La S.F.I.O en Aveyron, de 1901 à 1958.

« DU TRAVAIL, DU PAIN ! » - AFFICHE DE LA S.F.I.O. (SECTION FRANÇAISE DE L'INTERNATIONALE OUVRIÈRE).

« Heureusement qu’en Midi-Pyrénées, il y a un Aveyron pour s’opposer à la gauche, deux, ce serait sans doute trop ! ». C’est sur ces mots de François Mitterrand, lancés par le président de la République nouvellement élu en 1982 au maire de Rodez M. Boscary-Monsservin, que Jean-Michel Cosson introduit son ouvrage « La vie politique en Aveyron et à Rodez, de 1790 à nos jours ».

François Mitterrand en visite à Rodez en 1982.
Photo issue du livre de Philippe SAVIGNONI et Christian BOUSQUET : « RODEZ, « Aux yeux du souvenir » »

En ce sens, ces propos traduisent une image que l’on a de l’Aveyron comme un territoire conservateur, ancré à la droite de l’échiquier politique. Au carrefour du Sud-Ouest et du Sud-Est de la France, le « Rouergue » de son nom sous l’Ancien Régime, est géographiquement une porte ouvrant sur le sud de la France, à travers le Massif Central, reliant ainsi deux régions distinctes de France de par sa taille et sa position géographique. Apparaissant sous ce nom d’Aveyron qu’en 1790, avec la création des départements par la Révolution, le département et sa population rurale s’inscrivirent dans le conservatisme et les idées royalistes. Ce n’est qu’à l’apparition de la IIIème République que le département eut définitivement à s’acclimater aux idées républicaines, jusque dans les campagnes qui restaient majoritaires dans la population et donc l’électorat. La laïcité et la distance prise avec l’Église suite aux lois du début du XXème siècle eurent une forte contestation auprès des aveyronnais qui restaient majoritairement de fervents catholiques. C’est dans ce contexte qu’en 1905, la Section Française Internationale Ouvrière apparait en France sous l’influence d’hommes politiques comme Jean Jaurès. Dès lors, les idées des gauches et du socialisme s’ancrent dans les territoires, avec plus ou moins de force. En Aveyron, le conservatisme et la forte appétence pour les traditions font que la S.F.I.O mit plusieurs années à se développer à l’échelle départementale, malgré quelques bastions électoraux qui se développèrent. Les classes ouvrières peuplant certaines communes ou régions se développèrent de plus en plus, emmenant ainsi le décuplement de la prise des idées socialistes en Aveyron. De la loi pour les associations de 1901 et ce jusqu’à la fin de la IVème République, l’apparition et l’installation d’un socialisme rural dans des territoires comme celui de l’Aveyron, son expansion dans l’électorat et dans la représentation politique menèrent certains hommes politiques jusqu’au-devant de la scène nationale, voire internationale. Les deux guerres mondiales et les différents évènements internationaux qui bouleversèrent l’Europe et le monde apportèrent des changements qui se traduisirent jusque dans la sphère locale, dont l’Aveyron nous servira d’exemple.

L’Aveyron, dans la première moitié du XXe siècle a été le théâtre de profondes évolutions sociales et politiques notamment au sein de la IIIe et de la IVe République. Au cœur de cette période, ces tendances ont été marquées par les enjeux du XXe siècle reflétant de grand changements sociaux et des luttes idéologiques au cœur de la société française et aveyronnaise.

Au début du XXe siècle, le milieu rural aveyronnais était profondément attaché aux principes religieux prônés principalement par la droite conservatrice. Au contraire, la population ouvrière était plus ouverte aux idéaux républicains qui sont au pouvoir depuis la fin du XIXe siècle. Cette opposition caractérise la première tendance sociale, présente dans la France de 1901, opposant ainsi les partisans républicains au monde rural ancré dans le conservatisme et le cléricalisme. L’évolution des mentalités se frotte à une contestation au sein de l’électorat, le milieu rural en Aveyron restant prépondérant. L’apparition d’un électorat républicain, de gauche principalement, se fait sentir dans les milieux urbains tels que Rodez, Millau ou encore Decazeville, lieux où les idées républicaines épousent des métiers ouvriers.

Cependant, une dynamique changeante émerge symbolisé par l’influence croissante des idées socialistes qui se répandent dans le département et ce jusqu’à l’orée de la Première Guerre Mondiale. La IIIe République a vu l’émergence de ces mouvement ouvriers et syndicaux. Les travailleurs, y compris ceux de l’Aveyron, ont commencé à revendiquer le droit de grève (lien les grandes grèves de la ganterie Millau). Alors la création de syndicats comme la CGT s’instaurent au sein de la population ouvrière. L’Aveyron, majoritairement rural, dont les activités agricoles étaient au cœur de l’économie locale voient ses tendances sociales marquées par cette domination agraire.Entre 1900 et 1939 l’extension du droit de vote voit la participation électorale en Aveyron augmenter, comme peuvent nous l’indiquer les chiffres suivants : en 1910, 17 561 inscrits pour les élections législatives et 14 150 votants. En 1924, ces chiffes passent de 105 338 inscrits et 86 498 votants. Cette extension électorale va faire évoluer les tendances politiques en Aveyron, que nous allons tâcher d’exposer maintenant. De 1900 à 1914, l’Aveyron hérite d’une situation de la fin du XIXe siècle où l’affrontement entre les « blancs » représentant la droite, et les « rouges » représentant la gauche, va se poursuivre. La considération des problèmes économiques et sociaux qui touchaient les agriculteurs fit osciller l’électorat, mais la principale tendance en Aveyron reste dans le conservatisme hérité et donc le vote pour les partis de droite. L’évolution socialiste en Aveyron fut donc lente et tardive et l’émergence du socialisme s’imposant dans l’électorat comme tendance politique en Aveyron n’arrivera qu’en 1924 et l’élection de Paul Ramadier, alors député S.F.I.O, élu dans la circonscription de Villefranche de Rouergue. De 1919  jusqu’à la veille de la Seconde Guerre Mondiale un équilibre politique régna en Aveyron mais fut troublé notamment avec la division entre la droite appelée le bloc national et les socialistes et les radicaux appelés  « Le Cartel des Gauches ». Phénomène qui se traduisit en local, tout comme au national.

Composition de l’Assemblée Nationale de 1924 à 1928
Graphique issu du site https://wikirouge.net/Fichier:Assembl%C3%A9eNationale_1924.jpg#filehistory

Après la Seconde Guerre Mondiale le socialisme et le communisme gagnèrent de l’ampleur dans les campagnes, les bastions ouvriers à Decazeville ou Aubin et donc auprès des électeurs. La IVe république fut marquée par une instabilité politique liée à l’impact de la guerre et l’ampleur de la reconstruction faisant émerger des tendances sociales et des leur traductions électorales. Une nouvelle évolution des mentalités, comme durant la IIIe République, déclenchée par les conflits internationaux permanents firent des conditions de travail mais aussi de l’égalité des sexes au niveau électoral des enjeux à prendre en compte. Il est important de noter que la IVe République fut une période complexe de l’histoire politique française marquée par des défis économiques, sociaux et politiques tels que cela vient d’être exposé.

            Les tendances politiques et sociales aveyronnaises de 1901 à 1958 furent donc majoritairement guidées par les problèmes sociaux liés aux travailleurs agricoles et la montée du socialisme et de la S.F.I.O bien que lente. Cette montée se lia aussi aux idées émergentes du socialisme à l’échelle nationale, ainsi que par les tensions politiques et les bouleversements sociaux qui ont caractérisés le contexte international du XXe siècle.

Dans le tumulte politique et social d’une époque révolue, la Section Française de l’Internationale Ouvrière (S.F.I.O) a cherché à incarner l’espoir des classes ouvrières et agraires de France. Cette quête s’est manifestée à travers des propositions de réformes audacieuses, tant à l’échelle nationale que régionale, visant à redonner voix à ceux qui travaillaient sans relâche. Les débuts de la SFIO, marqués par les figures emblématiques de Jean Jaurès et Jules Guesde, se sont définis par une lutte inlassable contre le nationalisme belliqueux et les politiques coloniales françaises. Leur vision sociale et démocratique a prôné des réformes essentielles, telles que la réduction du temps de travail et l’amélioration des conditions salariales, afin d’apaiser les maux de la société. Dans l’entre-deux-guerres, la SFIO a traversé des débats sur le nationalisme et l’internationalisme, mais elle a aussi trouvé l’unité au sein du Front populaire en 1936. Cette période a vu la concrétisation d’importantes avancées sociales, telles que la semaine de 40 heures, les accords de Matignon, et les premiers congés payés.


Après la guerre, la SFIO a soutenu la reconstruction de la France à travers la création de l’État-providence. Les nationalisations des industries et l’introduction du SMIC ont permis de redonner espoir et dignité aux travailleurs. Malgré l’exclusion des ministres communistes en 1947, la SFIO a joué un rôle central dans la résistance et les initiatives de reconstruction. L’impact de ces réformes a résonné profondément en Aveyron. Les avancées sociales ont amélioré les conditions de vie des ouvriers et réduit les inégalités, tandis que la reconstruction du pays a renforcé l’unité nationale. En Aveyron, bien que la SFIO ait été moins présente en raison de la prédominance des populations agraires, ses idéaux ont tout de même trouvé écho. Paul Ramadier, maire de Decazeville, a notamment incarné ces valeurs en menant des réformes locales pour améliorer la cohésion sociale et les services publics. Ainsi, les idées socialistes se sont insinuées dans la trame aveyronnaise, apportant avec elles un souffle de renouveau et d’espoir.

Source : FONVIEILLE-VOJTOVIC Aline. Paul Ramadier (1888-1961) : Élu local et homme d’État, Paris, Éditions de la Sorbonne, 1993

C’est ainsi que la SFIO a laissé une empreinte indélébile sur le paysage politique et social de la France, avec un impact moins important en Aveyron mais qui s’est renforcé jusqu’à la fin de la période étudiée.

C’est dans un climat cerné de guerres mondiales que la IIIème et la IVème République Française s’expriment sur une grosse moitié du XXème siècle. Ce contexte emmena avec lui des changements politiques et des comportements électoraux mouvants, et ce même à un niveau local comme nous venons de le démontrer. L’Aveyron resta majoritairement, dans ses territoires, marquée par la droite politique. Cependant, résumer tout le département à ce simple constat serait réducteur vu le poids des gauches sur toute la période étudiée. Première force d’opposition principale, ces partis de gauche ont su trouver leur place. Majoritaire dans certains cantons, la S.F.I.O a su se faire une place dans ces gauches politiques et établir des bastions qu’elle conservera pendant plus de 30 ans. L’aveyronnais s’attachant aussi beaucoup aux personnalités fortes engendra le fait que la S.F.I.O s’exprima dans certains cantons plutôt que d’autres en Aveyron, au-delà de ses idées séduisant ouvriers et paysans dans un cadre aussi local que national.

L’exemple de Paul Ramadier est le plus évocateur à l’échelle locale, élu aveyronnais qui put même s’exprimer et être nommé à des postes de gouvernance nationale.

En cela, nous pouvons donc nous demander si la S.F.I.O a permis un ancrage durable de la gauche socialiste laissant un terreau solide pour le Parti Socialiste dans la seconde moitié du XXème siècle, et même jusqu’à aujourd’hui ?

Bibliographie (cliquez)

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