UNE DESCENDANTE D’ESPAGNOL INTERNE « ALEJANDRA »

Alejandra est née le 3 mars 1935 à Valencia sous la Seconde République Espagnole, dans laquelle son père s’identifiait aux idées politiques de Niceto Alcalá-Zamora. Elle est issue d’une famille de classe moyenne, avec un père travaillant en tant qu’ingénieur électricien dans l’industrie et une mère pratiquant la profession d’aide-soignante dans un dispensaire. En 1936, un putsch militaire contre la République sonne le départ d’une guerre civile qui va déchirer le pays, en divisant la population en deux camps : les Républicains et les Franquistes. Le père d’Alejandra est dans le camp des Républicains et décide d’aller combattre à Barcelone auprès de ses camarades politiques. Toute la famille le suit et va vivre à Mataró, dans la banlieue Nord de la capitale catalane. La lutte entre ces deux camps politiques est marquée par un évènement tragique pour les Républicains : la bataille de l’Ebre à l’entrée de Barcelone qu’ils perdront. L’issue de cette bataille entraîne la chute de Barcelone tenue par les Républicains, mais également un mouvement migratoire d’exil de la population républicaine espagnole vers la France et vers d’autres pays. C’est donc dans ce contexte qu’Alejandra, alors âgée de 4 ans et ses parents prennent la route. Plusieurs mois plus tard, au passage de la frontière franco-espagnole, la famille d’Alejandra est séparée, laissant son père voué à lui-même. C’est un traumatisme pour Alejandra, qui, avec sa mère, est orientée vers un refuge pour enfants accompagnés de leur mère à Marseille. Pendant ce temps, son père est interné dans un camp du sud-ouest de la France, à Septfonds (Tarn-et-Garonne), dans lequel les étrangers arrivaient en train via la gare de Borredon. Pendant ce temps Franco gagne la guerre en Espagne.

Arrivée des Espagnols et agitations à la frontière franco-espagnole, photo conservée aux archives de Haute-Garonne.

Interné à Septfonds le père d’Alejandra est intégré dans une Compagnie de Travailleurs Etrangers. Le gouvernement avait alors décidé d’utiliser cette main d’œuvre étrangère en imposant aux internés de fournir des prestations de travail d’une durée équivalente au temps du service militaire français,. Il commence par un travail agricole, puis industriel, à l’issue d’épreuves de sélection. Fin 1939, il est recruté à la Poudrerie Nationale à Toulouse, où il commence à gagner de l’argent qu’il peut envoyer à sa fille et sa femme restées à Marseille.

En juillet 1940, le père d’Alejandra obtient un contrat de travail avec les mines de Decazeville (Aveyron), ce qui lui donne la possibilité d’être libéré de ce camp et de retrouver son statut d’avant-guerre. Il travaille dans ces mines en tant qu’électricien. Avec ce poste, il acquiert une certaine stabilité dans sa vie quotidienne et demande donc le rassemblement familial, dans le but de retrouver sa fille et sa femme. Cette demande est acceptée et les filles de la famille le rejoignent et ils s’installent tous les trois à Cransac-les-Thermes (Aveyron), à côté de Decazeville. Alors que la Résistance Française prend de plus en plus d’ampleur (1942-1944), Juan, son père, lui prête de plus en plus son concours et finit par entrer dans la clandestinité, dans des groupes de sabotage.  Pour subvenir aux besoins de sa fille, la mère travaille comme aide-soignante à l’hôpital de Decazeville.

Opération de sabotage, image publiée sur le site tenu par le gouvernement : Chemins de Mémoire.

En 1946, Alejandra rentre au collège et apprend tout ce qu’il a bien pu se passer lorsque son père était absent. Vingt ans plus tard, Alejandra se marie à un Français, et donne naissance à deux jumeaux, dont elle ne transmettra pas sa langue natale. Un an après la mort de Franco (1975), les parents d’Alejandra retournent en Espagne, mais ont désormais une vision décevante de leur pays car ils ne le reconnaissent plus. Contrairement à ses parents, Alejandra ira régulièrement en Espagne, notamment dans le cadre des vacances.

A partir de 1982, la vie d’Alejandra est bouleversée de façon positive mais aussi négative, car elle perd son père puis sa mère en 1990. Par la suite, elle devient grand-mère pour la première fois, avec un de ses fils qui voit naître sa fille, Clara.

Pendant des années, l’histoire familiale est peu à peu oubliée. Ce n’est qu’au Noël 2005 qu’il resurgit quand Clara, l’arrière-petite-fille de Juan, étudiante en licence d’Espagnol à Albi interroge sa grand-mère sur la Retirada. Alejandra se rend compte qu’elle a en fait peu de souvenirs précis de ce qu’il s’est réellement passé et elle ne peut lui donner que quelques éléments de réponses. L’intérêt de sa petite-fille suscite en elle une forte émotion et elle décide de faire des recherches en allant voir ses proches. Elle est âgée et elle sait que c’est sa dernière chance de se rapprocher de ses parents décédés depuis longtemps, en connaissant lieux leur histoire. Elle se rend vite compte que ses proches ne partagent pas forcément son envie de savoir et que la famille ou les amis se divisent en en deux, avec d’un côté ceux qui veulent bien en parler et de l’autre ceux qui ne veulent pas. Après avoir obtenu quelques éléments supplémentaires de la part de sa cousine, elle se rend à la frontière franco-espagnole et plus précisément à La Jonquiera où a eu lieu sa séparation avec son père. Mais Alejandra ne s’arrête pas là et assiste entre février et juin 2006, à des conférences sur cette Retirada qu’elle a vécue avec ses parents. De fil en aiguille, tout cela l’amène à visiter Septfonds (camp, cimetière espagnol, maison des mémoires, …). Toutes ces recherches lui permettent de savoir exactement ce qu’il s’est passé. Cependant, elle ne s’arrête pas là, car elle va décider de témoigner de ce qu’elle a vécu et appris à travers une association d’exilé espagnol : l’ASEREF (Association pour le Souvenir de l’Exil Républicain en France).

Photo « actuelle » de l’emplacement du camp de Septfonds (Tarn-et-Garonne), source : Reporterre, le quotidien de l’écologie (en ligne).