[SCI le monde m’était conté] A la découverte de la Tanzanie

« SCI le monde m’était conté », c’est le nom de code du projet web des étudiants du master Stratégies Culturelles Internationales, actuellement en stage aux quatre coins du monde.
On part maintenant pour le continent Africain avec Tanja… Dépaysement garanti : bienvenue en Tanzanie !


« SCI le monde m’était conté », c’est le nom de code du projet web des étudiants du master Stratégies Culturelles Internationales, actuellement en stage aux quatre coins du monde.
On part maintenant pour le continent Africain avec Tanja… Dépaysement garanti : bienvenue en Tanzanie !

Karibu mzungu!

« Karibu mzungu » (« Bienvenue, blanche »), c’est définitivement la phrase que j’entends le plus souvent. Elle s’accompagne toujours de la curiosité, du scepticisme et aussi de l’envie d’explorer de nouvelles opportunités. Les personnes blanches sont automatiquement vues comme de riches touristes et bien sûr on leur propose des prix beaucoup plus élevés.
Ici, la communauté est forte et ça leur prend du temps avant qu’ils n’acceptent qu’une blanche vive vraiment avec eux et que nous ne sommes pas que des touristes, qu’on va au boulot tous les jours, au marché (la plupart vont au supermarché), ou encore aux petits shops (des petites cabanes où on peut pas entrer mais où on commande par la fenêtre pourvue d’une grille), qu’on porte des sacs lourds sur de longues distances (« mais pourquoi tu ne les portes pas sur la tête, c’est beaucoup plus facile?! »), qu’on prend les transports commun (non on n’a pas une jeep privée), qu’on lave le linge à la main.
Finalement, une fois acceptée les locaux s’attachent, et te prennent en amitié. Après seulement quelques mois, j’entends déjà «quand tu retourneras en Europe, je n’oublierai jamais que j’ai une fille/sœur là-bas».

Ce qui aide aussi à briser la glace, c’est d’apprendre le kiswahili, la langue officielle, en plus de connaître les différentes structures hiérarchiques comme par exemple connaître les différentes formules de bienvenue selon l’âge, le sexe et la position sociale de la personne à qui on s’adresse dans la communauté.

Mais toujours, les tanzaniens s’étonnent de la pauvreté culturelle européenne – Ils me demandent souvent «tu es de quelle tribu, c’est quoi ta langue de tribu?», et ils me disent qu’ils sont tristes pour moi quand je leur explique que je suis seulement allemande et que ma langue maternelle est l’allemand. Si quelqu’un est trop déçu, j’explique alors que je suis de la tribu «bavaroise».

Le Tanganyika (ancêtre de la Tanzanie) était une colonie allemande avant la fin de la Première Guerre Mondiale, puis colonie anglaise jusqu’à l’indépendance et la fusion avec le Zanzibar en 1964. Il reste surtout de cette histoire coloniale les influences britanniques avec le système scolaire et la conduite à gauche. En Tanzanie, il y a plus de 120 tribus, chacune avec une langue différente et de nombreux clans. Un enfant né dans un village apprend d’abord la langue du clan, puis la langue de la tribu. Il apprendra le kiswahili plus tard à l’école. Le développement et la diffusion de l’anglais sont fortement influencés par le gouvernement anglais, mais le kiswahili demeure toujours la langue dominante dans la vie quotidienne. Chaque citoyen tanzaniens ne maîtrisent pas l’anglais.

Le stage, l’opportunité de vivre un rêve

Après être venue en France pour faire mon Master, j’ai pris l’opportunité du stage de fin d’études pour réaliser mon rêve d’aller en Afrique. Malgré quelques obstacles rencontrés (entre temps la Tanzanie a été classée comme « dangereuse » par le Ministère des Affaires Étrangères à cause du renforcement de l’État Islamique), j’ai pu partir malgré tout.
Je fais mon stage dans une ONG locale, travaillant avec des jeunes pour leur enseigner des opportunités d’éducation, de formation continue et de création d’entreprises.

J’habite à Arusha, une grande ville de plus de 416 000 habitants au nord de la Tanzanie, pas loin des parc nationaux comme le Serengeti, célèbre dans le monde entier. Le Kilimanjaro, la plus haute montage de l’Afrique n’est pas très loin non plus.

Ce qui détermine le rythme de vie

Je mène une vie comme les locaux fortunés, mais loin de la vie des expatriés qui construisent souvent une copie européenne, américaine ou australienne. Si on parle avec les expatriés, on a le sentiment qu’ils se mettent dans une boule scintillante et romantique puisque beaucoup d’entre eux travaillent dans le «Geneva of Africa» comme on le nomme souvent à Arusha. Ce secteur doit son nom à la forte présence des institutions internationales : la Communauté d’Afrique de l’Est (East African Community, EAC), le East African Court of Justice (Cour de Justice d’Afrique de l’Est), le Tribunal Pénal International pour le Rwanda etc.
Après avoir passé deux mois en contact presque exclusif avec des locaux et des étrangers africains, j’étais dépassée par le contact avec cette bulle d’expatriés. Les histoires ressemblent à des films sur la colonisation africaine ou à des dépliants touristiques : un gîte magnifique, une vue imprenable sur les savanes, des meubles chouettes tout en bois, des œuvres artisanales et que des Blancs. Ah non, j’oubliais les employés, qui eux, sont les seuls blacks. Pas uniquement pour être au service des occidentaux mais aussi pour garantir l’ «authenticité» de la soirée «africaine»…

En Tanzanie, loin des cartes postales et de l’environnement des expatriés, certains facteurs déterminent la vie quoidienne comme l’accès aux services de santé, à l’électricité et particulièrement à l’eau (rarement propre).
Même si je vis dans un milieu plus fortuné que la plupart de la population, ces facteurs restent décisifs pour le rythme de vie car on n’y a pas toujours accès. On apprend très vite l’importance de la prévoyance – faire des réserves d’eau, stocker des bougies chez-soi, avoir au minimum un portable supplémentaire dont la batterie dure longtemps. Ici, tout le monde a au moins un portable et beaucoup ont un smartphone. On s’en sert en permanence pour rester en contact avec des amis et recevoir de l’information. Si on a pas de télé, on va chez les voisins pour la regarder et les journaux se passent d’une personne à l’autre.

Et cela vaut pour tous les objets puisque tout est réparé, réutilisé ou transformé. A Arusha, on raconte qu’à Dar es Salaam (la plus grande métropole tanzanienne même si ce n’est pas la capitale), les gens sont fous parce qu’ils ont l’habitude d’acheter des vêtements neufs. Ici tout le monde va au marché où on retrouve des tonnes d’habits d’occasion du monde entier. Pour des événements exceptionnels, on va chez un tailleur (certains sont d’ailleurs de vrais créateurs de mode). Mais aller dans un magasin pour acheter des habits neufs ?? Ces métropolitains de Dar es Salaam sont vraiment dingues!

Le rythme tanzanien ou « pole pole »

Si je vous dis que ces facteurs déterminent d’une manière importante le rythme tanzanien, on se pose la question, c’est quoi le rythme tanzanien?  

Le rythme ici, c’est principalement de ne pas en avoir mais de s’adapter aux réalités quotidiennes. La plupart de la population n’a pas d’emploi fixe mais gagnent de l’argent en faisant des petits boulots: ils sont conducteurs de daladala (minibus), de pikipiki/bodaboda (taxi-moto), livreurs en vélo ou en mkokoteni (charrettes), ils cousent, ils tressent les cheveux ou montent des petites affaires. Par exemple ici, pour créer un snack-bar on a juste besoin d’un feu et peut-être d’un petit siège, des vêtements, des ustensiles de cuisine, des outils et des animaux!

Et si on a d’autres chose à faire, comme prendre le thé, aider un ami ou bavarder, on s’arrête simplement de travailler. Mais ne pensez pas qu’on est paresseux ici. Vous n’avez jamais vu autant de personnes occupées! On entend souvent: « I am the busiest man in the world». Prenant en compte que tout demande beaucoup de temps et d’efforts, on comprend que le temps passe vite ici – même si l’ambiance générale est au « pole pole » («doucement, on se calme, y’a pas le feu»)!

En Tanzanie, on vit dans « l’ici et maintenant ». On est dans une série d’instants et moments présents. Un jour libre n’existe quasiment pas. Et un jour sans revenu signifie souvent un jour sans pouvoir faire de courses, sans accès à l’eau, sans pouvoir payer les frais d’école le lendemain. Ce n’est pas qu’une question de pauvreté, on n’est juste pas habitué à épargner.

Les traditions et la recherche d’une identité nouvelle

Mais depuis quelque temps, on remarque que les choses changent. Cela concerne notamment le souhait d’épargner et de créer un compte bancaire, d’avoir une assurance-maladie et d’avoir une carte d’identité. On veut «exister» dans le monde globalisé. Un tanzanien m’avait dit qu’il aimerait que tous leaders et les mégalomanes viennent en Afrique pour se rendre compte qu’ils ne sont que des êtres humains parmi d’autres qui sont tous égaux.
Selon cet homme, seul l’Afrique  peut aider à réaliser que la vie n’est pas si importante, qu’on est tout petit et que la nature est plus importante que les personnes. Même si beaucoup de tanzaniens essayent d’échapper à ça et veulent devenir égaux à la civilisation mondiale.

Normalement, un tanzanien n’a pas de carte d’identité ni de passeport. Si quelqu’un veut voyager (c’est un petit nombre qui a les moyens de voyager hors du pays), il peut demander un passeport qui, lorsque la demande est acceptée, se compose d’une fiche papier. J’ai rencontré un jeune homme qui rêve d’avoir un vrai passeport. Avec une housse plastique et une photo d’identité. Il n’est jamais sorti de la région d’Arusha et il semble qu’il ne pourra pas voyager bientôt. Il voulait tout savoir sur le processus de quitter un pays et entrer dans un autre et quand je lui ai dit qu’on prenait les empreintes quand tu rentres en Tanzanie, ses yeux brillaient.
On veut laisser des traces dans le monde. La jeune génération veut exister dans les échanges internationaux, elle veut découvrir de nouveaux horizons hors des traditions locales.

Dans le cadre de mon stage je me penche par exemple sur la Communauté d’Afrique de l’Est et dans ce contexte, on touche souvent à la question de l’identité de l’Afrique orientale. En Europe, la question d’une identité européenne amène des débats passionnés, alors qu’ici, la question d’une identité commune laisse indifférent. Comme l’Afrique de l’Est est vraiment immense, beaucoup ne se reconnaissent pas dans cette communauté. Se sentir «africain de l’Est» est tellement énorme que c’est en fait inimaginable. On se sent avant tout comme un membre de sa famille et de sa tribu et après on est relié à sa région natale.

La recherche d’une nouvelle identité est extrêmement présente. D’un côté, ils sont fortement attachés à leur identité locale et d’un autre, ils rêvent de devenir des citoyens du monde. La particularité pour moi de ce pays, c’est que ce challenge n’occupe pas encore les zones rurales; ce sont uniquement les personnes avec une très bonne formation et un réseau international qui se voient confrontées à ce dilemme.
A cela s’ajoute les «traces de la mondialisation en Tanzanie», comme une vieille femme m’a expliqué : depuis deux ou trois générations, ça devient de plus en plus courant de se marier avec des personnes qui ne sont plus du même clan ou de la même tribu. Les enfants nés de ces mariages « mixtes » font officiellement partie de la tribu du père mais en réalité, les structures se perdent et il n’est pas rare que ces enfants soient vus comme «sans identité» et se voient donc confrontés au challenge de trouver une place dans le système d’identité tanzanien.

La Tanzanie, une île de paix et de calme en Afrique d’Est?

La vie s’échappe comme le sable fin de la plage de Zanzibar s’écoule entre les doigts. La mort et les atrocités sont présentes dans les têtes et dans les cœurs et on rencontre partout des personnes traumatisées par les conflits entres les tribus, les guerres civiles et les infamies dans les rues. Le génocide du Rwanda en 1994, la guerre civile au Burundi (1993-2005), les violences post-électorales au Kenya en 2007-2008, les périodes de dictatures en Ouganda entre 1971 et 1986 et la violence continue au Nord de l’Ouganda où une guérilla tue encore d’innombrables victimes, entre autre. Beaucoup ont vu des personnes tuées, massacrées, violées et les images et les cauchemars les accompagnent tout au long de leur vie. J’ai aussi probablement passé du temps avec des personnes qui ont commis des crimes, mais on n’en parle pas.

Évidemment, mes pensées vont vers les proches de l’attentat de Garissa, au Kenya, qui a eu lieu le 2 avril dernier. 147 personnes ont été exécutées par des djihadistes car ils ne pouvaient pas citer une sourate. La plupart était des étudiants. L’attentat de Garissa a créé une atmosphère difficile à décrire ici à Arusha. On est choqué, paralysé et indiciblement triste. Mais d’un autre cote, on ne réalise pas a quel point on est proche physiquement. On est sur « l’île tanzanienne », on sourit et la vie continue.

D’une vision extérieure, la Tanzanie est considérée depuis 1979 comme une île de paix en Afrique de l’Est. Mais les apparences sont un peu trompeuses et édulcorées.
En 2013, la Tanzanie se classait à la 159ème place au niveau de l’indice de développement humain (sur 187). Selon les chiffres, les conditions de vie s’améliorent mais dans la rue, on voit la réalité: la population nationale augmente rapidement, près de 50% de la population est âgée de moins de 15 ans, la mortalité néonatale est élevée, il y a officiellement 1,4 millions de séropositifs et les principales causes de mortalité sont la malaria, la tuberculose, le typhus, la malnutrition, les accidents de la route et la toxicomanie ou l’alcoolisme. Un double de Konyagi (c’est du gin), promu comme « l’esprit de la nation » est vendu partout pour 600 Shilling tanzanien (à peu près 25 centimes). On comprend alors que les mecs bourrés qui se traînent devant les shops et se lamentent sur les injustices de la vie sont in-détachables de l’image tanzanien: il est sale. Les ordures sont incinérées dans les jardins et dans les rues, les enfants conduisent les troupeaux au milieu des ordures, cherchant désespérément un coin d’herbe pour brouter. La corruption et le favoritisme sont omniprésents. Les contraventions sont négociées et la somme finalement payée va dans la poche du flic, pas au gouvernement. Sans «amis» spéciaux, on n’a aucune chance de recevoir des papiers officiels dans un délai et à un  prix raisonnable.
Aussi, lorsque les élections approchent, les persécutions des albinos augmentent. Certaines parties de leurs corps sont vues comme des porte-bonheur (par les pêcheurs mais aussi les candidats politiques) et justifient qu’on les enlèvent et les massacres. On est bien dans un pays pauvre, où ce n’est pas toujours facile d’apercevoir une lueur d’espoir, l’essor économique ou l’amélioration des services publiques comme l’éducation et les services de santé qui sont régulièrement soulignés.

Mais il y a aussi des moments où on rencontre des personnes fortes et optimistes. Comme la cuisinière là où je travaille. Elle a dernièrement cuisiné un délicieux repas pour 40 personnes avec une seule gazinière et un feu dehors. Et avec le sourire! Elle a eu son premier enfant à 16 ans et est maintenant parent isolé de deux enfants, me raconte-t-elle en renouant son foulard. Un jour l’argent est devenu juste mais au lieu de demander de l’argent pour payer les frais de scolarité de sa fille, elle a décidé de fonder une association avec d’autres femmes de son quartier et ont créé un nouveau système bancaire: les femmes accordent des crédits à celles qui sont en difficultés. C’est un système qui fonctionne bien depuis des années.

Ce qui compte vraiment dans la vie

En Tanzanie, on apprend les valeurs qui comptent vraiment dans la vie, le respect, la famille, la cohésion et la solidarité. La folie de la beauté européenne est remplacée: ici on s’aime comme on est – avec un grand sourire et à condition d’avoir des fesses bien rondes et qu’on sache comment les bouger. La Tanzanie, c’est aussi le dynamisme, l’optimisme, l’espoir, et prendre le temps pour ses semblables. Et beaucoup de curiosité.
Par exemple, un ado m’a observé, très étonné quand j’ai mis de la crème solaire. Il voulait savoir ce que je faisais. Je lui ai alors expliqué que la peau blanche est sensible et qu’on risque de se brûler si on reste trop longtemps au soleil. Il était fasciné et voulait l’essayer lui aussi. Quand je lui ai expliqué que les blacks n’en ont pas besoin parce que la peau noire n’est pas sensible, il m’a demandé pourquoi on utilisait de la crème blanche au lieu d’une crème noire.

Je vous n’ai pas parlé de mon stage. Malheureusement il ne se déroule pas comme souhaité. Mais je profite au maximum de chaque moment libre, je ne sais pas où regarder. Ici, on réapprend vite a sourire et a rire. Ici, on vit selon le principe du « Hakuna matata » que tous ceux qui ont vu Le Roi Lion dans leur enfance connaissent.

En fait, si vous voulez voir un pays avec des habitudes, des traditions et un rythme de vie complètement différent, la Tanzanie est la bonne destination. Ouvrez votre esprit et sortez des sentiers touristiques. Mangez dans la rue avec vos main assis sur des seaux renversés, chantez pour faire passer le temps pendant les pannes d’électricité, ayez tout à coup des bébés sur les genoux, allez danser dans les boîtes de nuits où chacun oublie les difficultés de la journée et écoutez les rêves et les visions des jeunes. Apprenez ce qui compte vraiment dans la vie.