Le 20/10/2019, par Hippolyte de Solages
« Avec [cette mort de Kadhafi], une guerre sanglante vient à finir, une guerre que Kadhafi menât contre son propre peuple. La Lybie doit désormais rapidement prendre une démarche résolue et profonde vers la démocratie et parvenir à rendre irréversible le Printemps arabe ». C’est par ces quelques mots que la chancelière allemande Angéla Merkel commenta publiquement cet évènement, résumant l’état d’esprit général des chancelleries occidentales. En effet, lors de la révolution libyenne de 2011, l’OTAN sous la pression franco-britannique, décide de soutenir le conseil national de transition (CNT) alors sur le point d’être annihilé par les loyalistes. Ce CNT est présenté par les alliés comme l’organe des Libyens aspirants à une démocratie dans un Etat de Droit. Ainsi la communauté internationale espère alors que le conseil parviendra à ses objectifs suite à la mort du dictateur.
Cependant l’espoir suscité par le Printemps arabe déçoit : la Lybie ne déroge pas à la règle et le pays sombre peu à peu dans un chaos anarchique. Si contrairement à la Tunisie ou l’Egypte les islamistes radicaux n’obtiennent pas démocratiquement des majorités aux premières élections du sept juillet 2012, leurs résultats restent importants et l’assemblée constitutive qui succède au CNT, le Congrès général national (CGN), place à sa tête un islamiste modéré : Mohamed Al-Megaryef. Ce dernier n’a aussi pas la volonté politique de reprendre le monopole de la violence légitime d’Etat en ne désarmant pas les milices insurgées contre Kadhafi. Celles-ci, de structure tribale, vont rapidement se livrer des guerres propres sur fond de haines antiques augmentées pour certaines d’une affiliation aux groupes religieux violents comme l’Etat islamique ou Al-Qaïda. Dans un même temps, une série législative écarte de la vie politique et administrative toutes les personnes compromises dans le régime de Kadhafi. Ces mesures privent le pays d’un grand nombre de personnes formées au gouvernement et mécontentent certaines influentes personnalités qui s’étaient impliquées en faveur de la révolution libyenne, comme le général Khalifa Haftar. Finalement, le CGN – peu-à-peu tombé sous influence islamique – ne contrôle pas grand-chose, et dans le pays s’installe une anarchie généralisée. Economiquement, le pays tombe au plus bas car le secteur pétrolier, qui assurait des rentrées financières sur tout le pays, tombe aux mains d’une myriade de groupes armées. Ainsi, la production pétrolière est réduite en peu de temps au sixième de ses capacités. Cette dernière donnée achève de déstabiliser le pays.
C’est dans ce contexte que le pays va progressivement se scinder en trois, puis deux parties, qui correspondent aux trois grandes régions du pays : l’orientale Cyrénaïque avec Bengazi et Tobrouk, l’occidentale Tripolitaine avec la capitale Tripoli, et le méridional Fezzan avec Shaba et le désert. Des élections ont lieux le 25 juin 2014 pour remplacer le CGN paralysé : cependant la chambre ainsi formée – la Chambre des représentants – est largement défavorable aux partis islamiques. Dans le même temps, Haftar coagule autour de lui les restes épars de l’armée libyenne et fédère certaines tribus ou groupes armées dans la Cyrénaïque. Devant le recul net de leur influence, les politiques islamiques vont revenir sur leur soutien à la nouvelle chambre parlementaire et réinvestir l’ancienne CGN. Cette dernière s’installe à Tripoli, tandis que la Chambre des représentants fuit en Cyrénaïque à Tobrouk rejoindre un environnement plus accueillant. De facto, plusieurs gouvernements tentent d’exercer leur pouvoir dans le pays : le parlement de Tripoli à l’Est, le parlement de Tobrouk à l’Ouest ; au centre du pays, l’Etat islamique (EI) émerge à Syrte.
Impuissance onusienne et réalité de terrain
L’ONU va alors tenter de proposer des solutions pacifiques au conflit fratricide qui prend de l’ampleur, afin que le combat ne se porte que sur l’EI. Ce sont les accords de Skhirat du 17 décembre 2015. Les deux chambres forment part d’un système bicaméral sous l’autorité d’un gouvernent désigné (le Gouvernement d’Union nationale, GNA) et de son Premier ministre, Faïez Sarraj. Celui-ci devient alors le gouvernement libyen reconnu internationalement. Le GUD s’installe le 5 avril 2016 à Tripoli avec l’autorisation du CGN. Malgré la méditation de l’ONU, les accords de Skhirat échouent. Le parlement de Tobrouk retarde à donner son soutien à Sarraj pendant de longs mois ; mois larvés de batailles entre les deux camps pour le contrôle des infrastructures vitales du pays.
Finalement le parlement de Tobrouk finit par ne jamais donner son aval au GNA et se met à fonctionner indépendamment. Il émet sa propre monnaie et dispose d’une armée, l’Armée nationale libyenne (ANL), commandée par le général Haftar. Celui-ci s’est rendu populaire en matant les groupes armés islamiques qui terrorisaient les populations cyrénéennes, notamment dans la bataille de Bengazi (2014-2017), et reprenant le contrôle des installations oléo-gazières de la côte libyenne en 2014 et à nouveau en 2017, puis l’ensemble des champs pétroliers par l’intégration sous son contrôle du Fezzan début 2019.
A Tripoli, le GNA doit d’abord s’imposer courant 2016 en Tripolitaine face à la défunte CGN qui tente de renaitre. Ensuite, il dirige ses efforts sur la région de Syrte et l’EI, dont il reprend la ville le 6 décembre 2016 ; coup dur dont l’EI ne se remettra pas. Après avoir un temps repris le croisant pétrolier et particulièrement le terminal de Ras-Lanouf, le GNA le perd définitivement en 2017 au profit de l’ANL. Toujours soutenu par la Communauté internationale, Farraj peine à mettre en place de nouvelles élections démocratiques, ce qui lui est vivement reproché par ses alliés internes et internationaux. En 2018, il subit des défections en faveurs de Haftar par des groupes armés déçus.
Si l’année 2019 voit quelques progrès concernant la tenue d’élections rassemblant Tobrouk et Tripoli, la très nette progression militaire de l’ANL en direction de Tripoli gèle tous les rapprochements déjà opérés entre les deux camps. Aujourd’hui, la situation semble être dans l’impasse. D’un côté, Haftar ne parvient pas à mettre fin au siège de Tripoli, de l’autre, le GNA ne parait devoir sa seule légitimité et survie aux soutiens de la majeure partie de la communauté internationale. Les grandes puissances sont assez partagées par la situation. Si Haftar représente l’ordre dans la région, son avènement serait un véritable désaveu des politiques internationales des démocraties occidentales.
Ce qui est certain est qu’une Libye unie et pacifiée aiderait à résoudre de nombreux problèmes régionaux. Dans le Sahel, la lutte contre le terrorisme des groupes islamo-mafieux rencontrerait un point d’appui en Libye plutôt que l’actuel sanctuaire de ces terroristes. Par un même mouvement, les pays de la zone trouveraient plus de stabilité, laissant l’opportunité aux populations locales de réaliser leurs espoirs d’heureux lendemains chez elles ; réduisant conséquemment les odieuses traites d’émigrants africains passant justement par la Libye.