre 10% et 15% de bénéfices sur la revente.
En 1912 le délainage mazamétain connait son année record avec plus de 32 millions de peaux traitées et vendues sur l’année, ainsi que 10 millions de cuirots. Par comparaison, notons que les importations de peaux étaient au-delà des 57 millions et le chiffre d’affaires de 140 millions de francs, soit dix fois plus que le chiffre d’affaires des mines de Carmaux.
En 1914 la guerre perturbe fortement l’économie régionale et l’industrie travaille pour la Défense nationale. À partir de 1917 plusieurs usines ferment. Après la guerre, l’activité redécolle, retrouve ses résultats du début des années 1910 et continue à progresser jusqu’au début des années 1920. En 1929 la crise mondiale touche l’industrie à Mazamet, dépendante du marché international. En effet, Mazamet représenté à ce moment-là 85 % des peaux achetés à Buenos-Aires et 45% des peaux achetées à l’Australie. Mazamet doit, en outre, faire face aux risques de mesures protectionnistes anglaises et australiennes.
En 1933, malgré l’abandon du libre-échange en Angleterre, le délainage « remonte la pente », car la Grande-Bretagne préfère continuer d’acheter à Mazamet jugée plus performante que ses concurrents. La reconstruction de l’après-guerre permet une importante relance. En 1953 grosse progression de l’activité avec la création de deux nouvelles usines. Ensuite La création du marché commun va favorise le commerce du délainage. L’exportation vers les autres pays de l’Europe des six passes de 23% en 1953 à 53% en 1957. En 1959 les prix de la laine passe sous celui des fibres synthétiques ce qui permet une augmentation des ventes vers les USA. Dans les années 1960 on compte plus de 5000 salariés dans le délainage pour 52 usines. En 1972 record absolu avec plus de 105 millions tonnes de peaux achetées, favoriser par la sécheresse en Australie qui augmente anormalement le nombre de moutons abattus.
Mais le déclin ne tarde pas et à la suite du choc pétrolier beaucoup d’entreprises de délainage sont remplacées par des espaces verts, ou par d’autres bâtiments privés, sans rapport avec le délainage. Le nombre de chômeurs augmente de 15% entre 1983 et 1984, tandis que le nombre de peaux achetées dégringole, passant dans les années 1980 de 60 millions de tonnes à 40 millions. Malgré tout, Mazamet parvient toujours à exporter 75% de sa production, dont 50 % vers l’Italie qui devance le client historique britannique. Au début des années 1990 le poids du délainage est encore significatifs. L’Australie qui devient le principal fournisseur vend de plus en plus de viande au Moyen-Orient, ce qui permet à Mazamet de récupérer ses peaux. Mais l’économie évolue rapidement et l’activité du délainage, très conservatrice, a du mal à s’adapter. Dès 1965 le monopole mazamétain est remis en question. Mazamet est de plus en plus concurrencé par le délainage australien, argentin et italien, puis par l’arrivée de nouveaux acheteurs de peaux tels que les Chinois. La part des achats des peaux australiennes par les Chinois passent en effet de 2% en 1991, à 22% en 1994 pour atteindre 90% en 2010. Leur arrivée sur le marché a été soudaine et a surpris le délainage mazamétain malgré les avertissements du directeur présent en Australie. Les Chinois profitent des coûts de transformation très bas en vigueur dans leur pays et peuvent se permettre d’acheter à des prix au-dessus de ceux proposés par Mazamet. En 1996, on ne compte plus que 9 usines de délainage sur Mazamet et finalement les deux dernières usines ferment en 2004.
Aujourd’hui il ne reste de cette incroyable aventure textile que quelques microentreprises qui travaillent dans ce secteur dans le Tarn, mais avec un poids économique de moindre ampleur.
Etudiant : Sylvain Imart (L2)