Louis Vuitton, le savoir-faire français à l’américaine.

Le Texas, ses vertes pâtures, ses vaches aux longues cornes gardées par des cow-boys, une image de carte postale alimentées par les clichés véhiculés par les fantasmes des européens sur la conquête de l’Ouest et les films westerns. Cependant, dans le nord du Texas dans le comté Johnson, un bastion français vient d’ouvrir : Rochambeau Ranch, une ode aux liens historiques entre la France et les États-unis et surtout, depuis octobre 2017, nouvel atelier de la culture française made in the USA. Louis Vuitton, représentant ancestral de la maroquinerie de luxe, ambassadeur du savoir faire hexagonal, acteur de l’art de vivre à la française et depuis 1989 propriété du milliardaire Bernard Arnault, s’offre un nouvel atelier au Texas et par la même occasion les grâces du président américain Donald Trump. Le 17 octobre 2019 a vu l’inauguration du flambant Rochambeau Ranch dans le comté Johnson et la rencontre de deux figures importantes dans leur domaine : Bernard Arnault et Donald Trump.

Le Président Donald Trump Michael Burke et Bernard Arnault pendant la visite de Rochambeau Ranch (Photo par Nicholas Kamm / AFP)

Ce n’est pas la première fois que le géant du luxe ouvre un atelier de l’autre côté de l’Atlantique, en effet il y existe déjà deux ateliers de la marque en Californie. Pourquoi alors en ouvrir un troisième aux États-Unis ? La réponse de l’entreprise est évidente : pouvoir « répondre à la demande croissante des produits Louis Vuitton en Amérique. » Les deux entreprises californiennes Louis Vuitton produisent actuellement seulement la moitié des produits achetés sur le sol américain, ce qui représentent donc un import considérable sur le sol américain. Par ailleurs le marché américain représente le plus gros marché du luxe dans le monde, ouvrir un troisième site de production semble alors un choix stratégique logique pour le groupe LVMH.

Mais au delà de répondre à la demande du marché américain se cache un autre enjeu : prévenir une possible guerre économique entre l’Europe et les États-Unis. L’intérêt de pouvoir assembler directement les produits Louis Vuitton pourrait éviter ainsi les conséquences d’un durcissement des relations entre la France et les États-Unis. Le contexte économique instable entre l’Europe et les États-Unis incite à la précaution, comme l’ont démontré les augmentations des taxes douanières sur les produits alimentaires et textiles ainsi que sur des articles industriels européens (les droits de douanes s’élèvent désormais à 25%) depuis le 18 octobre 2019.

L’ouverture du Rochambeau Ranch n’est pas passée inaperçue. Alors qu’il était en déplacement pour sa campagne de réélection, le président américain a fait le déplacement pour inaugurer en compagnie de Bernard Arnault le centre de production texan. Quel était l’intérêt pour Trump de faire un détour alors qu’il était en route pour son meeting de Dallas ? C’est la question que tout le monde s’est posée car, pour l’instant, l’usine Louis Vuitton ne compte que 150 employés, moins que certains supermarchés de la région, alors pourquoi un tel déplacement ? C’est là aussi une question de stratégie. Pour Trump, l’ouverture d’une usine aux États-Unis par le premier groupe mondial du luxe qui à signé The pledge to America’s workers, un des projets phares de l’administration Trump, représente une victoire pour le président américain. Aujourd’hui 371 entreprises ont signé cet engagement auprès des travailleurs américains assurant ainsi la création de 14 394 284 emplois selon le site du gouvernement américain. Un argument qui peut s’avérer décisif pour sa campagne de réélection et appuyer son discours sur les accomplissements de son administration.

Un savoir faire français made in the USA

Rochambeau Ranch c’est l’exportation des compétences, de la maîtrise des artisans français à l’étranger. En effet, à l’inverse des ateliers français, ce ne seront pas des « petites-mains » françaises qui se cacheront derrière chaque sac mais des ouvriers et ouvrières qui seront formés exprès pour la tâche. Les employés de Rochambeau Ranch sont issus du comté, ils ne sont pour l’instant que 150 mais le nombre devrait augmenter à 500 employés d’ici peu, après l’ouverture d’un second bâtiment sur le Ranch, et continuera d’augmenter jusqu’à mille employés d’ici cinq ans. À l’inverse des sacs produits par les usines françaises, ces sacs Louis Vuitton seront estampillés Made in USA. Si certains critiques pensent que les sacs américains ne valent pas les français, il est cependant difficile de voir une différence entre les deux pays de production. Les matériaux (cuirs et fils par exemple) sont exactement les mêmes sur les deux continents car ils proviennent d’Europe. La technique d’assemblage est également là même car tous les employés américains sont formés « à la française », c’est-à-dire à l’identiques que leurs homologues français.

Louis Vuitton avait déjà ouvert un atelier temporaire en 2017 pour former les employés et lancer la production afin d’anticiper l’ouverture du nouveau site mais les conditions de travail avaient été dénoncées par plusieurs employés, notamment auprès de la  Texas Workforce Commission (la commission pour la main-d’oeuvre texane). Les employés avaient dénoncé la chaleur insoutenable dans l’atelier et le manque de climatisation rendant les conditions de travail intolérables. C’est pourquoi l’entreprise à fait venir Sébastien Bernard-Granger, maintenant directeur de production à Rochambeau Ranch, pour superviser et vérifier que l’atelier correspondent bien aux normes françaises.

L’alignement de LVMH avec l’administration Trump, un fashion faux-pas ?

Donald Trump et Bernard Arnault pendant la conférence de presse pour l’inauguration du 3eme atelier Louis Vuitton
(Photo par Nicholas Kamm / AFP)

Le soutien de Trump et sa présence lors de l’inauguration de l’atelier ne fait pas l’unanimité. L’organisation GrabYourWallet, qui dénonce et boycott les entreprises associées à la famille Trump et à la Maison Blanche a ajouté Louis Vuitton dans sa liste de marques à boycotter.  GrabYourWallet est la conséquence d’une prise de conscience au sein de la population américaine du pouvoir que représentent leurs achats, les consommateurs font désormais leurs courses en accord avec leurs valeurs. Plusieurs entreprises ont déjà subi les revers de ce changement consommation, c’est le cas par exemple de SoulCylce et Equinoxe. Le propriétaire Stephen Ross en organisant une levée de fond pour le président à vu le nombre des abonnements de ses deux entreprises fitness diminuer suite à l’annonce de la levée de fond. Les abonnés sportifs ne voulant pas promouvoir le « racisme » et « l’homophobie ». Peut-on alors imaginer de tels revers pour Louis Vuitton ?

La contestation existe au sein même de Louis Vuitton, Nicolas Ghesquiere, directeur artistique de Louis Vuitton a été jusqu’à appeler Trump une « blague » après l’inauguration, mais les tensions vont au delà même de la marque Vuitton et s’étendent autres marques de LVMH, comme par exemple Marcs Jacobs. Cependant, durant l’inauguration, Bernard Arnault, lorsque les journalistes lui ont demandé quelles étaient ses opinions sur la politique du président américain, à répondu « Je ne suis pas ici pour juger ses politiques. Je n’ai aucun rôle politique. Je suis un homme d’affaires. J’essaie de lui dire ce que je pense pour le succès de l’économie du pays et de la réussite de ce que nous entreprenons ». Il a par ailleurs assuré qu’il n’était pas ami avec Donald Trump mais est-ce que cela pourra vraiment protéger Louis Vuitton d’une baisse de leurs ventes sur le territoire américain ?

Aerfen Mordrelle