Les récentes manifestations au Liban font suite à la décision du gouvernement de l’ancien Premier Ministre Libanais Saad Hariri d’imposer de nouvelles taxes sur le carburant. Cette crise aux multiples facteurs historiques et conjoncturels, s’explique par l’état de corruption du pays, divisé entre factions politico-religieuses et mû par une constitution qui tente tant bien que mal de maintenir un statu quo entre les différentes communautés et factions politiques du pays. Cette crise traduit les divisions internes au gouvernement mais ne semble pas impacter la capacité du peuple libanais à dépasser les clivages religieux afin de faire cause commune contre le gouvernement et l’État. Le climat mondial de luttes sociales qui a vu la naissance des Gilets jaunes en France, mouvement qui connaît des ramifications dans le reste de l’Europe, la crise politique de Hong Kong, les révoltes sociales que traversent le Chili, la Bolivie et le Venezuela et les manifestations anti-gouvernementales en Algérie semblent traduire un climat de contestation international à l’encontre des politiques d’austérité, des politiques fiscales et de la corruption des États et de la classe politique dans le monde. Ce climat international a favorisé l’émergence d’une fraction contestataire au sein de la population du Liban, dont les manifestations récentes semblent davantage se situer dans la lignée des récentes révoltes sporadiques et massives dans le monde que comme le parachèvement des printemps arabes. Différentes revendications telles que l’égalité juridique des hommes et des femmes dans l’accès aux emplois, la transmission patrimoniale des biens ou la participation à la vie politique viennent également égrainer les contestations de la rue libanaise. La crise libanaise est par conséquent la synthèse d’une conjoncture économique, sociale et politique à l’échelle tant nationale que régionale et internationale.
Une mobilisation populaire sur fond de crise économique et de corruption
Le 17 octobre 2019 voit la première mobilisation de la rue libanaise. Les manifestants, excédés par les taxes et la corruption qui gangrène le pays, décident de faire entendre leur voix. De surcroît, le gouvernement de salut national fondé sur la réconciliation entre le clan sunnite des Hariri, proche des États-Unis et de l’Arabie Saoudite, et le président Michel Aoun, allié du Hezbollah, de la Syrie et de l’Iran, n’est pas parvenu à trouver de réponse durable aux divisions qui affectent le Liban. Faute de pouvoir réellement trouver un compromis avec la population, et sous la pression des manifestations, le Premier Ministre Saad Hariri démissionne le 29 octobre, soit douze jours après le début de la mobilisation. Malgré les heurts qui ont émaillé les manifestations, et ces derniers aux militants chiites du Hezbollah et du mouvement Amal (alliés de Michel Aoun), la mobilisation se maintient, sur fond de refus des partis et des clivages confessionnels. L’unité nationale est l’un des arguments politiques des manifestants libanais, qui entendent fustiger dans la réconciliation formelle des Hariri et de Michel Aoun, ce qu’ils considèrent comme une hypocrisie du gouvernement. Les manifestants que la question de la représentation religieuse sous couvert de pluralité est un subterfuge du gouvernement qui vient sciemment éluder la corruption qui affecte le pays. La décision du gouvernement libanais d’imposer de nouvelles taxes sur le carburant est venu s’ajouter à la lassitude de cette fraction de la population libanaise.
Une crise sur fond d’un climat international de contestation
La crise libanaise s’inscrit dans un climat international de contestation, amorcée par le mouvements des Gilets jaunes en France milieu novembre 2018. Ce climat contestataire est également marqué par les manifestations anti-gouvernementales au Chili, où la répression policière connaît une violence sans précédent depuis le régime de Pinochet. Les manifestations algériennes contre le gouvernement d’Abdelaziz Bouteflika et du Front de Libération Nationale (FLN) marquent également cette actualité internationale. Les manifestations en Algérie ont d’ailleurs été le principal modèle d’inspiration des manifestants libanais. Les revendications politiques et sociales en Algérie tant qu’au Liban, sont similaires : destitution du gouvernement jugé corrompu, renouvellement de la classe politique, égalité juridique entre les sexes, lutte contre la corruption. La place des femmes est d’ailleurs primordiale au sein des manifestants. Une figure féminine a d’ailleurs émergé du mouvement. Malak Alaywe Herz, qui a été filmée en train d’asséner un coup de pied a un membre du service de sécurité du Ministre de l’éducation, alors armé d’un fusil d’assaut. Son identité, d’abord anonyme quelques jours après les faits, a finalement été révélée. Avant de connaître son nom, Malak Alaywe Herz se faisait appeler la « Marianne libanaise », une allusion à l’allégorie de la République française et figure emblématique, bien que fictive, de la Révolution française. Les femmes revendiquent par ailleurs l’égalité juridique, notamment dans l’accès à l’emploi et dans la transmission des biens et de la nationalité libanaise, fonctions qui leurs sont proscrites par la loi.
Le Liban connaît une crise sociale sur fond de climat international de revendications politiques et sociales. Les revendications multiples de la société libanaise, qu’il s’agisse de l’égalité des sexes, la fin de la corruption, une meilleure répartition de la plus-value ou encore la disparition des clivages confessionnels dans la représentation politique, font écho au climat mondial de changements socio-politiques. Au vu de la situation critique du Moyen-Orient, du conflit qui affecte le voisin syrien, rien ne permet d’augurer la manière dont les événements vont évoluer. Assistera-t-on à une réforme voire à une refonte de la société libanaise et de sa classe politique ? Cela va-t-il mener à une situation de stasis voire de guerre civile comme en Syrie ? Au vu de la fragilité de la région du Proche-Orient, de telles conjectures ne peuvent être confirmées ou infirmées et seule l’observation empirique de l’évolution des événements pourra permettre de dresser un meilleur bilan de la situation libanaise.
Guillaume CHABANNE