La gastronomie française a vu sa renommée s’affirmer au fil des siècles, des banquets médiévaux aux tables de nos jours. Cette gastronomie est basée principalement sur les produits dits du terroir. Parmi ces derniers, on trouve le roquefort. Ce fromage est originaire de Roquefort-sur-Soulzon, un village en Aveyron (Occitanie). Il a la particularité d’être bâti sur une paroi rocheuse constituée de failles, les fleurines, creusées par la nature. Ces dernières, jouent un rôle primordial dans le processus de fabrication du fromage, ce sont les fameuses caves de Roquefort. C’est l’addition de ces caractéristiques qui fait l’identité si particulière de ce fromage aujourd’hui. Se pose donc la question de la construction de cette identité, de la création à l’industrialisation du roquefort.
Il y a tout d’abord une légende autour de la création du roquefort, sans pour autant la dater. Un jour, un berger qui se laissait distraire par les femmes aurait oublié une tranche de pain recouverte d’une couche de lait caillé de brebis dans une grotte. En revenant dans celle-ci quelques temps après il aurait retrouvé le caillé de sa tartine recouvert d’un champignon, le penicillium roqueforti. Ainsi serait né le roquefort. Ensuite, les premières traces du fromage dans les sources datent de l’époque médiévale. Dans ses chroniques, Nokter le Bègue (moine bénédictin) fait part d’un repas de Charlemagne où ce dernier aurait goûté le roquefort. Il reconnu alors ce fromage et demanda qu’on lui en livre régulièrement à Aix-la-Chapelle. Enfin, on sait aussi que les caves de roquefort étaient exploitées par l’ordre du Temple pour la production de fromage. Le roquefort trouve donc ses origines au Moyen-Age dans un mélange entre mythe et faits réels.
L’identité du Roquefort tend à se préciser par la suite jusqu’à l’époque moderne. En effet, les rois successifs émettent des lettres patentes ou des décrets qui donnent des privilèges à la commune de Roquefort-sur-Soulzon pour la production du fromage. Le premier à donner ces privilèges c’est Charles VI en 1407 qui donne le droit à la commune d’élire ses consuls dans l’intérêt du commerce local autour du fromage. On peut également compter Charles VII, Louis XIV et François Ier. Une des mesures les plus importantes a été la délimitation, en 1666, d’un périmètre défini pour l’affinage en cave du roquefort : hors de ce dernier, le fromage ne peut pas bénéficier de l’appellation « roquefort ». Ainsi, la production de faux roquefort était limitée. La période amène donc une confirmation des bases de l’identité du fromage, elle garantit l’appartenance du roquefort à son lieu d’origine, au terroir.
La fabrication du roquefort suit six étapes bien distinctes. Il faut dans un premier temps collecter le lait des brebis de race Lacaune. Vient ensuite le moment d’emprésurage et de caillage du lait. La troisième étape est le découpage et le brassage. Pour que le roquefort obtienne sa forme de « pain », c’est-à-dire ronde, il est moulé puis saupoudré de Pénicillium Roqueforti. Cela entraîne la création des taches verdâtres bien connues et qui en font sa spécialité. La dernière étape dans le processus de production de ce fromage est l’affinage qui est fixé à 14 jours en cave, voire plus si nécessaire.
À l’origine, le Roquefort était produit grâce à des techniques artisanales. Mais on constate au XIXème siècle, une modernisation des techniques de fabrication. Cette évolution est due en partie à la sélection de brebis de race Lacaune, l’apparition des réseaux de transports (entraînant la mise en place d’un réseau commercial) et l’utilisation de machines. Ces divers changements ont permis une augmentation de la quantité de fromage produit. Le roquefort est à présent acheminé un peu partout mais surtout plus rapidement. Cependant l’industrialisation du Roquefort est précoce car le développement de l’industrie agroalimentaire a lieu dans l’entre-deux-guerres et après 1945.
Cet essor entraîne par la suite la création de nombreuses entreprises. La première est celle de Louis Rigal, « Rigal et compagnie » en 1842. Ces dernières s’équipent de machines et permettent la création d’emplois favorables à la population aveyronnaise. Elles mettent en valeur ce fromage notamment à travers leurs publicités.
Nous voyons qu’au fil des années, ce fromage à pâte persillée s’est développé. Il devient populaire grâce à l’augmentation de sa production due aux nombreuses révolutions (démographique, agricole, transport, industrielle). Il commence à être exporté au-delà des frontières aveyronnaises. C’est un des symboles du terroir du sud de la France. Il est devenu célèbre grâce à son goût très prononcé et son apparence originale qui ont séduit de nombreuses personnes. Ce fromage arrive petit à petit dans les habitations plus modestes, il n’est plus réservé exclusivement aux connaisseurs ou aux aveyronnais. Cette exportation a contribué à son succès qui perdure au siècle suivant.
Selon la Confédération Générale des Producteurs de lait de brebis et Industriels de Roquefort, les ventes du fromage connaissent une augmentation aux XXe et XXIe siècles. Jusque dans les années 1990, la quantité de fromage vendue par an dans le monde ne dépasse pas les deux millions de kilos. En l’espace de vingt ans, la quantité double et en 2016, la barre des quatre millions de kilos est dépassée. Progressivement, le roquefort a conquis de nouveaux marchés : l’Europe et l’Amérique puis l’Asie, l’Afrique et l’Océanie. Il est à présent vendu sur les 5 continents.
Face à ce succès grandissant, le fromage doit se protéger car il attire la convoitise. Sa protection est garantie essentiellement par des lois et des labels mis en place à différents niveaux. La Confédération Générale décide de créer son propre label, en 1930, le label Brebis Rouge. Ce dernier est garant de la qualité et l’origine des produits. À l’échelle nationale, le roquefort est protégé par la Loi d’Appellation d’Origine depuis 1925, connu sous le nom d’AOC (Appellation d’Origine Contrôlée). De même au niveau européen, l’AOP (Appellation d’Origine Protégée) est accordée au roquefort à partir de 1996.
Le roquefort est aussi un acteur majeur de l’économie locale. La création de produits liés au fromage est assurée par les entreprises basées au village de Roquefort-sur-Soulzon. On estime que l’activité permet l’emploi de plus de sept mille personnes. Près de deux mille exploitations laitières alimentent ces entreprises. De plus, l’attrait touristique amène en moyenne cent trente mille personnes chaque année. Le secteur autour du roquefort rapporte ainsi trois cent trente millions d’euros de chiffre d’affaire par an environ.
Pour conclure, on peut dire que le roquefort est un fromage très rattaché à son lieu d’origine et de production. Son identité de fromage du terroir s’est construite dès la période médiévale et n’a cessé de se renforcer au fil des siècles et notamment à partir du XIXe siècle. En effet, même avec l’industrialisation et la machinisation rapides, et la commercialisation qui s’ouvre à la mondialisation, le roquefort a su conserver son image locale et traditionnelle. Cette dernière a été reconnue officiellement par les rois de l’époque moderne puis labellisée à travers la certification AOP par exemple. De plus, la production de roquefort a permis le développement d’une économie pérenne au niveau local puisque le fromage est obligé de passer par les caves de Roquefort-sur-Soulzon en Aveyron. Le roquefort est un fromage avec une identité qui a su rester attachée au terroir à travers les époques et leurs évolutions.