Alors que les médias mainstream occidentaux ont récemment traité de la question kurde avec abondance suite à l’invasion d’une partie du nord de la Syrie par l’armée turque, le sort des Chrétiens Assyriens, de langue syriaque (un dialecte araméen), mais également Arméniens, reste en suspend. Vivant principalement dans le nord-est de la Syrie, la Communauté chrétienne principalement assyrienne, a subi de plein fouet l’offensive turque et continue à en payer les conséquences. Les troupes turques ont procédé suite à leur offensive à une campagne d’épuration ethnique des populations kurdes, arméniennes et assyriennes dans le nord-est de la Syrie, en expulsant ou massacrant les membres de ces trois communautés. Des milices d’autodéfense chrétiennes, déjà formées pendant le conflit syrien, organisent la défense et la surveillance des villages chrétiens en vue de futures exactions. Ces exactions sont d’autant plus redoutées que l’armée turque, qui est déjà coutumière des opérations d’intimidation et de massacres, s’appuie sur des milices paramilitaires de volontaires islamistes, le plus souvent apparentés au front Al-Nosra (la branche syrienne d’Al-Qaïda) et de l’Armée Syrienne Libre (un groupe islamiste inféodé aux Frères Musulmans).
Le Nord-Est de la Syrie : un No Man’s Land géopolitique
La présence de la minorité kurde dans le nord-est de la Syrie a fourni un prétexte au gouvernement turc de Recep Tayyip Erdogan pour envahir la région, en particulier le Rojava, en octobre 2019. Des combats opposants les factions kurdes des YPG (Unités de défense du peuple) et du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à l’armée turque avaient émaillé la région. Une trêve avait parvenue à être conclue à la mi octobre avec l’intervention des États-Unis. Néanmoins, la région reste aux prises de l’armée turque et des mouvements indépendantistes kurdes, dont les escarmouches marquent l’actualité. Les Chrétiens Assyriens et Arméniens sont pris dans l’étau des affrontements entre les deux camps rivaux, espérant un soutien de l’armée arabe syrienne face aux troupes turques.
La vulnérabilité des Chrétiens face à la porosité des alliances et à l’absence de véritable soutien logistique
Les craintes des populations assyriennes et arméniennes, ayant déjà subi les déplacements dus aux expulsions entreprises par les troupes turques et à la fuite des zones de combat, est accentuée par la présence de supplétifs islamistes épaulant l’armée turque. Ces supplétifs sont principalement extraits des rangs du Front Al-Nosra et de l’Armée syrienne libre. Parmi les victimes des bombardements turcs dans la région du Rojava figuraient de nombreux Chrétiens, notamment assyriens. De surcroît, les Assyriens et les Arméniens sont suspects tant aux yeux du gouvernement turc que des milices kurdes. Bien que les milices kurdes n’entreprennent pas de persécutions contre les Chrétiens (des opérations d’expulsion avaient cependant été entreprises en 2014 par les Kurdes), les Chrétiens sont perçus comme d’éventuels rivaux par les Kurdes, menaçant selon ces derniers le projet d’indépendance du Rojava et des autres enclaves kurdes du Nord-Est de la Syrie. Cela n’a pas empêché par ailleurs la constitution de milices mixtes kurdes et chrétiennes face à l’invasion turque en novembre 2019. Les Turcs quant à eux, les voient comme de dangereux agents révolutionnaires, qu’ils associent aux Kurdes, en dépit des mésententes qui peuvent marquer, même sporadiquement, les relations entre kurdes et chrétiens.
Les minorités en Syrie victimes des enjeux géostratégiques
En juillet 2014 pourtant, les milices kurdes YPG avaient enjoint les Chrétiens Assyriens des Plaines du Ninive, près de Mossoul, en Irak, de déposer leurs armes, leur ayant assuré leur protection, avant d’évacuer la région, laissant seuls les Chrétiens face à l’État Islamique. Les Chrétiens de Syrie craignent de subir le même sort que leurs coreligionnaires irakiens face à l’arrivée des troupes turques. Les récentes alliances entre kurdes et chrétiens ne garantissent pas une entente durable entre les deux communautés, bien que la menace turque vienne fédérer ces deux minorités face à un ennemi commun. Le rôle de la Russie dans le maintien d’un équilibre géopolitique entre la Turquie d’un côté et l’Iran et la Syrie de l’autre, et le retrait américain annoncé début octobre, n’augurent pas un avenir favorable aux minorités dans la régions, dont le sort est scellé par les enjeux géopolitiques des grandes puissances.
Guillaume CHABANNE