A l’aube de la Révolution, Graulhet se développe grâce à l’industrie de la chapellerie et de la tannerie. La plupart des citoyens graulhétois exercent alors une activité artisanale de travail du cuir. L’industrie de la ville prospère jusqu’à la fin du XIXe siècle, puis entre en crise du fait de la mécanisation de l’activité. Les activités de mégisserie se développent alors dans Graulhet grâce à la proximité de Mazamet, qui exploite la laine de mouton et vend les peaux en cuir aux ateliers mégissier de Graulhet. Avec ses 150 usines, cette petite ville prospère participe à la richesse industriel du Tarn et se place comme l’une des capitales mondiales du cuir. Comment l’industrialisation du cuir a-t-elle façonné l’histoire politique, économique et sociale de Graulhet ? Nous verrons que cette industrialisation a fortement marqué la vie graulhétoise, puis nous nous intéresserons à son expansion durant son âge d’or.
La forte industrialisation de Graulhet à la fin du XIXe siècle a profondément changé la vie de ses habitants. Du fait de la présence d’une main d’œuvre déjà formée aux différents secteurs du travail du cuir, de nombreux petits patrons ont installé leur mégisserie à Graulhet. Le nombre d’ouvriers ne cesse d’augmenter dans la ville, ce qui modifie la structure sociale et permet l’apparition d’une identité ouvrière. Les petites entreprises laissent place aux grandes de plusieurs centaines d’ouvriers. Les patrons font la course aux profits et à la productivité, tandis que les ouvriers prennent conscience de leurs droits et s’unissent pour les défendre. Graulhet connaît ainsi une forte syndicalisation : le premier syndicat apparaît en 1880, donc avant la loi autorisant les syndicats en France, datant de 1884. Les syndicats ouvriers sont très révolutionnaires et font de la propagande politique socialiste. En 1900, tous les ouvriers sont syndiqués à Graulhet.
Entre 1880 et 1910 Graulhet connaît donc un syndicalisme de masse. Ces syndicats sont très actifs puisqu’ils vont organiser plus de 13 grèves, dont la plus grande reste un épisode majeur dans l’histoire de Graulhet. La Grande Grève dura 147 jours, de 1909 à 1910, mobilisant la totalité des ouvriers, soit 1800 grévistes. Après une bonne production sur l’année 1909, les syndicats encouragent les grévistes à demander de meilleurs salaires, mais suite au refus des patrons la grève débute. Les enfants des grévistes sont envoyés dans des familles dans des villes voisines pour maintenir en grève le plus d’ouvriers ; cependant le froid et la faim finissent par faire céder les grévistes. Face à cet échec, les syndicats perdent une partie de leur crédibilité et dès 1910 Graulhet ne connaît plus le syndicalisme de masse.
Ces perturbations politiques portent un grand coup à l’industrie du cuir. Elle connaît cependant un renouveau lors de la Grande Guerre de 1914-1918 avec la fabrication de chasubles pour les soldats français. Après avoir équipé l’aviation militaire durant la guerre, les cuirs de Graulhet servent à équiper les aviateurs civils, avec notamment le célèbre « raglan » pour les pilotes. D’autres secteurs s’intéressent alors au savoir de ces mégissiers : en 1930, les sapeurs-pompiers de Paris s’équipent de vestes en cuir de Graulhet. La production est alors de plus en plus forte pour des clients nombreux et diversifiés. En 1930, l’industrie du cuir occupe toujours une place centrale à Graulhet, avec 95 mégisseries et 3500 ouvriers.
La Seconde Guerre Mondiale marque véritablement l’âge d’or de l’industrie graulhétoise : les usines tournent alors à plein régime et les ouvriers peinent à satisfaire la demande. Les célèbres vestes de char modèle 39 sont ainsi confectionnées en plusieurs milliers d’exemplaires. Sur une photo, le colonel Charles De Gaulle apparaît dans une tenue produite à Graulhet devant son régiment de chars. Les mégissiers fabriquent également de grandes quantités de chapes pour les soldats.
L’après-guerre est également une période faste pour l’industrie du cuir. Graulhet compte désormais plus de cent mégisseries, qui regroupent plus de 4000 ouvriers et réalisent un chiffre d’affaire de plus de 500 millions de francs. Durant les « Trente Glorieuses », les ouvriers se tournent vers d’autres secteurs d’activités moins fatiguants et se détournent des tâches les plus dures. Pour pallier cette situation, les patrons engagent alors des travailleurs immigrés : Graulhet accueille alors de nombreuses familles aux origines variées, qui sont logées dans des HLM construits en périphérie de la ville. Cet événement marque également l’apparition des multiples formes de xénophobie et de racisme dans la vie graulhétoise.
L’apogée économique de Graulhet est atteinte en 1974 : les mégisseries tournent alors à plein régime et la population de la ville s’élève à 14 000 habitants. Mais avec l’entrée en concurrence de pays tels que le Pakistan, l’Inde ou la Chine, la production graulhétoise s’effondre rapidement et les usines ferment les unes après les autres. Depuis 2010, on ne compte plus que douze mégisseries n’employant plus que 180 personnes. Cette activité a su survivre dans le Tarn et représente encore aujourd’hui un quart de la production française de cuir.
L’industrie du cuir a profondément marqué la vie graulhétoise et son histoire, tant sur le plan politique, à travers les syndicats au début du XXe siècle, que sur le plan social avec les travailleurs immigrés. Si l’industrie de Graulhet a connu son apogée grâce aux deux guerres mondiales, elle a connu son déclin avec l’ouverture à la concurrence du marché international. Aujourd’hui les mégisseries ne constituent plus le principal secteur économique de la ville ; pour autant, la production de cuir n’a pas disparu.