Interview réalisée le 24 Octobre 2019
Le Laboratoire Artistique International du Tarn est un espace de recherche dédiée à la création contemporaine et à sa transmission (production d’œuvres, expositions, films documentaires, résidences d’artistes, conférences, médiations et actions culturelles…). Le LAIT fait partie du réseau DCA (association française de développement des centres d’arts), du LMAC (laboratoire des médiations en art contemporain Midi-Pyrénées) et du réseau air de midi (association régionale des centres d’art). Il labellisé « centre d’art contemporain d’intérêt national » depuis septembre 2019. Depuis plus de 35 ans, le centre était géré par Jackie-Ruth Meyer. En avril 2018, elle a laissé sa place à Antoine Marchand.
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Quel est votre parcours professionnel?
Je suis diplômé d’un master « Métiers de l’exposition » à l’Université de Rennes 2. J’ai commencé à travailler dans un musée d’art contemporain à Rochechouart pendant 2 ans (2003-2005) en tant que chargé des expositions. Ensuite j’ai travaillé pendant 3 ans également en tant que chargé des expositions et de la diffusion de la collection à la Direction du graphisme de la ville de Chaumont et dans le cadre du festival de l’affiche et du graphisme. J’ai passé 9 ans au FRAC Champagne-Ardenne à Reims et je suis arrivé au centre d’art Le LAIT en avril 2018.
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Votre parcours professionnel est orienté vers le milieu de l’art, des expositions, qu’est-ce qui vous a amené à faire des études dans ce domaine et vouloir y faire carrière?
Au départ j’étais plutôt intéressé par la musique. Quand j’ai commencé à faire une formation dans la culture c’était plus pour travailler dans une salle de concert. En licence, j’ai rencontré une professeure dans le cadre de mes cours d’histoire des expositions et ça m’a vraiment intéressé. À la fin de la licence je me suis demandé ce que je pourrais faire et elle m’a parlé de cette formation à Rennes. J’ai postulé en étant certain que je ne serais pas pris… Il y a un peu de hasard, un peu de rencontres dans tout ça.
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Quelles sont vos missions en tant que directeur de ce centre d’art?
Il y a 3 grandes missions : une mission artistique en premier lieu : programmation des expositions, invitation des artistes pour des expositions/résidences/conférences. Les deux autres missions sont plus spécifiques au poste de direction : la gestion d’équipe et la gestion budgétaire.
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Quel était l’objectif du centre avant votre arrivée ? Qu’est-ce que vous souhaitez apporter ou qu’est-ce que vous avez déjà apporté?
Il y a cette mission principale qui est commune à tous les centres d’arts, que la directrice précédente avait et que j’ai aussi, qui est le soutien aux artistes, à la production, l’accompagnement de projets. Mon objectif est en continuité avec ce que Jackie-Ruth Meyer avait mis en place, peut-être de manière plus poussée. C’est cette idée de décloisonner les choses, de permettre au public, s’il n’ose pas rentrer à Rochegude parce qu’il n’est pas soit disant spécialiste ou qu’il n’a pas les clés de lecture, qu’on puisse le faire rentrer autrement par une lecture, un concert, par une dégustation de vin ; qu’on ouvre l’esprit des personnes, et qu’on désacralise tout ça, que ce ne soit pas soit disant réservé à l’élite. J’ai cette sensibilité à la musique et au son donc ça va plutôt passer par ce biais-là.
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Par rapport à votre parcours, votre affection pour la musique, est-ce un élément que vous souhaiteriez développer plus particulièrement?
Ce n’est pas tant avec la musique finalement car ce sont des choses un peu ponctuelles, liées à des opportunités de calendrier. Par contre, il y a tout un travail autour du son que j’aimerais développer par le biais d’une plateforme en ligne ou je pourrais faire des commandes à des artistes sur des pièces sonores. C’est d’autant plus pertinent qu’ici il y a le GMEA, le centre de création musicale. L’idée est donc de collaborer avec eux sur des résidences, des productions liées aux artistes contemporains qui sont nombreux aujourd’hui.
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En plus du GMEA, est-ce que vous collaborez avec d’autres structures de la ville?
Parfois nous collaborons avec la MJC, récemment avec la Scène Nationale, nous avons aussi un cycle de conférences en partenariat avec le Musée Toulouse Lautrec. Il y a beaucoup de partenaires de la ville d’Albi mais également autour, on travaille régulièrement avec Carmaux, avec Fiac. C’est aussi l’avantage de ces structures dans des villes moyennes, on identifie rapidement les partenaires, il y a des possibilités de collaborations qui sont plus simples que dans les grandes villes.
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Quelle est la place de l’international dans votre structure?
C’est quelque chose qui a toujours été très important pour l’ancienne directrice. Si on regarde sa programmation depuis 30 ans, il y a énormément d’artistes étrangers qui ont été invités, ce qui n’était pas si évident à l’époque. Elle a inséré le centre d’art dans des programmes de résidences à l’échelle européenne. Le dernier gros projet, en partenariat notamment avec des structures en Espagne, Italie, Slovaquie, reposait sur un appel à candidature avec un échange d’artistes européens. J’ai relancé ça à une échelle un peu plus petite, puisqu’il était impossible de relancer un gros projet tout de suite. On a déposé un projet à l’eurorégion avec une structure à Barcelone et une à Majorque, pour un projet de résidence d’artistes venus d’Occitanie et de Catalogne. Cette idée d’ouverture est indispensable, c’est aussi l’idée d’amener des scènes artistiques d’autres pays à Albi, ce que les gens ne voient pas forcément. En avril dernier il y a eu une exposition avec un artiste roumain, l’année prochaine il y en a une autre avec un artiste américain installé à Berlin. Tous les ans il y aura au moins une invitation d’un artiste étranger.
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Quelles sont vos subventions de fonctionnement ? Quelle est la place des financements publics et privés ? De quelle échelle proviennent-ils?
Comme la majorité des centres culturels en France, le LAIT fonctionne presque exclusivement des aides publiques. Il y a une part minime d’autofinancement. Nous sommes financés par la Ville d’Albi, le Département du Tarn, la Région Occitanie et l’État. On postule également pour des demandes de bourses ou d’aides plus spécifiques selon les projets, auprès par exemple du gouvernement espagnol, de l’Institut Français. En ce qui concerne les dossiers d’aides pour des projets au niveau de l’Union Européenne c’est plus compliqué, quand il s’agit de gros projets il est nécessaire d’avoir une structure administrative importante car il faut avancer beaucoup d’argent avant de recevoir les fonds donc en général des structures en régie directe, c’est-à-dire qui dépendent directement d’une ville. C’est également des dossiers très lourds avec des questions juridiques complexes.
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Une question un peu plus personnelle, qu’est ce qui vous plaît dans votre métier, et vous déplaît peut-être aussi?
Cette idée de rapport au public, ce qu’on fait de l’argent public, c’est quelque chose de très important pour moi. Je n’ai jamais eu l’envie d’aller travailler dans le privé par exemple. Cette notion de service public m’intéresse beaucoup, de voir ce que l’on peut amener aux personnes qui viennent visiter nos expositions. Il y a énormément de travail administratif, cela prend beaucoup de temps et laisse peu de place pour faire des rencontres avec des artistes, aller visiter des ateliers ; c’est un peu frustrant parfois mais je le savais parce que ça fait suffisamment longtemps que je travaille dans le domaine. C’est frustrant parce que c’est de ça qu’on se nourrit à la fois pour la programmation mais aussi au quotidien dans le regard qu’on peut avoir sur nos choix.
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Justement, comment élaborez-vous les programmations ? Est-ce en fonction des opportunités ? Avez-vous des lignes directrices?
Les programmations sont faites bien amont afin de pouvoir solliciter des aides complémentaires et pouvoir préparer plus sereinement le projet, après j’aimerais pouvoir me laisser un peu plus de marge de manœuvre sur certains projets qui ne nécessitent pas de financements complémentaires pour pouvoir programmer sur un coup de cœur. Il y a des questions d’équilibre avec des histoires de génération, d’origine des artistes, de sexe ; ce qui oriente la programmation. Après, j’ai forcément des problématiques qui m’intéressent. J’aime que le centre d’art soit un lieu qui rende compte de tout ce qu’il se passe aujourd’hui, un lieu qui soit au plus près des changements sociétaux et politiques. Je n’ai pas envie d’avoir quelque chose hors sol et complètement déconnecté de la réalité. J’ai un intérêt pour le son, pour la question du vernaculaire, des cultures populaires, ce sont donc des choses qui transparaissent dans la programmation mais j’essaye aussi d’aller au-delà de ce qui m’intéresse moi.
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Une question plus générale pour conclure notre entretien, en tant que professionnel, comment percevez-vous le secteur culturel aujourd’hui?
C’est compliqué car les aides publiques ont tendance à baisser et le soutien du privé pour l’instant n’arrive pas, cela reste ponctuel ou ce sont des aides en nature. Nous n’avons pas de gros mécènes car nous n’avons pas grand chose à mettre en face : pas de lieu à mettre à disposition, pas de communication internationale très développée. Actuellement, nous sommes dans une situation un peu compliquée, pas le centre d’art mais le secteur culturel en général, c’est un moment un peu charnière. La volonté de l’État d’encourager le mécénat et l’injection d’argent privé ne marche pas pour l’instant. Les collectivités publiques n’ont plus la possibilité de soutenir l’action culturelle telle qu’elle devrait l’être. Le centre d’art est cependant bien soutenu, à part celles de la ville, les autres subventions ont été maintenues voire augmentées. La ville a malgré tout beaucoup aidé le centre d’art avec des subventions de projets.
Margaux Lalevée