L’église de Saint-Sauveur de Grandfuel et ses pèlerinages [2021]

L’église de Saint-Sauveur fut pendant des années une paroisse mais aussi une commune, comme en attestent les « registres des délibérations de la Mairie de Saint-Sauveur commencé le premier janvier 1813 », conservés aux Archives départementales de l’Aveyron.  Si l’église actuelle date du XVe siècle, son origine est bien plus ancienne.

Photo de l’église prise par l’association « Les Amis de Saint-Sauveur ».

La première mention de ce lieu, cité comme lieu de culte dépendant de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille date de 1079. Sur deux générations, l’abbé Marseillais possède de la famille dans les alentours de Millau et fait donc construire des prieurés dans le Rouergue. Au milieu du XIe, elle rejoint ensuite la juridiction de l’évêque de Rodez après des négociations entre clergé séculier et clergé régulier. Le 9 août 1758, l’église de Saint-Sauveur prend de l’importance en se dotant d’une relique, objet sacré dans la pratique des cultes collectifs catholiques. L’objet en question est une  épine qui aurait appartenu à la couronne déposée sur la tête du christ avant sa crucifixion.

Cette acquisition permet à l’église de gagner une notoriété nouvelle et la propulse au cœur de dévotions communes sous la forme de pèlerinages locaux. De 1893 à 1949, les pèlerins, en très grande majorité, des habitants et habitantes des milieux ruraux aveyronnais, participent à ces pèlerinages. Ils sont encadrés pour demander  le salut d’enfants atteints par des maladies comme la teigne ou encore pour obtenir la pluie ou le beau temps, et ainsi protéger les récoltes. Le premier pèlerinage, effectué le 15 mai 1893, soit un siècle après l’arrivée de la “sainte épine” dans l’église, est une procession commune pour demander que la pluie tombe, et les archives locales conservent l’idée que cette dernière a effectivement sauvé les récoltes. La même requête anime le dernier pèlerinage le 22 août 1949.  Ces pèlerinages locaux sont ainsi des manifestations de la culture populaire locale de la région, ancrés dans la vie quotidienne des habitants aux XIXe et XXe siècle, attirant jusqu’à 12 000 personnes. 

L’EGLISE DE SAINT-SAUVEUR : ARCHITECTURE NOTABLE ET MOBILIER CLASSÉ.

Photo du presbytère prise par Laura PAGES, 2020.
Photo de l’église prise par l’Association « Les Amis de Saint-Sauveur ».

L’église primitive de Saint-Sauveur de Grandfuel, au départ, un prieuré, était situé à l’emplacement du presbytère

On peut encore apercevoir à l’extérieur le chevet arrondi avec deux petits tourillons en encorbellement percés de canonnières sur les côtés nord et sud-ouest.

L’ÉGLISE QUE L’ON PEUT VOIR AUJOURD’HUI A ÉTÉ CONSTRUITE AU XVe SIÈCLE, MAIS ELLE A ÉTÉ FORTIFIÉE ET REMANIÉE AU XVIIIe SIÈCLE

Echauguettes assurant le flanquement des courtines aux angles du chevet plat, ce sont des tourelles sur culot partiellement soutenues par un contrefort d’angle rectangulaire, tour accolée au clocher octogonal. On peut voir comme élément défensifs des bouches ç feu, ébrasement extérieur rectangulaire typique de la première moitié du XVIe siècle.

Les fortifications se font à l’époque de la guerre de Cent Ans, où l’on cherche à préserver les églises des mercenaires qui venaient piller celles-ci.

Les réparations tout au long du XXe ont été apportées à cette église, comme la rénovation du toit du presbytère en 1918, ou encore la création d’une route en 1935 pour accéder plus facilement au site.

L’église n’est pas seulement remarquable par son architecture, mais aussi parce que certains éléments de son mobilier sont classés comme monuments historiques en 1981. Le premier objet est une chaire en bois sculpté peint et doré qui représente des scènes du nouveau testament. Le deuxième objet est un retable, qui constitue l’une des seules peintures. Ces deux objets viennent enrichir le site au moment où celui-ci devient le sanctuaire de la « sainte-épine », ce qui montre bien le rôle qu’a joué Joseph Pons, prieur de Saint Sauveur de 1737 à 1779 dont le projet était de valoriser son prieuré en le dotant d’un riche mobilier et d’une relique. Par la suite d’autres tableaux ont rejoint la collection d’éléments classés comme monuments historiques. 

Photo de la chaire prise par Laura PAGES, 2020.
Photo du retable prise par Laura PAGES, 2020.

L’ÉGLISE DE GRANDFUEL SE DOTE D’UNE ÉPINE.

Photo du reliquaire prise par l’Association « Les Amis de Saint-Sauveur ».

En 1238, c’est auprès d’un des derniers empereurs latin d’Orient, Baudouin II que Louis IX obtient une couronne d’épines que les chrétiens considèrent comme celle portée par le Christ lors de mise à mort. Louis IX décide alors de fait construire la Sainte Chapelle au Palais à Paris pour abriter cette importante relique. Progressivement, plusieurs épines semblent faire l’objet de transactions et rejoignent différents édifices chrétiens dans tout le royaume de France. Ainsi, au début du XVIe lors d’une visite pastorale en 1510, François d’Estaing explique par exemple que l’église Saint-Michel de Calmont-d’Olt, en Aveyron, renferme 25 épines de cette couronne, conservées dans une petite châsse placée dans une chapelle sous le chœur. C’est sûrement une de ces épines qui est donnée par le Prieur de Calmont-d’olt M. Brassat, à la paroisse de Saint-Sauveur de Grandfuel en 1758, à la demande de Joseph Pons. La « sainte épine » est conservée dans un reliquaire d’argent doré de 27cm de haut. L’épine mesure 5 cm de long et le culte de cet objet est renforcé par le fait qu’elle est composée d’une essence qui ne pousserait qu’en Palestine. En Aveyron, il existe d’autres épines entières notamment à Sainte-Eulalie-d’Olt. 

LA CRÉATION DES PÈLERINAGES.

Photo archive du pèlerinage de 1949.

Les pèlerinages qui commencent un siècle après l’acquisition de cette épine prennent la forme de réunions dont le déroulement se ritualise progressivement. Le pèlerinage commence par une messe, dite par le curé de la paroisse. Pour l’occasion, la sainte épine est sortie du reliquaire et exposée aux yeux des fidèles  sur l’autel. Il se poursuit par une procession, exclusivement masculine, formée des habitants, dont la grande partie sont des agriculteurs, guidée par l’évêque portant l’épine en tête de cortège. Ces cortèges sont exclusivement masculins, et les femmes ne sont pas autorisées à se joindre à la procession. Ces processions changeaient de destination à chaque fois qu’un pèlerinage était organisé. Par exemple pour le dernier pèlerinage du 4 août 1949, pour lequel a été conservée une archive appelant à la réunion des fidèles, cette manifestation collective et masculine, organisée pour demander la pluie, devait se rendre à la rivière du Viaur.

Les lieux restent stratégiques en fonction des demandes des pèlerins. En cas de demande pour qu’il pleuve, les pèlerins suivent un circuit particulier autour de sept paroisses différentes, puis se dirigent vers le Pont de Grandfuel : l’enjeu est de rejoindre le Viaur pour y tremper l’épine.  Au contraire, pour demander le beau temps, les croyants remontent la vallée afin d’atteindre le point le plus élevé, le plus proche du soleil. Une fois sur la colline, le curé, accompagné des pèlerins, pose la statue du Saint Sauveur afin de demander le beau temps. Enfin, pour demander des guérisons, et en particulier contre la teigne, particulièrement citée, les hommes effectuant la procession ne doivent ni boire ni manger. Si les pèlerinages ont pour objectif de formuler des prières spécifiques au monde agricole local aveyronnais, ils peuvent parfois servir à des vœux plus larges. Par exemple, en juillet 1914, un pèlerinage est organisé ; c’est aussi l’occasion de demander protection pour les hommes partis à la guerre quelques jours auparavant. 

Aujourd’hui, les pèlerinages ont cessé et peu de personnes savent que la petite église abrite une relique. Jusqu’en 1949, Ces manifestations réunissaient pourtant une foule de personnes, occasionnant également des recettes importantes pour l’église. 

Tableau récapitulatif des pèlerinages

Tableau réalisé par Laura PAGES, 2020.

Frise chronologique

Frise chronologique réalisée par Laura PAGES, 2020.

Pour aller plus loin

  • BEDEL C.P., “CASSAHNAS ARVIU AURIAC CAUMONT LA GRAND’VILA SAUMIEG SENTA-JALEDA”, Al Canton, 1996, p°108-p°109. DOR P., Les épines de la Sainte Couronne du Christ en France, Paris, 2013. 
  • DOR P., Les épines de la Sainte Couronne du Christ en France, Paris, 2013. 
  • HELVÉTIUS A.M. et MATZ J.M., Eglise et société au Moyen-Age Ve-XVe siècle, Paris, 2015.
  • VENARD M., “La construction des églises paroissiales, du XVe au XVIIIe siècle”, Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1987, n°190, p°7-p°24.