Archives mensuelles : décembre 2019

Les Chrétiens Assyriens et Arméniens : victimes collatérales du conflit opposant Turcs et Kurdes

Alors que les médias mainstream occidentaux ont récemment traité de la question kurde avec abondance suite à l’invasion d’une partie du nord de la Syrie par l’armée turque, le sort des Chrétiens Assyriens, de langue syriaque (un dialecte araméen), mais également Arméniens, reste en suspend. Vivant principalement dans le nord-est de la Syrie, la Communauté chrétienne principalement assyrienne, a subi de plein fouet l’offensive turque et continue à en payer les conséquences. Les troupes turques ont procédé suite à leur offensive à une campagne d’épuration ethnique des populations kurdes, arméniennes et assyriennes dans le nord-est de la Syrie, en expulsant ou massacrant les membres de ces trois communautés. Des milices d’autodéfense chrétiennes, déjà formées pendant le conflit syrien, organisent la défense et la surveillance des villages chrétiens en vue de futures exactions. Ces exactions sont d’autant plus redoutées que l’armée turque, qui est déjà coutumière des opérations d’intimidation et de massacres, s’appuie sur des milices paramilitaires de volontaires islamistes, le plus souvent apparentés au front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaïda) et de l’Armée Syrienne Libre (un groupe islamiste inféodé aux Frères Musulmans).

Le Nord-Est de la Syrie : un No Man’s Land géopolitique

La présence de la minorité kurde dans le nord-est de la Syrie a fourni un prétexte au gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan pour envahir la région, en particulier le Rojava, en octobre 2019. Des combats opposants les factions kurdes des YPG (Unités de défense du peuple) et du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à l’armée turque avaient émaillé la région. Une trêve avait parvenue à être conclue à la mi octobre avec l’intervention des États-Unis. Néanmoins, la région reste aux prises de l’armée turque et des mouvements indépendantistes kurdes, dont les escarmouches marquent l’actualité. Les Chrétiens Assyriens et Arméniens sont pris dans l’étau des affrontements entre les deux camps rivaux, espérant un soutien de l’armée arabe syrienne face aux troupes turques.

La vulnérabilité des Chrétiens face à la porosité des alliances et à l’absence de véritable soutien logistique

Les craintes des populations assyriennes et arméniennes, ayant déjà subi les déplacements dus aux expulsions entreprises par les troupes turques et à la fuite des zones de combat, est accentuée par la présence de supplétifs islamistes épaulant l’armée turque. Ces supplétifs sont principalement extraits des rangs du Front Al-Nosra et de l’Armée syrienne libre. Parmi les victimes des bombardements turcs dans la région du Rojava figuraient de nombreux Chrétiens, notamment assyriens. De surcroît, les Assyriens et les Arméniens sont suspects tant aux yeux du gouvernement turc que des milices kurdes. Bien que les milices kurdes n’entreprennent pas de persécutions contre les Chrétiens (des opérations d’expulsion avaient cependant été entreprises en 2014 par les Kurdes), les Chrétiens sont perçus comme d’éventuels rivaux par les Kurdes, menaçant selon ces derniers le projet d’indépendance du Rojava et des autres enclaves kurdes du Nord-Est de la Syrie. Cela n’a pas empêché par ailleurs la constitution de milices mixtes kurdes et chrétiennes face à l’invasion turque en novembre 2019. Les Turcs quant à eux, les voient comme de dangereux agents révolutionnaires, qu’ils associent aux Kurdes, en dépit des mésententes qui peuvent marquer, même sporadiquement, les relations entre kurdes et chrétiens.

Les minorités en Syrie victimes des enjeux géostratégiques

En juillet 2014 pourtant, les milices kurdes YPG avaient enjoint les Chrétiens Assyriens des Plaines du Ninive, près de Mossoul, en Irak, de déposer leurs armes, leur ayant assuré leur protection, avant d’évacuer la région, laissant seuls les Chrétiens face à l’État Islamique. Les Chrétiens de Syrie craignent de subir le même sort que leurs coreligionnaires irakiens face à l’arrivée des troupes turques. Les récentes alliances entre kurdes et chrétiens ne garantissent pas une entente durable entre les deux communautés, bien que la menace turque vienne fédérer ces deux minorités face à un ennemi commun. Le rôle de la Russie dans le maintien d’un équilibre géopolitique entre la Turquie d’un côté et l’Iran et la Syrie de l’autre, et le retrait américain annoncé début octobre, n’augurent pas un avenir favorable aux minorités dans la régions, dont le sort est scellé par les enjeux géopolitiques des grandes puissances.

Guillaume CHABANNE

Le synode sur l’Amazonie : un saut qualitatif théologique dans le domaine de l’œcuménisme

Entre le 6 et le 27 octobre 2019 s’est tenu le Synode sur l’Amazonie du Vatican. Ce synode avait pour but de rapprocher la curie romaine des communautés indigènes d’Amazonie, dans une perspective œcuménique. Il s’agissait de rappeler le rôle évangélisateur de l’Église catholique en adaptant le discours du Vatican aux principes de tolérance et de dialogue interreligieux dont se réclame l’Église catholique depuis le Concile Vatican II (1962-1965). Le Pape François a rappelé à l’occasion le rôle de l’écologie auquel l’Église et les dirigeants mondiaux se doivent d’être les garants, s’inscrivant ainsi dans la continuité de sa bulle intitulée Laudato Si (2015). Le contexte international marqué par un renouveau en matière d’écologie avec l’émergence de figures telles que Greta Thunberg, mais également par l’expropriation de plus en plus criante des communautés amérindiennes d’Amazonie par le gouvernement brésilien de Jair Bolosonaro, en vue d’exploiter la forêt amazonienne, constitue le cadre de ce synode.
Néanmoins, la tournure qu’ont pris les événements ont suscité une vive polémique au sein de la curie romaine, quant à la forme qu’a prise ce synode. En effet, le Pape François a accueilli au sein du Vatican, des processions païennes sur la base de prières et d’incantations en faveur des divinités amazoniennes, notamment Pachamama, la déesse-mère des peuples dont les émissaires étaient présents durant le synode.

Un synode sur fond d’écologie et de réhabilitation des peuples indigènes d’Amazonie et d’Amérique

Le synode sur l’Amazonie s’inscrit dans un contexte international marqué par une forme de renouveau écologiste. Ce renouveau se caractérise par une participation plus accrue de figures émergentes de la société civiles telles que la jeune Greta Thunberg, collégienne âgée d’une quinzaine d’années, qui a prononcé plusieurs discours enjoignant les dirigeants du monde à prendre des mesures nécessaires en vue de combattre le dérèglement climatique. Le choix de la divinité honorée au cours du synode n’est en cela pas anodin. En effet, Pachama est la déesse-Mère des communautés indiennes andines et amazoniennes. Elle constitue une allégorie de la Terre nourricière, figure maternelle récurrente dans les sociétés matriarcales. Bien que cette figure ne fasse pas partie de la théologie chrétienne, elle fut mise en exergue pendant la synode afin de rappeler la conciliation de l’écologie et du dialogue interculturel et interreligieux cher au Pape François. De surcroît, le Pape François, d’extraction argentine, a appelé à plusieurs reprises à la protection des peuples indigènes d’Amérique centrale et méridionale. Le récent synode réalise par conséquent une synthèse de ces deux problématiques qui lui sont chères. La protection des peuples amérindiens revêt une dimension écologique dans la mesure où la bulle Laudato Si mentionnait la Terre comme la « maison commune » des hommes et de leurs écosystèmes respectifs.

Le syncrétisme païen et chrétien : un saut qualitatif théologique qui suscite la polémique au sein de la communauté catholique…

Pour autant, le synode, bien qu’il fut accueilli avec bienveillance par les représentants des communautés indiennes qui y étaient conviées, fut loin de faire l’unanimité au sein de la communauté catholique dans le monde. Des catholiques non identifiés, dont on ignore s’il s’agit de laïcs ou de clercs, ont subtilisé les idoles à l’effigie de Pachamama pou les jeter dans le Tibre. Ces catholiques étaient désireux de conserver l’intégrité religieuse des lieux saints censés ne pas accueillir des représentations non chrétiennes. De surcroît, Pachamama est représentée sous les traits d’une femme nue et enceinte. Le parallèle avec la Vierge Marie, ayant enfanté le Christ, pouvait paraître équivoque et ambigu aux yeux des Catholiques les plus assidus. À cela vient s’ajouter la nudité, dont l’Église catholique n’est pas coutumière dans ses représentations iconographiques, et dont seuls Adam et Ève où le Christ enfant sont affublés, représentant l’innocence précédent le pêché originel, ou l’innocence christique.

… qui ne constitue pourtant pas la première forme de syncrétisme religieux qu’a tenté d’entreprendre l’Église catholique au cours de son histoire

Bien que le geste des catholiques ayant jeté les idoles amazoniennes dans le Tibre soit concevable d’un point de vue théologique, la présence desdites idoles est le fruit de contradictions qui ont émaillé la diffusion du Catholicisme au cours de son histoire. En effet, l’Église a souvent tenté de convertir les païens par un effet de syncrétisme, en christianisant les cultes anciens. Ainsi, Saint Georges est une christianisation du culte germanique de Sigurd/Sigfried, héros du panthéon germano-scandinave, dont le culte était prégnant au sein des légions romaines de la partie occidentale de l’Empire romain au IVe siècle de notre ère, parmi lesquelles figuraient de nombreux auxiliaires germaniques. Les festivités religieuses indo-européennes, la Toussaint (Samhain chez les Celtes), Noël (Iule chez les Germains, les Saturnales chez les Romains), Pâques (la célébration de Freyja, la déesse germanique de la fertilité), les feux de la Saint-Jean, célébraient les changements cycliques et cosmiques marqués par les solstices et les équinoxes. Il en va de même pour la fête des morts au Mexique, qui n’est autre qu’une christianisation d’un ancien culte des ancêtres aztèque.

Le caractère païen assumé du synode, loin des anciennes conversions au Christianisme

Néanmoins, là où autrefois l’Église catholique sanctifiait d’anciennes pratiques religieuses et sociales en les christianisant, le Vatican a opéré un véritable saut qualitatif en invitant à célébrer une divinité dont il reconnaissait le caractère païen. La Christianisation n’était donc pas achevée. Les dieux et héros païens d’autrefois étaient en effet affublés d’épithètes et de nom correspondant au calendrier chrétien. La tentative de dialogue amorcée par le Pape François a pu paraître aux yeux des Catholiques les plus assidus comme maladroite, là où d’autres y ont vu une preuve de « bonne foi » au sens purement moral et extra-chrétien du terme. Cet événement montre à quel point l’Église catholique est soucieuse de conserver sa place dans le dialogue interculturel et interreligieux mais également son positionnement de plus en plus indécis sur le choix de la conversion des non chrétiens, qui constitue pourtant sa première mission.

Guillaume CHABANNE

Liban : une crise politique conjoncturelle aux imprécations nationales et internationales

Les récentes manifestations au Liban font suite à la décision du gouvernement de l’ancien Premier Ministre Libanais Saad Hariri d’imposer de nouvelles taxes sur le carburant. Cette crise aux multiples facteurs historiques et conjoncturels, s’explique par l’état de corruption du pays, divisé entre factions politico-religieuses et mû par une constitution qui tente tant bien que mal de maintenir un statu quo entre les différentes communautés et factions politiques du pays. Cette crise traduit les divisions internes au gouvernement mais ne semble pas impacter la capacité du peuple libanais à dépasser les clivages religieux afin de faire cause commune contre le gouvernement et l’État. Le climat mondial de luttes sociales qui a vu la naissance des Gilets jaunes en France, mouvement qui connaît des ramifications dans le reste de l’Europe, la crise politique de Hong Kong, les révoltes sociales que traversent le Chili, la Bolivie et le Venezuela et les manifestations anti-gouvernementales en Algérie semblent traduire un climat de contestation international à l’encontre des politiques d’austérité, des politiques fiscales et de la corruption des États et de la classe politique dans le monde. Ce climat international a favorisé l’émergence d’une fraction contestataire au sein de la population du Liban, dont les manifestations récentes semblent davantage se situer dans la lignée des récentes révoltes sporadiques et massives dans le monde que comme le parachèvement des printemps arabes. Différentes revendications telles que l’égalité juridique des hommes et des femmes dans l’accès aux emplois, la transmission patrimoniale des biens ou la participation à la vie politique viennent également égrainer les contestations de la rue libanaise. La crise libanaise est par conséquent la synthèse d’une conjoncture économique, sociale et politique à l’échelle tant nationale que régionale et internationale.

Une mobilisation populaire sur fond de crise économique et de corruption

Le 17 octobre 2019 voit la première mobilisation de la rue libanaise. Les manifestants, excédés par les taxes et la corruption qui gangrène le pays, décident de faire entendre leur voix. De surcroît, le gouvernement de salut national fondé sur la réconciliation entre le clan sunnite des Hariri, proche des États-Unis et de l’Arabie Saoudite, et le président Michel Aoun, allié du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran, n’est pas parvenu à trouver de réponse durable aux divisions qui affectent le Liban. Faute de pouvoir réellement trouver un compromis avec la population, et sous la pression des manifestations, le Premier Ministre Saad Hariri démissionne le 29 octobre, soit douze jours après le début de la mobilisation. Malgré les heurts qui ont émaillé les manifestations, et ces derniers aux militants chiites du Hezbollah et du mouvement Amal (alliés de Michel Aoun), la mobilisation se maintient, sur fond de refus des partis et des clivages confessionnels. L’unité nationale est l’un des arguments politiques des manifestants libanais, qui entendent fustiger dans la réconciliation formelle des Hariri et de Michel Aoun, ce qu’ils considèrent comme une hypocrisie du gouvernement. Les manifestants que la question de la représentation religieuse sous couvert de pluralité est un subterfuge du gouvernement qui vient sciemment éluder la corruption qui affecte le pays. La décision du gouvernement libanais d’imposer de nouvelles taxes sur le carburant est venu s’ajouter à la lassitude de cette fraction de la population libanaise.

Une crise sur fond d’un climat international de contestation

La crise libanaise s’inscrit dans un climat international de contestation, amorcée par le mouvements des Gilets jaunes en France milieu novembre 2018. Ce climat contestataire est également marqué par les manifestations anti-gouvernementales au Chili, où la répression policière connaît une violence sans précédent depuis le régime de Pinochet. Les manifestations algériennes contre le gouvernement d’Abdelaziz Bouteflika et du Front de Libération Nationale (FLN) marquent également cette actualité internationale. Les manifestations en Algérie ont d’ailleurs été le principal modèle d’inspiration des manifestants libanais. Les revendications politiques et sociales en Algérie tant qu’au Liban, sont similaires : destitution du gouvernement jugé corrompu, renouvellement de la classe politique, égalité juridique entre les sexes, lutte contre la corruption. La place des femmes est d’ailleurs primordiale au sein des manifestants. Une figure féminine a d’ailleurs émergé du mouvement. Malak Alaywe Herz, qui a été filmée en train d’asséner un coup de pied a un membre du service de sécurité du Ministre de l’éducation, alors armé d’un fusil d’assaut. Son identité, d’abord anonyme quelques jours après les faits, a finalement été révélée. Avant de connaître son nom, Malak Alaywe Herz se faisait appeler la « Marianne libanaise », une allusion à l’allégorie de la République française et figure emblématique, bien que fictive, de la Révolution française. Les femmes revendiquent par ailleurs l’égalité juridique, notamment dans l’accès à l’emploi et dans la transmission des biens et de la nationalité libanaise, fonctions qui leurs sont proscrites par la loi.
Le Liban connaît une crise sociale sur fond de climat international de revendications politiques et sociales. Les revendications multiples de la société libanaise, qu’il s’agisse de l’égalité des sexes, la fin de la corruption, une meilleure répartition de la plus-value ou encore la disparition des clivages confessionnels dans la représentation politique, font écho au climat mondial de changements socio-politiques. Au vu de la situation critique du Moyen-Orient, du conflit qui affecte le voisin syrien, rien ne permet d’augurer la manière dont les événements vont évoluer. Assistera-t-on à une réforme voire à une refonte de la société libanaise et de sa classe politique ? Cela va-t-il mener à une situation de stasis voire de guerre civile comme en Syrie ? Au vu de la fragilité de la région du Proche-Orient, de telles conjectures ne peuvent être confirmées ou infirmées et seule l’observation empirique de l’évolution des événements pourra permettre de dresser un meilleur bilan de la situation libanaise.

Guillaume CHABANNE

La trêve en Ukraine : une reconfiguration des rapports de force entre l’OTAN et la Russie ?

L’Ukraine est marquée par un conflit armé depuis 2014, suite à la révolution de l’Euromaïdan. Débutée en novembre 2013, la révolution de l’Euromaïdan visait à la destitution du président alors en place, le pro-russe Viktor Ianoukovytch, après que celui-ci a refusé de ratifier un traité visant à la conclusion d’un accord économique entre l’Union européenne et l’Ukraine. L’Euromaïdan provoque la destitution de Ianoukovytch en février 2014. Il est alors remplacé par Petro Porochenko, un homme politique européiste, atlantiste et pro-américain.
L’annexion de la Crimée par la Russie en mars 2014 suite à un référendum de la population Est-ukrainienne majoritairement russophone et russophile, l’envoi de troupes russes dans le Donbass, d’abord démentie par le Kremlin, et la constitution de deux républiques autonomes de Donetsk et de Lougansk, autour d’un projet d’une « Nouvelle Russie », provoque le conflit entre l’Ukraine et la Russie, bien qu’aucune déclaration de guerre ne soit pour autant entrée en vigueur. L’armée ukrainienne, bénéficiant d’un soutien logistique de l’Union européenne, notamment de la France et de l’Allemagne, et de l’OTAN, en particulier du Royaume-Uni, des États-Unis et du Canada, et appuyée de surcroît par des milices nationalistes ukrainiennes telles que le bataillon Azov, entreprend de combattre les séparatistes pro-russes de la région du Donbass et de Crimée inféodés aux deux nouvelles républiques indépendantes autoproclamées.

Volodymyr Zelensky, Trump et le tournant des relations ukrainiennes et américaines dans la configuration géopolitique régionale de l’Ukraine

L’élection de Volodymyr Zelensky en avril 2019 marque le retour d’un président plus favorable à des relations apaisées avec la Russie, sans qu’il ne s’agisse pour autant d’un russophile patenté tel que l’ancien président Ianoukovytch. A cela vient s’ajouter le caractère indécis de Trump quant à l’implication des États-Unis dans l’OTAN. Le président américain actuel adresse des signaux contradictoires à ses interlocuteurs européens et ukrainiens. Reprochant dans un premier temps à l’Allemagne et à la France de ne pas être assez impliqué dans l’alliance atlantique, Donald Trump avait laisser entendre qu’il envisagerait un retrait des États-Unis de l’OTAN.
Néanmoins, la récente déclaration d’Emmanuel Macron sur l’état de « mort cérébrale » de l’OTAN a suscité de vives critiques de Trump à son égard. Trump semble hésitant quant à la conduite à suivre, oscillant entre une politique isolationniste, qui constituait le credo de sa campagne présidentielle, et une politique euro-atlantiste, afin de rassurer ses alliés outre-Atlantique. Trump a affirmé récemment que la France était le pays qui nécessitait le plus le soutien de l’OTAN, arguant une éventuelle menace russe. Pour autant, Trump fait montre d’un détachement inattendu pour un président américain, vis-à-vis de la situation ukrainienne, préférant un statu quo entre L’Ukraine et l’Union européenne d’un côté et la Fédération de Russie de l’autre. Il s’agit pour Trump de se désengager de la scène géopolitique ukrainienne et européenne sans la délaisser complètement, préférant « déléguer » les responsabilités qui incombent à l’OTAN à ses membres européens et à l’Ukraine (qui n’est pour l’instant ni membre de l’Union européenne ni de l’OTAN) plutôt que d’intervenir directement, mettant ainsi en application le principe de subsidiarité.
L’Union européenne, en particulier l’Allemagne et la France, semblent plus que jamais les acteurs des négociations de paix russo-ukrainiennes, étant les principaux interlocuteurs et médiateurs entre les séparatistes pro-russes et le gouvernement ukrainien dirigé par Volodymyr Zelensky. Les négociations ont eu lieu récemment. L’armée ukrainienne a annoncé le 9 novembre 2019 le retrait de ses troupes, suivi dans cette démarche par les troupes paramilitaires séparatistes, des zones de combat.

Ukraine, Syrie, alliance russo-chinoise, déclin de l’OTAN : vers la confirmation d’un monde multipolaire ?

La situation ukrainienne est symptomatique des changements qui affectent la géopolitique globale, en particulier la géopolitique européenne. Les enjeux énergétiques liés à la présence d’hydrocarbures, notamment de pétrole, dans la Mer Noire, suscitent de nombreuses tensions. La construction d’un oléoduc russo-chinois traversant la Sibérie témoigne de la résolution de la Russie de maintenir ses relations avec la Chine, ses relations avec l’Europe étant marquées par des atermoiements. Néanmoins, l’apaisement de la crise ukrainienne, malgré tout marqué par une reprise des hostilités et des escarmouches entre séparatistes et troupes ukrainiennes, a vu un relatif retour à la normale de relations économiques entre l’Union européenne et la Fédération de Russie. Le Danemark a accepté la construction d’un oléoduc russe dans le cadre du projet Nord Stream 2 fin octobre 2019. Les négociations actuelles en faveur d’un statu quo en Ukraine, en lien avec le rôle croisant de la Russie et des ses alliés tels que la Chine dans le cadre des relations internationales, marque le retour à un monde multipolaire, qui constitue un nouveau paramètre depuis la fin du monde bipolaire caractéristique de la Guerre Froide. Ce paramètre vient également remettre en question l’hégémonie américaine dans le monde.

Nous pouvons dès lors subodorer un équilibre des forces entre d’un côté un axe Russo-chinois et un axe Américain. L’Europe étant une instance géopolitique d’équilibre entre ces deux axes, dont la porosité se fait sentir un peu plus chaque jour, eu égard aux relations houleuses que Trump entretient avec ses partenaires allemand et français. Le caractère indécis de la politique américaine, dont la récente crise turco-kurde constitue également un symptôme, est un paramètre important de ce nouvel équilibre qui semble se dessiner. L’axe russo-chinois n’est quant à lui que circonstanciel. Le monde ayant de plus en plus les yeux tournés vers le Pacifique en raison de ses ressources naturelles et des défis géopolitiques liant la Chine, le Japon, la Russie et les États-Unis dans cette zone géographique, rien ne permet d’assurer la pérennité de l’alliance russo-chinoise sur tous les théâtres géopolitiques.

Guillaume CHABANNE