Hors Normes, ou la mise en lumière d’un monde qu’on ne voit pas.

Le duo de réalisateurs français Eric Toledano et Olivier Nakache, connu notamment pour avoir écrit et réalisé en 2006 Nos jours heureux ou encore Intouchables en 2012, ont sorti cette année le film Hors normes. Passés maîtres dans l’art de la comédie dramatique, mêlant sujets sociaux et humour, le binôme a choisi de mettre en lumière la prise en charge de jeunes autistes par des associations d’éducateurs en France.

Eric Toledano et Olivier Nakache

La genèse du projet

Dans les années 90, le duo rencontre Stéphane Benhamou. Cet homme était animateur en colonies de vacances, il a intégré des handicapés mentaux dans ses colonies dites « d’intégration ». Il décide, il y a 20 ans, de créer son association, Le Silence des Justes. Il s’est associé avec Daoud Tatou, directeur de l’association Relais Ile-de France, qui a un deuxième objectif en plus de l’accompagnement des jeunes avec autisme complexe: faire de la réinsertion sociale et professionnelle, ainsi des jeunes de quartiers populaires viennent faire des stages qui peuvent mener à une formation et un emploi en tant qu’éducateur spécialisé.

 

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En 2015, E.Toledo et O.Nakache réalisent le documentaire Il faudrait en faire un film; en 30 minutes, ils font le portrait de Stéphane Benhamou et Daoud Tatou et mettent en avant leurs valeurs, leur collaboration et la genèse et les objectifs de leurs associations.

Stéphane Benhamou et Daoud Tatou

Après ce documentaire et des années de réflexion sur le traitement de ce sujet sensible et méconnu, ils se sont lancés et ont réalisé le film Hors Normes, sorti le 23 octobre 2019 dans les salles. Le film retrace les moments forts de l’association, explique la genèse du projet de Stéphane Benhamou et les problèmes rencontrés avec l’Inspection Générale des Affaires Sociales. (IGAS) Vincent Cassel et Reda Kateb y incarnent les directeurs des deux associations aux côté d’acteurs amateurs autistes évoluant dans l’ESAT (Etablissement de Service d’Aide par le Travail) Turbulences. 

Le film 

Le film retrace le quotidien de Bruno et Malik au sein des associations la Voix des Justes et l’Escale dont ils sont respectivement responsables. Ils font office de structure d’accueil d’enfants et d’adolescents avec un autisme dit « hyper complexe » refusés par les structures médicales. Ils leur proposent un suivi personnel quotidien. Pour cela, ils forment des jeunes de quartiers difficiles à devenir éducateurs, chacun formant un binôme avec ces jeunes touchés par un autisme sévère. L’association de Bruno, la Voix des Justes connait des ennuis avec l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) parce qu’il ne respecte pas les règles et législations des structures médicales habituelles. Si l’Inspection met la loi à exécution, l’association devra fermer pour manque de moyens financiers. Tout au long du film, nous rentrons dans ce quotidien rempli d’imprévus, de complications, d’incompréhensions, de joie, de soutien. Nous suivons par exemple le parcours de Virgil, un jeune atteint d’un autisme lourd qui doit porter un casque pour éviter l’auto-mutilation. Nous voyons dans le film que le retour à l’hôpital est difficile après les séjours ou journées passés au Silence des Justes. Finalement, l’IGAS rédige un rapport en 2005 s’intitulant L’intervention sociale, un travail de proximité qui légitime l’existence des associations prenant en charges les « cas difficiles ».  

Légitimité d’existence de telles structures 

Qu’appellent-on les « cas difficiles »? Ce sont des jeunes avec autisme qui n’ont pas eu de place en institution ou ont été renvoyés car leur prise en charge était trop lourde.

D’après Moïse Assouline, médecin dans une unité mobile pour les situations complexes, dans le documentaire Il faudrait en faire un film:

« c’est dommage que depuis presque 20 ans on n’a pas valorisé ces parcours, tant le Silence des Justes que le Relais Ile de France, car ils sont des ressources très importantes pour le dispositif de soin pour les situations complexes »

Le film a permis de donner de la visibilité à ce problème dont on parle peu: l’absence d’une prise en charge adaptée pour ces cas autistiques complexes et le combat des associations pour leur offrir un suivi qualitatif.

Critiques négatives

Certaines associations ont critiqué le film et remis en question la perspective des réalisateurs: le but est-il de donner de la visibilité aux éducateurs et aux associations ou bien aux autistes? De nombreux avis trouvent que les autistes ne sont pas assez mis en avant dans ce film et souffrent toujours des préjugés habituels. Le Collectif pour la Liberté d’Expression des Autistes dénonce dans cet article la stigmatisation des autistes, le manque de réalisme dans la prise en charge, l’apitoiement et les préjugés véhiculés, notamment celui de la diabolisation des hôpitaux psychiatriques. Pour eux, ce film est « destiné aux personnes neurotypiques » et pas aux autistes, qui ont beaucoup de mal à visionner des scènes de crises violentes par exemple. Le rejet sociétaire des autistes est toujours présent dans ce film, d’après le Collectif: 

« Les personnes autistes ne sont que les objets et les personnages secondaires de ce film et de l’association : pendant que les éducateurs s’amusent réellement ou draguent, les personnes autistes ne sont jamais là et sont explicitement réprimées sur les mêmes points »

Dans cette diatribe, le Comité explique que ce film enferme d’autant plus les autistes dans des idées préconçues et que ce film ne leur est pas destiné. 

Un problème dont il faut parler 

Ces associations ont été décriées et la mise en scène des réalisateurs également, néanmoins aujourd’hui c’est une des solutions qui fonctionne et qui permet aux jeunes autistes d’évoluer dans un environnement bienveillant et où l’on essaie, même si parfois des erreurs sont commises, de faire changer les choses dans une perspective positive. L’autisme est une pathologie complexe, dont les cas sont variés, et naturellement la prise en charge est difficile car spécifique à chaque cas. C’est en continuant à aider, à soutenir et à faire connaitre ceux qui essaient d’accompagner au mieux les personnes atteintes d’autisme complexe que l’on verra des changements dans les mentalités et dans les prises en charges. 

« Ce dont on besoin principalement ces enfants c’est que l’on soit aussi connectés au monde environnant. On n’est pas rentrés dans « une bulle autiste », on est avec eux et on travaille la communication avec eux pour leur permettre de mieux vivre ce que nous offre le monde». – S. Benhamou

Malgré les critiques et la mise en scène parfois maladroite, ce film est important car le problème de la prise en charge des « cas difficiles » est méconnu et des gens se battent pour que les choses évoluent. 

 

Elisa Valois