« L’argent n’a pas d’odeur », en êtes-vous bien sûr ?

bp or not bp lors du vernissage de l’exposition
Troy: myth and reality le 19 novembre 2019 – photo par Ron Fassbender

Une nouvelle exposition à ouvert au British Museum à Londres le 21 novembre 2019 et sera ouverte jusqu’au 8 mars 2020. Durant environ trois mois, c’est la ville de Troie qui s’infiltre dans le musée londonien. Une exposition qui promet d’explorer à nouveau ce récit fondateur et d’en apprendre plus sur les différents protagonistes de la guerre éponyme ainsi que la façon dont ils ont été représentés au fil des siècles. De prime à bord une exposition parfaitement normale si ce n’était l’intervention de « BP or not BP » le 19 novembre. Le collectif est allé au British Museum afin de protester contre le mécène de l’exposition : le groupe pétrolier BP.

C’est sous les atours de divinités et figures de la mythologie grecque que le collectif a accueilli les invités du vernissage de l’exposition, parmi Zeus, Athéna ou Hélène se trouvait une divinité contemporaine : le dieu Pétroleus. Le but du collectif est de dénoncer le mécénat de BP qui a profité du contexte de la seconde guerre du golfe pour pouvoir s’implanter dans le territoire et forer des terrains en Irak. Selon le collectif, l’entreprise BP a utilisé son mécénat auprès du British Museum pour pouvoir « se rapprocher de membres des gouvernements égyptiens, russes et mexicains à des moments stratégiques pour l’entreprise et ses intérêts pétroliers dans ces pays. » Une stratégie qui renforce l’idée que l’art n’est pas neutre et enlève au don l’idée même de don, c’est à dire de donner sans attendre en retour. Dans le cas de l’exposition troyenne, il faut rappeler que l’entreprise BP, anciennement Anglo-Persian Oil Company, a achevé la construction d’un gazoduc transanatolien et qui passe non loin de l’ancienne ville de Troie. Quoi de plus logique pour BP de financer une exposition sur cette cité mythique ? Seulement que ce n’est pas la première fois que ce mécénat est remis en question. Peut-on considérer normal, alors que le British Museum prépare une exposition en 2020 sur le changement climatique, que le musée accepte des financements de BP quand l’entreprise fait du lobbying auprès de l’administration  Trump pour l’exploitation de gisement en Arctique ?

En protestant contre BP, le collectif remet sur le devant de la scène la question des « mécènes gênants ». L’éthique entre en jeu dans le financement des institutions culturelles. Peut-on vouloir représenter le savoir, la culture, l’art, la beauté, etc. et en même temps être financé par des pédophiles ou la famille responsable de la crise d’opiacés qui touche les États-Unis ? Avec les coupes budgétaires concernant la culture au sein des différents gouvernements mondiaux, les institutions culturelles comme le MoMA à New York, le Louvre à Paris et le British Museum et la Tate Gallery à Londres n’ont d’autre recourt que de faire de plus en plus appel au mécénat privé ou d’entreprise. Mais est-ce une raison d’accepter l’argent de tous sans vérifier le caractère moral du donateur ? Le blanchiment d’argent dans l’art et le rachat de bonne conduite grâce aux financement de la culture sont des symptômes toujours plus fréquents. Cependant il est intéressant de noter que le public n’est pas aveugle face au procédés de certaines grandes fortunes. C’est le cas à New York des « Guerrillas Girls » qui demandaient en novembre 2019 l’expulsion de Leon Black et Glenn Dubin du conseil d’administration du MoMA ainsi que le retrait de leur nom des parties du musée qui ont été financées par leurs dons et des affichages pour expliquer pourquoi. Selon les Guerilla Girls, ces deux membres du conseil d’administration sont liés à Jeffrey Epstein avant et après sa condamnation pour trafic sexuel et, par conséquent, voir ces deux hommes liés au musée est une « insulte pour les spectateurs du musée et les victimes d’agressions sexuelles ». 

Affichage des Guerrilla Girls sur une cabine téléphonique en face du MoMA – ©GuerrillaGirls

À l’heure du mouvement #metoo ou du changement climatique par exemple, est-il encore normale d’accepter de l’argent provenant de n’importe qui ? Les institutions culturelles devraient pouvoir assurer un contrôle plus poussé de leurs donateurs, le Louvre par exemple n’a qu’une seule clause restrictive dans sa charte éthique pour le mécénat : l’interdiction de recevoir des fonds ou des donations de la part d’organisations politiques ou syndicales françaises ou étrangères. C’est ce qui lui a permis par exemple d’accepter la participation financière, à hauteur de plus d’un million d’euros en 2014, de Yoo Byung-eun. Cet homme d’affaire coréen poursuivi dans son pays pour détournement de fonds liés à une secte.

Seulement, si un contrôle éthique s’appliquait à chaque donateur, les institutions culturelles pourraient faire face à une baisse de donations importantes et sans l’apport financier et le soutien des États elle ne seront peut-être pas en mesure d’y faire face.

Aerfen Mordrelle