UN ANARCHISTE ESPAGNOL« ALFONSO »

Et si nous vous proposions de plonger dans le périple d’un jeune anarchiste espagnol à la fois témoins et acteur de la guerre civile espagnole, l’exil et de l’internement aux camps ? Voici l’histoire Alfonso Mata…

Né dans une famille prolétaire à Barcelone (Espagne), Alfonso Mata voit le jour le 6 octobre 1914. Il est le dernier de la fratrie. Dès l’adolescence, à 16 ans, Alfonso travaille dans une usine de textile (qui fabrique des maillots de corps). C’est dans ce monde ouvrier qu’il est influencé par les autres travailleurs. En réalité, les idées qu’il entend dans son usine, sont les mêmes que celles de son père militant au CNT (Confederación Nacional del Trabajo). Ainsi adopte-t-il rapidement des idées de gauche. Dès sa majorité, Alfonso adhère, lui aussi, au CNT.

Légende :  Scherl/Süddeutsche Zeitung

Sa vie pendant la guerre civile espagnole est marquée par son engagement. La guerre civile espagnole est un conflit qui s’étend du 17 juillet 1936 au 1er avril 1939. C’est un coup d’État militaire partiellement raté de la part du général Franco qui en est à l’origine. Elle oppose deux camps : les républicains (orientés à gauche voire à l’extrême gauche) au camp nationaliste (orienté à droite voire à l’extrême droite). Durant cette guerre, Alfonso Mata fait partie de la milice confédérale. Composée de milices anarcho-syndicalistes et anarchistes, c’est une troupe de citoyens destinée à renforcer l’armée régulière ou la police. Le 19 juillet 1936, il intègre donc un peloton de 25 hommes qui s’arme contre le camp franquiste qui s’est insurgé contre la République. Fin juillet début août 1936, Alfonso part sur le front d’Aragon. Il participe à la bataille de l’Ebre jusqu’au 16 novembre 1938, mais décide, en raison de la situation de plus en plus défavorable aux républicains espagnols, de se replier à Barcelone. La victoire franquiste devenant imminente, il prend la route de l’exil dès le 20 janvier 1939.

Le départ en exil débute réellement le 21 janvier, de Barcelone à Gérone, il effectue le trajet à pied dans un froid absolu. Une fois arrivé à Figueras, il traverse les Pyrénées jusqu’à Port Bou qu’il atteindra le 3 février 1939 (la frontière avec la France). La frontière reste fermée pour lui, car c’est un ancien combattant. L’État français ne décide d’ouvrir sa frontière aux anciens combattants qu’à partir du 5 février. Fuir la répression franquiste vers la France a été la solution adoptée par nombre de républicains comme Alfonso. Il entre donc en France par le Cerbère deux jours plus tard. L’entrée s’effectue sous le contrôle et sous la surveillance de soldats français et de tirailleurs sénégalais. Même si physiquement Alfonso se trouve désormais de l’autre côté de la frontière, ses pensées vont à ses proches demeurés en Espagne et qui sont témoins de l’installation du régime franquiste.
Dès le lendemain, le 6 février 1939, Alfonso prend la route, à pied, avec ses compagnons, vers le camp d’Argelès-sur-Mer : il passe par Banyuls puis Collioure et arrive le soir même au camp d’Argelès-sur-Mer, installé sur la plage. Les déplacements s’effectuent toujours en présence de tirailleurs sénégalais et de la gendarmerie française. Quand Alfonso et les autres réfugiés arrivent à Argelès-sur-Mer, rien n’a été prévu pour les accueillir
.

Il n’y a pas de baraquements. Il dort à même le sable et souffre du froid et du vent qui balaie les lieux.

Les réfugiés espagnols dans le camp d’Argelès-sur-Mer, uniquement protégés par des tentes.Source : Le journal catalan (en ligne)
Les réfugiés doivent creuser le sol pour se protéger un peu. Source :

 En mars 1939, il est transféré au camp de Vernet.

 

 

Photographie du camp du Vernet. Source : Le Courrier des Deux-guerres (en ligne)

Le 12 avril un décret du président de la République oblige les hommes internés dans les camps à travailler dans les CTE (Compagnie de Travailleurs Étrangers). Le camp du Vernet étant encombré, Alfonso figure parmi ceux qui sont envoyés au camp de Septfonds.

Carte postale du camp de Septfonds
crédit photo : D.R

C’est un camp situé dans le Tarn-et-Garonne. On l’appelle aussi le camp de Judes.

Dès son arrivée le 6 juin 1939, il est intégré à une compagnie de travailleurs étrangers. On lui explique que le Gouvernement a fixé depuis plusieurs mois (avril 1939) des obligations aux étrangers réfugiés, désormais assujettis à offrir des prestations d’une durée égale au service militaire français, et que cette obligation se fait dans une CTE. Comme ses compatriotes, il s’engage donc.

Ces compagnies ont été créées pour pouvoir utiliser la main d’œuvre des réfugiés républicains espagnols, afin de réduire au maximum le coût de leur entretien. Alfonso est du même avis que ses compatriotes : si beaucoup s’engagent pour échapper au camp, ces CTE ressemblent à de l’esclavage moderne. On lui raconte les sélections humiliantes des fermiers qui choisissent les hommes en bonne santé. Pour les syndicalistes et les hommes de gauche, c’est très dur.

Alfonso se rend compte que le camp est une vraie plateforme de sélection et d’orientation des ouvriers. L’Inspection du travail leur fait passer des tests pour vérifier leurs compétences techniques, puis on les envoie ailleurs, parfois dans des régions éloignées. Il sait que ses compatriotes sont envoyés dans des fermes, dans des entreprises, dans des mines (Les Houillères de Decazeville, La Société minière de Roquelaure en Ariège), la sidérurgie (dans la Nièvre ou les forges de Geugnon en Saône-et-Loire)… Selon le travail, les hommes partent la journée, sont logés par leur patron (par exemple dans la ferme), partent plus loin et ne reviennent pas au camp. Alfonso travaille, lui, en tant que cuisinier à l’hôpital de Septfonds en dehors du camp. Il y passe la journée mais rentre le soir au camp.

Pendant ce temps, la France est entrée dans une période difficile, la Seconde Guerre Mondiale où elle s’engage auprès des forces alliées contre l’Axe. Cette guerre implique toutes les grandes puissances et touche quasiment tous les continents du 1er septembre 1939 au 2 septembre 1945.

En janvier 1940, le camp change de fonction, avec la déclaration de guerre, l’enrôlement dans les CTE devient obligatoire quand les autorités veulent interner d’autres catégories de personnes. On assiste à l’évacuation progressive mais pas totale des Espagnols du camp vers d’autres camps.

Alfonso, lui, reste au camp de Septfonds.

Dès mars 1940, le camp devient un centre d’entraînement pour les étrangers désireux de s’engager dans les « régiments de marche de volontaires étrangers.
En juillet 1940,
Alfonso apprend qu’il est possible de retrouver une vie normale, hors du camp pour les Espagnols qui peuvent être admis librement à résidence. Il faut pour cela ne pas être dangereux pour la sécurité publique et justifier de moyens d’existence (contrat de travail). Lui ne peut pas produire de contrat et en tant qu’anarchiste, il demeure suspect. Il reste donc au camp.
Le 27 septembre 1940, Alfonso assiste à la s
uppression des compagnies de travailleurs étrangers remplacées par des groupements de travailleurs étrangers. Ils sont rattachés au Commissariat à la lutte contre le chômage, division du ministère du travail. En application de la loi portant création des GTE, trois groupes sont formés au camp de Septfonds dont les groupes 552 et 533 composés d’Espagnols. Quant à Alfonso, il est affecté au groupe 533. Il reste travailler à l’hôpital mais ses compagnons sont employés à l’aménagement des routes, à la construction des barrages, à la coupe du bois, au travail dans des fermes, à l’aménagement des routes. Comme pour les CTE, certains rentrent le soir (comme Alfonso), d’autres vont dormir chez leur patron, ou dans des logements individuels en ville, tout en restant attachés administrativement au camp. Ceux placés individuellement dans l’agriculture étaient logés, nourris par leur patron et recevaient 10 F par jour.
En janvier 1942, le camp change encore une fois de fonction, il devient centre de triage régional pour les étrangers indésirables ou en situation irrégulière. Le mois d’avril est marqué par le départ d’Alfon
so pour Réalville. Il finit, donc, lui aussi, par quitter le camp, le GTE 533 et son travail à l’hôpital.

C’est parce que le groupement des travailleurs étrangers auquel il était affecté a changé de lieu géographique, qu’il est dans l’obligation de quitter son travail au sein de l’hôpital de Septfonds. Il est donc recruté par un particulier Mr Aubry pour une durée de 2 ans. Il lui offre un emploi (cultiver ses terres) et un toit et l’aide à trouver un futur métier mieux rémunéré.
Réalville marque un tournant dans sa vie car il y rencontrera Jeanne sa future épouse avec laquelle il se marie 2 ans plus tard. Le 8 décembre 1944 il trouve un travail sur Toulouse, il est embauché au grand hôtel de Toulouse rue de Metz en tant que cuisinier pâtissier. Il y travaillera jusqu’à début juin 1945 au salaire mensuel de 4000 francs.

De retour à Réalville il achète un local et ouvre sa boulangerie (grâce à l’économie qu’il a pu réaliser de par son travail à Toulouse)

Il est un exemple de ceux que le passage par Septfonds a durablement implantés dans le Sud-Ouest. Alfonso, en effet, ne retourne pas dans l’Espagne désormais franquiste et qui le reste après la fin de la Guerre, la priorité étant alors la Guerre froide.

Bibliographie