23 septembre 2016
Je déteste écrire les phrases de présentation. Raconter comment s’est passé mon trajet, combien j’ai payé, comment je m’en suis sortie dans un pays où je ne parle pas la langue. Qu’importe de savoir comment, moi, j’ai fait. L’important c’est de vous dire que la prochaine fois, se sera peut-être vous. Alors je veux bien partager mon expérience, mais je vous préviens, je serai honnête. Pas question de faire comme si Erasmus n’est que découvertes, bonheur, rencontres et joie. Une expérience à l’étranger, c’est un bout d’une vie, c’est un an ou six mois dans un pays inconnu. Un an ou six mois très intensifs mais pas tout le temps. Alors forcément, il y aura des hauts et des bas, des moments de bonnes grosses galères et des moments de lâcher prise, des moments de fous rires et des moments plus tristes. De toute façon, que vous soyez en France ou à l’étranger, vous allez vivre des expériences uniques, vous allez faire des rencontres. C’est juste qu’à plusieurs milliers de kilomètres de chez vous, vous êtes encore plus confronté à vous-même, vous vous expérimenté, et vous pourrez être fier de faire partie de ceux qui auront osé franchir le pas.
Je suis partie de Toulouse il y a pile un mois. Le 23 août 2016. J’ai passé l’après-midi dans les transports, c’était long, inquiétant, excitant et j’hésite vraiment à vous confier mon trajet ou à vous laisser galérer pour trouver toutes les informations nécessaires à la bonne tenue de votre voyage. Je pense que je vous le confierai plus tard mais ce n’est pas sûr, dans tous les cas, ce ne sera pas pour tout de suite. De plus, comme c’est la première fois qu’une étudiante en licence d’histoire part à Coimbra, vous pouvez être sûr de ne trouver aucun témoignage. La seule chose que je vais vous dire, c’est que le moment où je suis arrivée à destination a été déterminant pour tout mon début d’année ici et si je n’avais pas voyagé seule, tout mon quotidien aurait été différent.
Depuis la gare de Coimbra-B, j’ai pris un taxi. Ce n’est pas la peine de faire le routard, vous êtes chargé comme une mule avec votre valise pour un an et vous avez 30 kg sur le dos. Le chauffeur était vraiment sympa parce que je ne connaissais pas le numéro de la maison et que m’exprimer en portugais ou en anglais n’était pas chose facile. Je suis quand même montée dans sa voiture et nous sommes arrivés devant la Rua São Salvador. Devant, car la fameuse allée que je cherchais était en réalité une rue piétonne donc, inaccessible en voiture. C’était le soir, la nuit n’allait pas tarder à tomber. Durant les vacances d’été, il n’y a pas grand monde dans les rues de Coimbra. Heureusement, pas très loin d’ici résonne une musique orangée dans le bar le Bamboulé. La véritable musique, c’est le rire de ses clients, des jeunes clients, sûrement étudiants, qui peuvent peut-être m’aider. Avec le chauffeur de taxi, nous avons tenté de leur expliquer ma situation et ils m’ont pris sous leurs ailes. Ils ont téléphoné à la propriétaire, m’ont accompagné jusqu’à la porte d’entrée et m’ont même proposé de passé la soirée avec eux. J’étais fatiguée mais mon intuition me poussait à accepter leur proposition. Je ne me doutais pas encore qu’ils allaient me faire découvrir la vraie Coimbra ; celle de ses habitants, de ses étudiants, de ses recoins inaccessibles à l’œil d’un touriste et surtout la Coimbra das Repúblicas.
A suivre…
1 octobre 2016
La première fois que j’ai posé un pied dans la Real República do Ras-Teparta, j’ai eu un peu peur. Je ne savais pas vraiment ce que j’allais découvrir. L’entrée donnait directement sur un escalier d’une droiture impeccable. En plein milieu de celui-ci, sur la droite, se rangeait deux chambres et un débarra quasi-invisible. Au fond de l’escalier, un mur peint par un ancien habitant, témoignait de l’importance des traditions de la Praxe. J’ai conscience que vous ne savez pas ce que c’est que la Praxe mais je n’ai pas vraiment envie de vous l’expliquer maintenant. Peut-être que je vous le confierai plus tard, mais ce n’est pas sûr, dans tout les cas se ne sera pas pour tout de suite. Je préfère continuer ma description. Je disais donc qu’il y avait un mur en face de nous. A moins de pouvoir le traverser, il fallait bien se résigner à continuer le demi-tour que nous obligeait de faire l’escalier de l’entrée. En haut des marches, je pouvais enfin découvrir quelques salles, dont la plus conviviale était le salon/salle à manger. Le plus incroyable dans cette pièce était l’immense table qui ornait toute la partie droite du salon et qui était en deçà d’une autre peinture traditionnelle des Repúblicas de Coimbra. A cette étage, il y avait également la salle de bain, quelques chambres et surtout la cuisine. Merveilleux endroit qu’est la cuisine ! Des patates, des oranges par ci, des épices, du café par là. Ici, il n’y a pas de casseroles mais des grandes panelas. En même temps, pour nourrir une dizaine d’habitants on ne peut pas se contenter de mettre un poignée de pâtes dans de l’eau bouillante. Il faut avoir le vrai plat de grand-mère. Et ils ont même une cuisinière. Les traditions sont un peu drôles parfois.
Si je vous parle de cette maison d’étudiants datant des années quarante, c’est surtout pour vous décrire le dernier étage. Il y a bien entendu des chambres, il y a des chambres partout, mais surtout une bibliothèque et un toit. Je n’ai pas encore eu l’occasion de bien connaître la bibliothèque, parce qu’elle est actuellement en travaux. Je ne l’ai vu que quelques jours et bien que je sois un peu bibliophile, je pense pouvoir affirmer que ce n’est pas mon endroit préféré. Le plus beau lieu de cette maison est quasiment inaccessible. Il faut pouvoir escalader une chaise pour atteindre le velux. Passer sa tête à découvert et s’exposer au vent. Soulever son corps à la seule force des bras et marcher à travers les tuiles pour atteindre le sommet. Et cette petite escapade en vaut vraiment la chandelle. Car sur le toit de la República do Ras-Taparta, on voit les lumières des réverbères qui éclairent la nuit. On peut sentir la Saudade qui renverse nos cœurs. On peut goûter à l’élan de vie, qui nous envahit quand on se sent minuscule. On peut écouter les cris des étudiants qui affrontent la nuit dans une insouciance alcoolisée. On peut toucher du doigt l’horloge de l’université pour arrêter le temps, le temps d’une soirée.
Mais comment pourrais-je vous décrire l’odeur de cette maison, des ces travaux pour le réaménagement de la bibliothèque, l’odeur de la cuisine, de ses habitants, des canapés, du tabac froid, des livres du XIXème siècle, de la peinture fraîche, du vieux bois de l’escalier de l’entrée. Comment vous décrire la vue de Coimbra depuis le toit d’une des maisons les plus hautes de la belle cidade. Comment vous décrire que de voir les foyers des maisons illuminés réchauffent un peu mon cœur refroidi par la nuit. Quand vous êtes encore en France, vous vous dîtes « il n’est pas question que je rencontre un seul français dans un pays étranger sinon je ne pourrai pas apprendre la langue ». C’est entièrement faux. On a besoin de parler, de s’exprimer. On dit aussi que sur un toit on se sent au-dessus de tout, je trouve que c’est le contraire, on se sent infiniment petit. Vous savez, lorsqu’on arrive dans une nouvelle ville, dans un nouveau pays, où tout autour de soi parle dans une langue inconnue et que l’on arrive pas se faire comprendre. On ne peut plus respirer. On a envie de hurler, mais aucun son ne sort de notre bouche. On a envie de pleurer, mais aucune larme ne sort de nos yeux. On a envie de frapper partout, mais aucun mur ne se trouve à proximité. Alors on se calme ou on explose. Alors on se calme ou on explose. Alors on se calme ou on explose. Alors on se calme ou on explose. Et on trouve son endroit pour respirer un peu. Mon endroit, c’est le toit de la República do Ras-Taparta. Et puis, petit à petit, on rencontre des gens qui nous font voir le monde un peu différemment.
A suivre…
26 octobre 2016
Quand on est Erasmus, on rencontre beaucoup de monde. Beaucoup d’Erasmus. Pas beaucoup de locaux. Cela dépend de ce que vous voulez vraiment. Quand vous choisissez une destination comme le Portugal, il faut que vous définissiez vos priorités. Voulez-vous parler anglais ou portugais ? Voulez-vous être avec des étudiants internationaux ou avec des autochtones ? C’est un choix. Sachez que l’endroit où vous habitez est déterminant sur le mode de vie que vous allez avoir. Et puis parfois on rencontre des morts.
Je vous le dis, ça a été particulièrement choquant. Je ne m’attendais pas à réagir de cette manière, à être autant affectée, autant révoltée, aussi triste. L’événement s’est produit durant la première semaine de rentrée, dans mon premier cours de culturas africanas. La salle de classe était pleine à craquer d’étudiants portugais et internationaux, 75% d’étrangers, je n’ai jamais vu ça. Notre professeure est arrivée et on a commencé le cours s’en attendre le quart d’heure académique. Elle était très jeune, on aurait dit une étudiante. Ah oui ! Il m’est arrivé une autre chose assez déconcertante. Je me suis retrouvée dans une classe fantôme au lieu de mon premier cours de paléographie. Le cours de paléographie, si vous partez à Coimbra, je ne vous le conseille pas, c’est particulièrement difficile bien que très intéressant. La classe fantôme c’est une des traditions de l’université de Coimbra pour les premières années. Ça m’a décontenancé parce que je suis en troisième année. Ainsi, dans cette classe, il y avait un faux professeur et un bizutage pour les nouveaux mais je suis partie au bout d’une heure parce que l’ambiance était assez irrespectueuse et que je ne comprenais rien à ce qui se déroulait sous mes yeux. Bon d’accord, je reprend l’histoire du mort. Je disais donc que notre professeure de culturas africanas était très jeune, aussi jeune qu’une étudiante, très belle aussi, avec un piercing en anneau sur la narine gauche. Elle avait des longs cheveux châtains avec un tie and dye qui la blondissait sur les extrémités des cheveux. Elle s’exprimait d’une voix claire et bien distincte, particulièrement lorsqu’elle nous lisait les poèmes qu’on allait étudier. Bien que je la décris de manière assez précise, ce n’est pas elle qui est morte, puisque en réalité c’est un homme. Ah oui ça me rappelle une autre histoire ! Un jour où j’étais à la República do Ras-Taparta, un des membres qui parle français m’a fait visiter la maison et nous sommes rentrés dans quelques chambres pour jeter un coup d’œil aux peintures murales. Dans l’une d’entre elles, il s’arrête et me dit « ici, un étudiant est mort ». Je lui répond : « pardon? ». Il me répète sa phrase : « Ici, un étudiant est mort ». Je répète à mon tour ma question : « pardon ? ». Il m’explique enfin. Autrefois, dans cette maison vivaient des garçons, en effet l’université n’était pas ouverte aux filles, et il y en avait un, un peu particulier. A table, tout le monde buvait du vin, mais pas lui. Lui, il buvait de l’eau. D’ailleurs, il aurait dû boire du vin parce que l’eau l’a tué. Je ne vous raconte pas cela pour vous inciter à boire du vin, aujourd’hui l’eau est traité donc vous n’avez aucune excuse. Je voulais juste vous raconter cette histoire parce qu’elle m’a vraiment surprise. Et puisqu’on parle de mort, un de plus ou un de moins, ça ne fait de mal à personne. Mais ce n’est pas de ce garçon, bien qu’il aurait mérité une page à son sujet, dont je voulais vous parler, puisque le mort en question est bien plus âgé. Je disais donc que j’étais dans la classe de culturas africanas avec une jeune professeure qui nous faisait cours quand j’ai rencontré le mort, un homme d’un certain âge. Je ne l’ai pas vu mourir, cet homme, mais je l’ai entendu. Je l’ai entendu quand il était vivant bien sûr, puisqu’une fois mort, on ne parle plus, tout le monde le sait. Je l’ai entendu mais je n’ai rencontré que ses mots. Ses mots bien vivants alors que lui il est mort. Ces mots qui m’ont déchiré le cœur comme une voix aiguë qui brise des vitres en mille morceaux. Il est mort mais il était bien vivant, il était plein d’espoir de vie, plein de questionnements aussi. Il est mort mais son souffle est inépuisable. Il est mort alors qu’il était là, à Coimbra et je me retrouve désarmé par ses mots, alors que ce sont les mots d’un mort. C’est à ne plus rien comprendre. Il était jeune et vieux à la fois. Il était plein de doute et plein d’assurance en même temps. Il était vivant et mort au même moment, à dire des mots insensés remplis de sens. Je vous perd, je le sens, et je crois que je me perd un peu aussi. Parfois ça fait du bien, ça fait de nous des vivants.
En réalité, le mort en question s’appelle Agostinho Neto. Il n’est pas décédé dans la classe bien entendu, il s’est éteint en 1979. Agostinho Neto, c’est d’abord un médecin, puis le président de l’Angola pendant le colonialisme de Salazar, un homme qui a lutté pour l’indépendance de son pays. Agostinho Neto, c’est aussi un poète. Il fait partie de cette « génération de libération qui a tout sacrifié pour mettre un terme à une époque injuste de l’histoire de l’humanité, celle qui va de l’esclavage à la chute du colonialisme » selon les mots de Maria Eugénia Neto dans la préface du recueil de l’édition bilingue fraco-portugaise. Et moi, sous un soleil de 30 degrés j’ai froid. J’ai froid parce que je lis ses poèmes sur la terrasse à côté du citronnier aux feuilles vertes. J’ai froid parce que je suis aspirée par ses mots et parce qu’au moment où je relève la tête, je n’assume le fait que tout paraisse si simple ici. J’ai froid parce que je lis A la Reconquête. J’ai froid parce que j’ai l’impression que les gens ont cessé de se battre. Et j’ai froid parce que j’ai peur de me battre. Parce que je ne vis qu’un combat ordinaire. Alors je lis ces mots et ça ne me réconforte pas :
« Ne te penche pas trop sur toi-même
Ne t’enferme pas dans la tour d’élucubrations infinies
Des souvenirs et des rêves que tu aurais pu vivre
Afrique aux pantalons de fantaisies viens avec moi
descendons dans la rue
et dansons la danse harassante des hommes
le rythme simple des laveuses
écoutons le tam-tam angoissant
pendant que les corbeaux épient les vivants
attendant qu’ils deviennent des cadavres
Afrique des scènes occidentales viens avec moi
découvrir le monde réel
où des millions d’êtres fraternisent dans la même misère
derrière les façades de la démocratie du christianisme de l’égalité
Afrique des cabinets d’études viens avec moi
et retournons dans notre petite maison de tôle oublié dans le musseque de Boavista
jusqu’où nous a déjà poussés
quand on a brisé les maisons à une seule pente de toit à Cayatte
et autour du feu qui stimule nos aspirations les plus justes
examinons l’injustice inoculée dans le système vivant où nous tournons.
Afrique des matelas à ressors viens avec moi
retournons à notre Afrique
où nous avons un lambeau de notre chair écrasé sous la botte des deuxièmes classes
où les gouttes de sueur sont tombées gratuitement de notre visage
– notre Afrique.
Afrique du jitterbug viens avec moi
jusqu’à la terre jusqu’à l’homme jusqu’au fond de nous-même
voir tout ce qui de moi et de toi a fait défaut
tout ce qui de l’Afrique a été oublié
et a disparu dans notre peau mal vêtue sous le vêtement d’emprunt
du plus misérable des ex-gentilshommes.
Ne pleure pas Afrique sur ceux qui sont partis
regardons sans trouble vers les épaules courbées du peuple qui descend la rue
noir noir de misère noir de frustration noir d’angoisse
et donnons-lui notre cœur
livrons-nous
par la faim, la prostitution, les cases dévastées
les coupe-coupe des cipayes
par les murs des prisons par la Grande Injustice.
Personne ne nous fera taire
personne ne pourra empêcher au sourire
de fleurir sur nos lèvres qui n’est pas un remerciement pour la mort qu’ils nous donnent.
Avec l’Humanité toute entière
nous allons conquérir notre monde et notre Paix. »
Je vais m’arrêter là. Car que dire de plus à ces mots si ce n’est merci de faire en sorte que l’on n’oublie pas que des gens ont vécus avant nous. De faire en sorte que l’Histoire ne soit pas qu’un récit du passé. De nous rappeler que nous sommes bien vivant et que nous écrivons l’histoire de demain. A côté du citronnier aux feuilles vertes, je relève la tête et je contemple les Hommes. Qu’avons-nous fait ? Et que faisons-nous encore ?
A suivre…