Jason le bonbon même pas bon

C’est l’histoire de Jason, une nouvelle marque de bonbons qui arriva en France dans les années 2000.

Il y a eu un grand engouement autour de ce bonbon.

Les publicités le mettaient énormément en valeur, les enfants ne faisaient qu’en parler entre eux. Il était LA star du moment sans que PERSONNE ne l’ait encore goûté.

:

Un beau jour, à l’école de la petite ville de Sucré-sur-Salé

un petit garçon prénommé Lucas rapporta ce fameux bonbon, Jason, pour son anniversaire.

Tous étaient très excités à l’idée de pouvoir enfin croquer cette sucrerie. Ils décidèrent de mettre Jason dans leur bouche, quand tout à coup…

BEURK !

Jason est un bonbon même pas bon !, dirent les enfants. Tous le recrachèrent immédiatement.

Jason se sentit alors rejeté, lui qui était vivement attendu.

Depuis ce jour, Jason fut harcelé par ses congénères bonbons. Il était moqué, bousculé et même tapé…

Cet événement mit Jason dans une rage folle.

Il devient méchant et mangea tous ceux qui l’avaient harcelé.

Il ne fallut que quelques jours

Pour que la recette des bonbons Jason change, et qu’il devienne enfin apprécié à sa juste valeur.

Jason le bonbon même pas bon devint alors le meilleur bonbon de tous les temps, et se sentit mieux dans son sucre !

Asugar frère

Je veux casser des dos, des gueules

Je veux casser des voix qui s’élèvent, ces voix pro-sucres

Je veux casser ces voix pour amener d’autres voix 

Celles de ceux qui cassent du sucre, au prix de casser leur vie

Briser des vies, des éclats de vie

Sucre qui nous lie tous dans son monde doux et sucré 

Monde doux et ensanglanté plutôt 

Ma bouche avale du sang, rouge et visqueux à chaque dragibus pris

Du sang pas doux, âpre, amer, qui se mélange au mien 

Sang qui lacère la bouche, agresse la muqueuse buccale

Qui se durcit pour devenir des os, qui pètent les dents

Plus de dents

La mort

J’avale la  mort

La mort est mon frère 

Mon frère est mort 

À cause de qui ? 

Putain de sucre

Putain de consommation

Putain de société 

Mon frère avait un nom doux et sucré, un nom étouffé par le glucose 

Un nom qui s’écorche

Qui s’écorche dans la gorge

Pleine de sucre, la gorge

Revêche le sucre qui lacère ma gorge, vos gorges

Je veux qu’il les transperce

Je veux vos hurlements pour ne plus entendre ceux de mon frère 

Je veux que vous vous rappeliez que chaque gramme de sucre avalé, absorbé, ingurgité, sniffé, digéré, humé, accepté par tout un chacun est une parcelle du corps et de l’âme de mon frère

Asugar Frère…

Le dernier au revoir

Cela fait cinq minutes que je suis en haut de ces murs, en train de penser à mon existence. J’ai réussi à l’escalader, aidée par les branches de cassonade. Je vois mes mères, en bas. Elles me regardent avec tendresse et inquiétude, elles savent que je ne vais pas revenir. Je le sais, on le sait, mais personne ne l’a dit. Je les vois, elles pleurent. Mais je suis prête à sauter de l’autre côté, prête à découvrir ma vie, mon avenir loin d’elles.

Avant de m’enfuir, je me remémore mon enfance dans cet univers. Je suis née un jour sucré, un mardi ensoleillé, l’un des plus merveilleux de l’année. Il faisait beau, comme un jour habituel ici. Le soleil illuminait tous les champs de bonbons, les fruits des arbres étaient mûrs et les fleurs apportaient mille couleurs aux maisons. Mes mères étaient si heureuses, leur première et unique enfant était née. Tout semblait angélique dans ce monde paisiblement emmiellé. Je suis une femme qui a grandi dans un univers comestible, rempli d’éléments sucrés et cela a toujours été normal pour moi. 

Aujourd’hui, j’ai vingt ans, et ce paradis sucré est resté intact. Je n’ai connu que le soleil mielleux de notre ville mais jamais de la pluie, de vent, ou encore de neige. Rien ne tombe du ciel à part les rayons de couleurs. C’est l’été, le paradis du bonbon, le plus grand rêve des petits enfants. On mange des sucreries comme d’autres mangent des fruits et des légumes. Chez nous, cette alimentation est habituelle.

Moi, je me suis toujours sentie de trop dans cet univers délicieux. Comme si je n’appartenais pas à ce monde et que je ratais quelque chose de meilleur depuis tant d’années. Mes seules occupations étaient lire à côté de la rivière de caramel et écouter de la musique sous l’arbre à pommes d’amour. Mais cela ne suffit pas. Je sais qu’il y a quelque chose qui m’attend derrière les murs, loin de cette vie. Je le sens, on m’appelle. Je deviens folle, je respire du sucre et cela me fait fondre le cerveau.

Mes parents sont nés ici, ont connu le même monde que moi, mais jamais n’ont remis en question cette vie paradisiaque du sucre. Pourtant, je suffoque, j’en ai marre de voir de la couleur, des sucettes, des fruits et de la barbe à papa à chaque coin de rue. C’est pas normal, rien ne l’est ici. Tout le monde prétend être heureux, à un point où les vraies émotions disparaissent. Je suis coincée là, seule depuis toujours. J’aimerais tellement qu’on comprenne que cette vie n’a aucun sens. Mais comment puis-je m’en sortir ? Il n’y a aucune sortie, aucune porte magique qui me laisserait m’échapper. Personne ne comprend, car il n’y a que des êtres ignorants coincés autour de ces murs géants.

Je ne peux pas vivre comme mes mères. Même si je les aime très fort, elles ne peuvent pas être la seule raison pour laquelle je resterai ici. Je dois partir, grandir et devenir ma propre personne. Toutes les deux sont la raison pour laquelle je suis en vie. Je suis à leur image et c’est ma plus grande fierté, je suis altruiste et généreuse. Malgré tout, il manque le bonheur qu’elles ont. Je vais devoir les quitter, vivre ma vie et découvrir ma propre étincelle. 
                             

Je regarde une dernière fois le paysage. J’arrive à visualiser toute mon enfance dans cette ville sucrée, je vois les champs de sucettes, les rivières au caramel, les maisons en pain d’épice, tout est là. Dans ma mémoire, ce paysage restera le même, avec mes parents qui m’observent pour mémoriser mon visage. Avant de sauter et de partir à jamais, la seule question qui me vient en tête est : vais-je être assez courageuse pour vivre cette aventure ? Mais sans même y répondre, je prends une grande respiration et saute de l’autre côté.

Veritas

Personnages :

Fiona, boulangère

Miss Mals, sa belle-mère

Javotte, fille de Miss Mals

Wendy, fille de Miss Mals

Manuel Ier, le roi

Dame Gina, sa femme, la reine

Alice, leur fille

Pierre, duc d’Herver, son cousin

Ancel, comte de Keys, alchimiste du Consilium Veritatis

John, comte de Piper, alchimiste du Consilium Veritatis

Frederic, duc de Stare, alchimiste du Consilium Veritatis

John, alchimiste indépendant

Yoni, poète

Gary, poète, ami d’Alice

Dame Christin, femme de lettres, amie d’Alice

Robert, médecin royal

Acte I

Scène 1

Dans l’arrière-boutique d’une petite boulangerie.

Mals : Que c’est désolant…

Fiona : Quoi donc ? Vous n’avez rien à plaindre ici, les affaires marchent bien.

Mals : Tu ne comprends donc rien… Nous n’aurons pas assez de stock de veritas pour la fin de la semaine…

Fiona : Eh bien, nous ferons sans. Pour quelques jours, ce n’est pas bien grave.

Mals : Souhaites-tu notre ruine, petite écervelée ?! Nous fermerons donc boutique à partir de vendredi.

Fiona : C’est idiot mais c’est vous qui décidez… (Elle hausse les épaules et se détourne pour pétrir de la pâte.) Enfin, comme j’aurais du temps libre, j’irais chercher des champignons.

Mals : Occupe-toi plutôt de faire les comptes, je crois que nous payons la veritas trop cher…

Entrent Javotte et Wendy, vêtues avec élégance, les bras pleins de boîtes.

Javotte : Nous revenons des magasins, vous auriez vu la quantité d’affiches collées sur les murs !

Wendy : De partout, un vrai papier peint ! La tailleuse n’était pas bien ravie… Enfin, en tout cas, je n’ai rien compris.

Fiona : Ce sont les poètes, ils écrivent que la veritas est toxique, qu’elle nous met tous en danger.

Javotte : C’est idiot. Seuls les tachés sont en danger, ils ne savent pas se mesurer. Mais nous ne sommes pas aussi primaires… Allons, viens Wendy, nous avons des essayages à faire.

Elles sortent.

Scène 2

Piper : Une nouvelle affiche est prête, Messieurs. Cette fois-ci, ils ne pourront pas rivaliser.

Stare : Je l’espère mais ils redoublent d’imagination. Ce sont des poètes, vous les connaissez, jamais à court de mots pour séduire.

Piper : Mais les faits parlent pour eux-mêmes, pas besoin d’enjoliver quand nous sommes dans le vrai.

Keys : Je ne crois pas en cela, Monsieur le comte. Il est toujours important de bien présenter, même des faits aussi vrais que la Terre est ronde et la mer salée. Les beaux mots ont toujours le beau rôle, l’humain est ainsi. Nous devons travailler à rendre lisibles nos travaux, c’est ainsi que nous remporterons l’adhésion du peuple. Je m’occuperais de cela, ne vous en faites pas.

Piper : Je vous remercie, Monsieur le duc. Avez-vous une idée pour contrecarrer leurs publications ? La meilleure solution serait de les empêcher d’écrire, non ?

Keys : Pour le moment, nous pouvons encore espérer les vaincre sur leur propre terrain. Ils sont peu nombreux et ont encore peu de preuves scientifiques.

Stare : Puisse cela durer, Monsieur, je nous le souhaite. Si vous me le permettez, je vais rejoindre mon laboratoire.

Keys : Bien sûr, je vais également mettre au point notre affiche. Adieu, chers confrères.

Scène 3

Des passants dans la rue, devant les affiches des poètes.

Premier passant : Du temps de mon enfance, personne ne s’opposait à la veritas.

Deuxième passant : La jeunesse est vigoureuse et passionnée, elle croit tout savoir.

Une silhouette encapuchonnée les rejoint.

Premier passant : Ils sont imbéciles, ils pensent nous convaincre avec de belles phrases. Mais la science nous va mieux.

Deuxième passant : Ma fille et ma femme y croient, tu sais, à ce genre de bêtises… Mais ce sont des femmes, la science ne leur parle pas plus que l’art de la guerre.

Premier passant : J’ai entendu dire que les femmes de la noblesse y croyaient aussi. Comme quoi, elles partagent toutes les mêmes idées absurdes. Mais ça ne prendra jamais. C’est un complot contre le roi et le conseil mais il est trop gros, il ne peut se loger en nous.

Deuxième passant : Parce que nos esprits sont pleins et vifs, contrairement à d’autres ! (Ils rient et continuent leur route.)

Scène 4

La silhouette encapuchonnée entre dans la boulangerie.

Fiona, à l’arrière de la boutique, parle à elle-même : Je jure que si Mals continue à s’occuper ainsi des choses qui ne la regardent pas, je l’enterre dans le jardin. (Elle frappe le comptoir avec son rouleau puis se calme.) Et toutes ses affiches… Que faire de toutes ces informations contradictoires ? Les poètes touchent mon cœur mais la science, mon esprit. Je voudrais bien croire que la veritas n’est pas un poison, comme le Consilium Veritatis le démontre mais comment expliquer les tâches ? Mals dit que c’est un manque de soin mais quel soin ? Je ne peux que donner raison aux poètes, leur vérité semble plus vraie… Enfin… (Elle soupire.) Que je suis fatiguée… Je voudrais ne plus en utiliser… Mais je ne suis pas assez libre pour cela… (Elle entend un bruit dans la boutique.) Il y a quelqu’un ? (Elle entre dans la boutique.) Je peux vous aider ?

La silhouette : Oui, bonjour. Auriez-vous une petite part de gâteau, je meurs de faim… Oh, je suis navrée, peut-être êtes-vous fermés…

Fiona : Oui, bien sûr. Tenez, je viens de finir une fournée, asseyez vous, je reviens. (Elle sort et revient quelques secondes plus tard avec une assiette et une tasse de thé.)

La silhouette, après avoir baissé sa capuche : Merci beaucoup. Puis-je vous demander si vous avez mis de la veritas dedans ? (Fiona ne répond pas.) Ne vous en faites pas. Je voudrais simplement moins en consommer, je sais bien que ce n’est pas bon pour ma santé…

Fiona : Vous croyez les poètes ?

La silhouette : Eh bien oui, je les crois. Ne pensez pas qu’ils n’ont aucune preuve scientifique derrière eux, ils manquent juste de moyens pour les exposer plus grandement. Mais je vous assure, comme je vous entendais en parler tout à l’heure, qu’ils sont dignes de confiance.

Fiona : Qui êtes-vous donc, Madame, pour en savoir autant ?

La silhouette : Alice, princesse héritière du royaume. Et vous, quel est votre nom ?

Fiona : Fiona. Je ne suis rien d’autre qu’une boulangère. Vous ne devriez pas vous confier à moi ainsi.

Alice : Je vous ai entendue parler dans l’arrière-boutique, il me semble que nous partageons les mêmes idées. J’ignorais que vous aviez l’obligation d’utiliser la veritas dans vos produits.

Fiona : Eh bien si, au risque de perdre mon travail, et peut-être même ma tête…

Alice : Je peux vous confier un secret en échange. Voulez-vous ? En gage de confiance.

Fiona : Un secret ? Si vous le désirez.

Alice, chuchotant dans l’oreille de Fiona : Une partie de la noblesse, moi y compris, travaillons activement à l’élimination de la veritas. Vous savez, nous en consommons autant que vous mais simplement, nous ne le savons pas. C’est un poison qui touche le royaume entier, nous devons agir. (Elle prend les mains de Fiona dans les siennes.) Je ferais de mon mieux pour faire fleurir la révolution et faire faner le conseil. Vous pouvez compter sur moi. (Fiona sourit et serre ses mains en retour.)

Acte II

Scène 1

Yoni : Vous avez vu ? Ils ne manquent pas d’air ces vieux charlatans ! Écrire ce genre d’absurdités !

Gary : Ne t’agace pas ainsi, ce n’est pas nouveau. C’est bien pour cela qu’ils nous donnent tant de fils à retordre… Et puis, évidemment, leurs recherches sont financées par le pouvoir, c’est plus facile ainsi…

John : Comme si les recherches des créateurs de la veritas étaient objectives ! Ceux-là même qui s’enrichissent en la vendant ! C’est une insulte à la science ! Se vendre ainsi à l’argent, c’est absolument immonde.

Gary : Et le monde fonctionne comme cela depuis des milliers d’années, c’est ainsi.

Robert : Nous devons parler science, nous devons prouver que ce produit est mauvais, c’est ainsi que nous vaincrons !

John : Je voudrais bien cher ami, mais avec quel argent ? Nous devons trouver des mécènes… Et la révolution n’a pas bonne presse.

Gary : J’ai quelques dames de ma connaissance qui pourraient peut-être nous aider. Il s’agit de demander avec discrétion mais fermeté. Je sais pour autant que je peux me le permettre, elles sont des amies.

John : Des femmes ? Peuvent-elles y faire quelque chose ? Comprennent-elles quelque chose à notre noble cause ?

Gary : Comprendre ? Oh, John… Ne crois pas qu’elles ne réfléchissent pas, leurs esprits ne sont jamais tranquilles bien longtemps. Elles sauront nous aider, je n’en doute pas un instant. Celles-ci, en particulier, ont l’œil vif, l’oreille bien ouverte et les mains agiles, tu peux déposer toutes tes craintes en leurs seins, elles te les seront rendues tranquillisées. Va, je ne t’en veux point, les poètes voient mieux le monde que les alchimistes, c’est le sens de notre existence. 

Scène 2

Entre Fiona, un tract à la main.

Fiona, lisant : Le Conseil vous vend du bonheur, vous vend du rire et du goût, vous parle de délicieux produits sans danger pour vous, un simple plaisir. Le Conseil vous dit que seule la consommation excessive de veritas est dangereuse et que les tâches sont un signe de laisser-aller. On vous raconte que vous ne risquez rien, que vous allez bien, que c’est la quantité qui tue mais qu’elle est immense. Mais c’est faux. Aussi faux que les chats aboient et que les canards chassent en meutes. Oui, la quantité tue mais elle est constamment atteinte. Chaque jour. Parce que la veritas est partout, dans chaque baguette de pain, dans chaque tarte, dans chaque fruit, dans chaque légume, dans chaque épice, dans chaque morceau de viande. Ceux qui vous vendent votre nourriture en rajoutent partout parce que le roi les condamne s’ils ne le font pas. Ceux qui vous disent que ce n’est pas dangereux sont ceux qui s’enrichissent quand vous en achetez. Ceux qui sont persuadés que ça vous condamne sont réduits de force au silence. La réalité est celle-ci, la vérité a un couteau sous la gorge et ne peut s’exprimer. Aujourd’hui, la vérité a décidé de risquer sa vie pour s’exposer à vous, pour vous montrer le mensonge qui nous pollue tous : on vous dit que les taches sont la preuve de la pourriture intérieure mais des milliers d’entre vous pourrissent sans même en avoir la moindre trace. Les taches sont mises de côté alors que des milliers d’autres ont les mêmes entrailles et le même sang. La vérité est là : nous sommes tous en danger. (Elle pose le tract sur le plan de travail.) Eh bien, c’est tout vu.

Elle prend le sac de veritas et sort avec.

Scène 3

Alice : Bonjour, Messieurs. Je venais m’enquérir de l’avancée de vos recherches et de vos affaires.

Keys : Tout se passe très bien, Votre Altesse.

Alice : Vraiment ? Aucun problème ? D’aucune sorte ?

Piper : Disons que les rebelles commencent à prendre de la place… Ils n’ont pas encore de preuves de ce qu’ils avancent mais ils parlent bien.

Alice : Pas encore de preuves ? Pensez-vous qu’ils puissent en avoir ?

Stare : Non, bien sûr, nos recherches sont formelles sur la sécurité de notre produit. Piper s’exprime mal, c’est encore un enfant.

Alice : Peut-être devrions-nous leur donner les moyens de faire leurs propres recherches, pour l’honneur de la science ?

Stare : Ce sont des menteurs, Votre Altesse, ne tombez pas ainsi dans leur piège. Ils ne veulent rien d’autre que l’argent.

Alice : Quel argent ? C’est vous qui en gagnez en vendant la veritas.

Keys : Vous n’êtes pas familière des affaires, Votre Altesse, vous ne comprenez pas tout.

Alice, à part : Pour ne pas dire que je suis complètement stupide… (A Keys :) Oui, sûrement… Si vous dites que tout va bien, je vous crois. Je ne vous dérange pas plus. (Elle sort.)

Stare : Je n’aime pas ça…

Keys : C’est une femme, elle ne comprend rien à ce que nous faisons.

Stare : Ne soyez pas si sûr de vous, Monsieur. S’il est vrai que la plupart des femmes n’emploient pas leur peu de cervelle à autre chose que des chiffons, certaines, peut-être sont-elles un peu hommes, pensent et réfléchissent. Rien ne dit que la princesse n’est pas de ce genre. Piper, je vais vous demander une faveur. Allez dire au duc d’Herver, votre ami, qu’elle l’aime et qu’elle veut l’épouser. Que c’est un secret, qu’elle le cache absolument. Idiot et fou d’amour qu’il est, elle n’est pas prête de faire deux pas sans qu’il soit sur ses talons.

Piper : Quelle bonne idée, Monsieur le duc ! Je ferai ça avec plaisir ! (Ils sortent.)

Scène 4

Alice et Fiona sont assises dans l’herbe, près du fleuve, dans un coin de forêt. Elles mangent et boivent du thé.

Alice, se laissant tomber avec joie, la tête sur les cuisses de Fiona : Mon dieu, ma très chère Fiona ! Si tu savais comme je suis épuisée ! Il n’y a que toi pour m’écouter ainsi !

Fiona : Le monde ne tourne rond pour personne en ce moment…

Alice : Est-ce pour ça que nous sommes ici, assises en forêt, au lieu d’être dans ta boutique ? Je ne dis rien, cet endroit est charmant.

Fiona : Ma boutique m’a été prise, Alice. J’ai jeté la veritas dans le fleuve, Mals l’a appris et elle m’a dénoncée. Donc, non seulement la boutique n’est plus à moi mais moi-même, je n’ai plus qu’un sac comme abri.

Alice : Ma pauvre petite fleur… (Elle se relève et prend les mains de Fiona dans les siennes.) Je vais te trouver une solution, ne te fais pas de souci.  Je connais du monde, je ne te laisserai pas ainsi.

Fiona : Ne risque pas ton royaume pour moi, je me débrouillerai.

Alice, à part : Si tu savais ce que je risquerais pour toi, tu serais terrifiée et tu me fuirais à grandes enjambées. (À Fiona 🙂 Ne t’en fais pas. Je sais ce que je fais. (Elle se tait quelques secondes.) D’autant que je risque de ne pas avoir la moindre minute à te consacrer dans les prochains jours…

Fiona : Une mission diplomatique ?

Alice : Pas vraiment mais quelque part, oui, tu as raison. Un bal. Pour que je trouve un mari. Pour hériter. Bon, c’est une bêtise. Un homme ne dirige pas mieux qu’une femme, si ce n’est pas moins bien encore… Et les ducs ! Tu n’as jamais rencontré quelqu’un de plus émotif qu’un duc ! Toujours à craindre une menace, toujours à s’offusquer de tout, toujours à parler. Oui, comme les femmes ! (Elle rit.) Quels hypocrites que les hommes… Moquer un comportement chez une femme et le valoriser chez eux… Enfin, tu en connais.

Fiona : Très peu. Je n’ai pas de père et de frère et aucune des femmes de ma famille n’est mariée. Mais je veux bien te croire.

Alice : J’ai bien quelques amis mais tu sais, ils ne sont pas exempts de défauts. Je veux dire, je connais Gary, l’un des poètes qui écrit les affiches, depuis ma plus tendre enfance. C’est un ancien duc, son père l’a renié. Eh bien, je l’apprécie beaucoup mais parfois… Il est plein de confiance sur des sujets qu’il ne connaît pas et je n’aime pas ça.

Fiona : Tu connais les rebelles ?

Alice : Pas tous, non. Gary et Robert, le médecin du palais.

Fiona : Il y a donc des rebelles dans les proches du roi.

Alice : Bien sûr. Dans la haute noblesse surtout. Les femmes y réfléchissent beaucoup et sont moins aptes à agir pour l’argent, elles ne peuvent pas en gagner. Aussi, elles sont plus facilement victimes du veritas. Tu sais, on nous dit beaucoup d’être minces et belles. De manger peu et sain. Alors nous mangeons beaucoup de produits avec de la veritas, c’est meilleur au goût et on nous le conseille avec empressement. Nous pourrissons plus qu’eux alors que nous devons être parfaites. Ainsi, les femmes ne veulent plus de cette obligation de mourir pour vivre.

Fiona : Et elles ont bien raison. Mais les femmes du peuple devraient agir aussi. Je veux faire plus qu’enflammer des stocks de veritas, Alice. Donne-moi quelque chose à faire ! Qu’importe si j’y risque ma vie, je veux qu’elle serve au moins à sauver celles des autres. (Elle murmure en glissant sa main dans la manche d’Alice pour caresser sa peau.) Et la tienne, plus que les autres.

Alice s’écarte brutalement, arrachant son bras de la main de Fiona et se relève. La peau de son poignet est tachée de bleu sombre.

Fiona, se levant à son tour : Il n’est pas nécessaire d’être aussi effrayée, Alice. J’aurais préféré que tu m’en parles avant mais ce n’est rien de…

Alice s’enfuit de la scène en courant

Acte III

Scène 1

La salle est pleine de nobles qui parlent et dansent. Devant la scène, Alice boit un verre, les yeux dans le vague. S’approche Pierre, le duc d’Herver.

Pierre : Bonjour, ma belle dame. La belle des belles.

Alice : Cette phrase est déplacée et bien mal à propos. Que voulez-vous, cher cousin ?

Pierre : Vous saluer, vous dire que vous êtes charmante dans cette robe. Vous brillez telle une armée de lucioles dans la nuit noire.

Alice : Par la foudre, Pierre, cessez cela ! Je ne veux pas de vous, mon cœur est à quelqu’un d’autre. Autre que vous n’êtes pas à dix lieues d’approcher.

Pierre : Pourtant, je sais, ma douce.

Alice : Que savez-vous ? Pas à vous tenir de toute évidence.

Pierre : Donnez-moi votre main que je la baise.

Alice : Non. Merci mais non. (Il prend sa main de force.) Cessez donc cela, je vous pensais mieux éduqué ! (Elle se débat le plus discrètement possible.) Lâchez-moi !

Pierre : Je veux vous épousez, Madame. Je suis sûr que nous serons très heureux ensemble.

Elle s’échappe de son emprise mais il la retient par l’épaule. Ce faisant, il arrache une partie de sa robe, dévoilant son dos.

Pierre, reculant : Vous êtes… Que dire ?! Que puis-je dire qui traduise l’horreur de ce que je vois ?!

Alice : Qu’avez-vous fait, imbécile ? Aidez-moi à me rhabiller au lieu de vous offusquer !

Pierre : Je refuse de vous toucher ! Comment savoir si ce n’est pas contagieux ?! Quelle horreur !

Ses exclamations font taire les invités qui tournent la tête vers eux.

Alice : Arrêtez donc de hurler comme une truie, vous manquez de décence. (Sa voix perd en volume.) Aidez-moi. (Elle recule vers la sortie.) Ce n’est pas ce que vous croyez. (Enfin, elle se détourne et sort, en courant.)

Manuel Ier : Quelle surprise ! Comment imaginer que ma propre fille puisse s’être soumise à un tel abandon pour être tachée ainsi ! (Il porte une main à son cœur et vacille.) C’est trop de douleur pour mon cœur ! (Il est rattrapé par Stare.)

Stare : Ne vous en faites pas, nous allons trouver un moyen de la raisonner. Les femmes se languissent quand elles ne sont pas mariées, elles s’abandonnent si elles ne sont pas désirées par un homme. Mais quel homme accepterait d’épouser une femme déjà souillée ainsi… ? C’est regrettable… Mais ne vous en faites pas, nous allons nous en occuper.

Scène 2

Fiona est assise dans un salon, avec une femme noble, Dame Christin. Quelqu’un frappe à la porte puis Alice entre. En voyant Fiona, elle fait demi-tour mais Dame Christin la rattrape, la force à s’asseoir à sa place, sur son fauteuil et sort. Silence.

Fiona : Tu as l’air horrifiée, Alice. S’est-il passé quelque chose durant le bal ?

Alice ne répond pas, elle se mord l’ongle du pouce.

Fiona : Dis-moi. Tu sais bien que je t’écouterais. (Elle se penche pour toucher sa main de la sienne.) Ne reste pas muette ainsi, je peux t’aider.

Alice, éclatant en sanglots : Je savais bien que ça se passerait mal ! Ils ont vu, Fiona, ils ont vu !

Fiona : Oh, Alice… Ne pleure pas, je suis là. C’est un problème mais nous y penserons plus tard. Oublie cela pour le moment, viens dormir avec moi. (Elle la lève et la couche sur le lit.) Comme tu es belle, Alice. Tu l’ignores ? Ou bien tu penses le contraire ? Eh bien je te le dis. Et je te le redirais éternellement, pour que tu ne l’oublies pas.

Alice : Mais tous les autres me disent et me diront le contraire.

Fiona : Choisis bien à qui tu prêtes l’oreille. Ma voix ne t’est pas plus chère que celles des autres ? Ne sonne-t-elle pas plus juste et plus vraie ? N’as-tu pas davantage envie d’y prêter foi ?

Alice : Si, bien sûr. Je prête serment à chacun de tes mots, tu le sais bien.

Fiona : Alors, ne perds pas confiance. Si tu es perdue, suis ma voix comme Œdipe a suivi Antigone. Tu n’as rien à craindre du monde et le monde a tout à craindre de nous.

Alice : Je veux bien te croire. Non… Je voudrais bien te croire, Fiona… Mais leurs mots en moi ont creusé un puits si profond… Le remplir de tes mots serait si long… Je peine à l’espérer. (Elle soupire.) Je ne te comprends pas. Je ne comprends pas comment mon reflet dans un miroir et celui dans tes yeux sont si différents… (Silence. Alice se redresse, prête à partir.) Je vais essayer de rentrer, d’arranger les choses. Ma famille va essayer de le cacher, je crois que je devrais me soumettre à leurs décisions.

Fiona : Je suis bien d’accord. La rébellion a besoin de toi au palais. Mais… (Elle rattrape la main d’Alice et l’attire de nouveau contre elle.) Cessons de parler de cela, il sera temps demain. Je veux parler de nous.

Alice : De nous ? Que veux-tu en dire ? Peut-on mettre des mots sur « nous » qui ne trahissent pas la vérité des gestes et des émotions ?

Fiona : Je ne sais pas bien. Je crois qu’on peut essayer mais…

Alice : Mais nous n’approcherons pas de l’exactitude du nous. A quoi bon les mots s’ils ne sont pas exacts ?

Fiona : Tu ne veux pas parler ? Alors ne parlons pas.

Elles se taisent et s’enlacent.

Scène 3

Manuel, alité : Dites-moi ma reine… Comment avez-vous pu laisser Alice se perdre ainsi ?

Gina : Par pitié, Manuel, ne me dites pas que vous pensez que c’est de ma faute ? Je l’ai surveillée, cette petite, je l’ai couverte d’or et d’attentions, de droits et de devoirs. Mais elle est un peu… (Une pause.) Elle pense beaucoup.

Manuel : Il faut la marier. Mais qui voudra bien d’elle, souillée ainsi ?

Gina : Il ne faut pas la marier, il faut l’occuper. Laissez-la fréquenter le Consilium, elle va apprendre.

Manuel : Elle doit apprendre à se maîtriser, une future reine ne peut pas agir ainsi ! Quand elle rentrera, …

Un domestique entre.

Le domestique : Votre fille est rentrée, Votre Altesse.

Manuel : Qu’elle vienne, nous avons à parler !

Le domestique sort. Alice entre.

Manuel : Si tu savais comme je suis déçu, ma fille… Je pensais t’avoir élevée correctement, avec des valeurs et…

Alice : Ne sois pas si dramatique. Je n’ai encore rien commis de réellement honteux.

Manuel : Tout le monde en parle.

Alice : Pleins de femmes sont tachées, et leurs maris sont au courant. Il faut juste un mouton à sacrifier, c’est ça ?

Manuel : Je veux que tu fasses bonne impression, il en va de ma réputation en tant que roi.

Alice, à part : Ma santé par contre… (Au roi) Je ferai bonne impression, je te le promets. (À part) Pour combien de temps ? Tu n’en sais rien. (Elle sort.)

Scène 4

Dame Christin prend la parole devant le Consilium Veritatis, le roi, la reine et les principaux nobles du palais dont Alice et Pierre.

Dame Christin : Il y a quelques mois, des affiches et des tracts ont commencé à circuler dans la ville pour dénoncer les mensonges de Consilium. Quelques années auparavant, les femmes de la noblesse et quelques hommes alliés ont commencé à réfléchir au réel impact de la veritas sur nos corps. Nous avons vu de l’encre fleurir sur nos peaux comme un sombre aconit vénéneux. Nous avons vu des maladies naître et tuer dans le sein de créatures innocentes qui n’avaient pas la marque criminelle du poison dessinée sur la peau. Qu’est-ce que cela signifie ? Que la maladie n’avait rien à voir avec la veritas ? Ne criez pas oui trop vite, chers Messieurs. Leurs entrailles étaient plus sombres que le Tartare, plus pourries encore que le plus vieux de nos cadavres. Un parfum de décomposition avait envahi la pièce et nos narines, alors que l’individu n’avait rendu l’âme que quelques heures auparavant. Nous n’aurions pas été surpris d’y voir s’agiter une légion de vers et d’insectes grouillants. L’obscur cobalt de son ventre n’avait pas atteint sa peau, Messieurs. Elle semblait aussi saine et pleine de santé que le chérubin de vos tableaux. Vous êtes donc des menteurs. Des beaux parleurs qui n’étudiez que ce qui vous donne le beau rôle. Mais ce que vous avez fait de notre plante de vertu est un crime, Messieurs. Votre ambition nous tue tous et votre mensonge ne peut que nous enfoncer dans l’abîme que vous avez créé. Vous n’êtes que des démons avides et vides d’émotions, retournez en Enfer, là où est votre place.

Scène 5

Alice rejoint Fiona près du lac en courant.

Alice : Tout a dégénéré ! Mon père et le conseil sont en train de faire n’importe quoi !

Fiona : Commence par respirer, je crois que c’est le principal pour le moment. Ensuite, qu’entends-tu par « faire n’importe quoi » ?

Alice : Christin est actuellement en route vers la Tour de Bellevue, là où sont enfermés les dissidents politiques. Et des milices et des enquêteurs cherchent les autres, les poètes, les alliés, les mécènes, tous ceux et toutes celles qui ont pu aider, de près ou de loin, à la rébellion. Je veux que tu te caches, Fiona. Ils vont savoir pour les sacs et pour les feux dans les champs.

Fiona : Je ne veux pas me défiler maintenant. Je me bats depuis des semaines, c’est trop tard. Si nous nous cachons, tout cela n’aura servi à rien.

Alice : Mais te perdre m’est insupportable, Fiona ! Laisse-moi mener à bien quelque chose ! Au moins une chose. Une seule. Je doute que nous puissions vaincre mais je peux au moins te sauver.

Fiona : Mais je n’ai pas besoin d’être sauvée. Je ne suis pas une fille en détresse que tu dois secourir sur ton cheval blanc. Je peux me battre, je veux me battre et je veux vaincre. Je n’effleure même pas du bout de l’esprit que le Conseil gagne cette bataille. Nous allons bâtir notre trône sur leur mort, Alice, je ne crains rien de cela.

Alice, après un silence : Tu veux les tuer ?

Fiona : Et toi ? Que veux-tu ? As-tu un plan ? N’importe quelle autre idée. (Silence.) As-tu, Alice, une miette d’idée qui m’empêchera de les assassiner ?

Alice : Non. Parce qu’ils ne cesseront jamais d’eux-mêmes. Tu as raison : à grand poison, quantité de remèdes. Veux-tu que nous abattions la faux par nous-même ou préfères-tu que je délègue l’acte ?

Fiona : Je crois que déléguer ne fait que fausser la réalité d’un crime. Il faut avoir les mains pourpres pour que l’esprit en voit la couleur. J’irai. Pas au hasard, pas sans être prête mais j’irai. Je te laisse simplement organiser la rencontre, je crois que tu les connais mieux que moi.

Alice : Bien sûr. Tout sera prêt demain soir.

Elles s’enlacent et sortent.

Acte IV

Scène 1

Des passants dans la rue, devant les affiches.

Premier passant : Tout est trop compliqué. Les poètes s’amusent trop avec les mots pour que je les comprenne.

Deuxième passant : Je préfère cela au mensonge. Enfin, je comprends bien que le conseil a disparu.

Premier passant : Disparu ? Massacré plutôt. On les a bien retrouvés. À la trace. Mais quant à les reconnaître…

Deuxième passant : Je me dis quand même que c’était mérité. Pour nous avoir empoisonnés durant tout ce temps. Je veux dire que Le Maître renvoie au Malin ses fidèles. Regarde ? c’est écrit là : « Vous n’êtes que des démons avides et vides d’émotions, retournez en Enfer, là où est votre place. »

Premier passant : Très beau, très intense, ce texte. (Il lit le nom de l’autrice 🙂 Dame Christin. (Silence.) Trop intense. Les preuves manquent un peu, beaucoup de larmes quand même… Mais c’est bien pour une femme.

Deuxième passant : On peut dire ce que l’on veut sur les femmes, je suis convaincu. J’ai bien vu en vrai ce phénomène, une enfant toute sombre en dedans et rien sur la peau. Terrifiant.

Premier passant : Au moins, l’affaire est réglée, nous sommes sauvés. Rentrons, ma femme a préparé une dinde pour le repas.

Scène 2

Alice, à son bureau en train d’écrire une lettre. Entre Pierre.

Pierre : Alice, par le Maître, c’est affreux !

Alice, sans relever la tête vers lui : Bonjour cher cousin. Que puis-je pour vous ?

Pierre : Votre père est mort !

Il tombe sur la chaise en face d’Alice.

Alice : Voilà qui est bien dramatique. J’en suis affligée.

Pierre : Le pays se trouve sans roi !

Alice : Nous trouverons rapidement quelqu’un pour le remplacer, ne vous en faites pas.

Pierre : Vous devez vous marier.

Alice, relève brutalement la tête : Ah oui ? Et pour quelle raison, je vous prie ?

Pierre : Pour le trône. Vous êtes son héritière, c’est par vous qu’un homme deviendra roi.

Alice : Par moi ? Un roi ? Ne soyez pas aussi stupide. Il n’y aura aucun roi sur le trône jusqu’à ma mort.

Pierre : Vous ne pouvez pas prétendre à gouverner seule, c’est d’une absurdité sans nom !

Alice : Eh bien quoi ? Croyez-vous qu’un seul homme ici a reçu une meilleure éducation que moi à ce sujet ? Donnez-moi son nom s’il existe.

Pierre : Le pouvoir coule dans les veines des hommes.

Alice : C’est bien le sang de mon père que je possède, Pierre. C’est bien un sang d’homme qui coule en moi. Je serai reine et je ne laisserai personne s’y opposer.

Pierre : Ce n’est pas ainsi que…

Alice : Toi non plus, cousin. Tu seras la deuxième tête que je couperai si tu remets encore en cause mes décisions. Appelle ma mère, je dois organiser mon couronnement. Allez, plus vite que ça.

Pierre sort en courant.

Scène 3

Entre la reine Gina accompagnée de Pierre, qui reste près de la porte.

Gina : Alice ? Tu refuses donc de te marier, c’est bien cela ?

Alice : Pas de me marier, de prendre époux. Et Pierre, je ne veux même pas en parler.

Gina : Qui veux-tu donc épouser si ce n’est un homme ?

Alice : J’ai bien mon idée. Je veux donc un grand mariage, très beau, que tout le monde puisse venir. Et nous ferons le couronnement à ce moment-là.

Gina : Il te faut épouser un homme pour devenir reine. Nous ne pouvons pas…

Alice : Bien sûr que nous pouvons. Je décide que je serai couronnée reine, même sans prendre époux. Je suis l’héritière, je fais ce que je veux.

Gina : Ce serait un scandale.

Alice : Tu crois que cela peut faire plus de bruit que le poison à la veritas et l’assassinat du conseil et du roi ? Ils ont besoin de quelqu’un sur le trône, ils se contenteront de moi. Je n’ai pas peur, je ne crains rien. Vous êtes les deux seuls à vous y opposer mais vous n’avez aucun pouvoir. Je suis seule devant la couronne et le reste des nobles me soutient. Qu’allez-vous faire ?

Gina : Rien. Fais comme bon te semble. Je n’ai rien à te dire.

Alice : Merci. Et… Pierre, veux-tu sortir ? (Pierre sort.) Je t’assure que je prendrai soin du trône et que les choses changeront pour nous.

Gina : Nous ?

Alice : Nous, les femmes.

Gina : Tu n’y penses pas sérieusement ? Les choses sont ainsi depuis des centenaires, Alice, nous ne pourrons rien changer.

Alice : Parce qu’aucune femme n’a jamais essayé. C’est mon tour et je te promets que tu seras fière de moi. L’histoire contiendra mon nom et ne m’oubliera pas.

Gina soupire et prend sa fille dans ses bras.

Scène 4

Salle du trône. Alice est sur le trône du roi, une lourde couronne sur la tête et Gina est à côté d’elle. Devant elles, tous les poètes et Dame Christin sont là, à genoux. Entre Fiona, elle porte une très belle robe rouge et une couronne, comme Alice.

Alice, se lève, souriante et descend les marches : Ma très chère reine, nous n’attendions plus que vous. (Elle prend sa main, embrasse son front et la fait asseoir près d’elle, sur le trône de la reine.) Il est temps aujourd’hui de récompenser nos héros pour avoir libérer le royaume du cruel poison qui nous tuait sans pitié et de ceux qui nous l’ont imposé. Pour ceux qui le souhaitent, le privilège de la noblesse, celui du conseil ou celui de la liberté. Je désire que chacun puisse être récompensé selon ses désirs et ses qualités.

Yoni : La liberté pour moi, Votre Majesté. Je ne désire rien davantage que d’écrire au nom de la vérité et d’être libre pour cela. Je veux pouvoir me balader là où le vent me porte et là où la justice m’appelle.

Gary : Rien n’est plus beau que de combattre pour ce que l’on croit juste. Et malgré toute l’amitié que j’ai pour vous, ma très chère Alice, je désire également rejoindre les routes afin de balayer les monts et les plaines de ma plume.

Alice : Je ne vous retiens pas, si le devoir et le cœur vous appellent. Chaque mont et chaque vallée, comme tu le dis si bien, vous seront accessibles en toute amitié, acceptez au moins cela.

Gary et Yoni hochent la tête.

Robert : Je ne désire rien de plus que de ne rien changer. Je ne souhaite que de continuer à exercer mon métier auprès de vous et de votre reine. Préservez, je vous en prie, ma volonté de vieillard.

La manche d’Alice tombe de son épaule, dévoilant ses taches. Elle la replace, sans sembler s’en soucier. 

Alice : Ne t’en fais pas, cher ami, je respecterai tes vœux.

John : La canne à veritas possède de véritables vertus, je voudrais travailler à une version de la veritas qui puisse être bénéfique à l’homme, voire à améliorer sa santé. Un laboratoire de recherches à ce sujet pourrait être très utile à notre pays, notamment afin de rééquilibrer les pertes liées à la destruction du poison.

Alice : Je vous laisserais le soin de recruter vos assistants, Monsieur, je vous verserais seulement l’argent nécessaire. Votre tâche est noble, je compte sur vous.

John s’incline, souriant.

Dame Christin : De même, Alice, tu n’ignores rien de mes désirs. Rien ne me plairait davantage que de rester à tes côtés et de continuer mon rôle d’éducation auprès des femmes.

Fiona : Nous pourrions envisager la création d’un conseil afin de redistribuer les grandes composantes d’un gouvernement. Un rôle entièrement dédié à l’éducation, qui serait le vôtre Dame Christin, un autre à l’économie, à la justice…

Gina : Il n’a jamais été question de ce genre de procédés révolutionnaires. Tu ne peux pas…

Alice : Nous ne sommes pas seuls au monde et c’est tant mieux. Fiona a raison, il y a tellement d’autres modèles que le nôtre qui peuvent nous aider à nous améliorer. Maintenant que la veritas n’est plus un problème, nous pouvons nous concentrer sur notre peuple. Il y a des choses à changer, de l’éducation à donner et de l’argent à redistribuer. La manipulation et la corruption ne sont plus d’actualité, parce que je ne suis pas mon père et mon royaume ne sera pas le sien.

Noir.

Ma vie de grosse

Je fais 1m60 pour 110 kilos. Je suis en obésité morbide. Je suis obèse. Je suis trop grosse. Je suis moi, mais je suis trop moi. Mes parents sont obèses. Les deux. Je suis donc atteinte d’obésité génétique. Il ne s’agit pas d’un choix. Mais d’une vérité. L’obésité entoure ma vie. Mais le gras est une couche protectrice pour me défendre, pour me protéger, d’une douleur palpable. Et ce que les gens savent peu, c’est qu’il est très difficile – selon les médecins impossible, mais je préfère me mentir en me disant que je peux réussir à perdre du poids – pour moi de perdre du poids, à cause de mes prédispositions. C’est une maladie, un handicap, un fardeau que je porte tous les jours, mon épée de Damoclès. Et je souffre sincèrement de cette obésité qui n’est pas un choix. Je me voile la face en disant à mes parents que je ne leur en veux pas, mais très sincèrement, si, j’en veux à leurs choix de vie qui ont mené à ce que je suis aujourd’hui. J’en veux à la société de surconsommation, j’en veux à la facilité d’accès à la mal bouffe, j’en veux à la dépendance au sucre et au gras qui arrive en un claquement de doigts. J’en veux aux mauvais regards que l’on me porte quotidiennement. J’en veux à cette vie que je n’ai pas choisie. Je m’en veux et j’en veux au monde entier.

Un excès de positivité me fait sortir de sous ma couette. Un petit-déjeuner body-positif et healthy, bien que ( soit disant) excellent : du porridge et du yaourt grec 0%. Une impression m’envahit, celle que l’entièreté de la terre fait semblant d’apprécier, surtout sur les réseaux, cette mixture étrange dont la seule utilité est de combler notre vide jusqu’au repas du midi. Et je mange cela pour la même raison : combler un vide, mon vide, ma satiété ; mais je trouve cela plutôt fade et même indigeste. Ma journée débute, je la veux positive, mais même chez moi, dans mon intimité la plus totale, je me conforme à la norme, je fais semblant et je me mens. Je suis aussi aveugle que le reste du monde à la vérité.

L’habillage. Là, il y a tout à réfléchir. Combien de temps je vais marcher ? Qui je vais voir ? Est-ce que je vais prendre le métro ? Est-ce que je peux dire ma tenue convenable ? Et bla bla bla. Et bien que je devrais ( aimerais ) privilégier une tenue confortable, je sais bien qu’en sortant habillée trop confortablement que chacun va penser que je néglige mon hygiène de vie. Je dois, alors, être bien « propre sur moi ». Et pas dégueulasse comme il m’arrive de l’entendre. Pour m’éloigner de la figure de la grosse vache.

Dernières vérifications. Est-ce que j’ai pensé à tout ? Est-ce qu’aucune partie de moi ne dépasse trop ? Mes talons, qui me grandissent et m’affinent, ne font-ils pas trop de bruit ? Oui, car, en tant que moi, il faut surtout éviter de se faire remarquer. Est-ce que mes vêtements ne sont pas trop courts ? Je souhaite éviter d’attirer les pervers, les détraqués et les grossophobes. Les connards qui me mettent mal et ne regardent jamais leurs dégâts. Car si on ne me fait pas de mal physiquement, on pense que je vais bien mentalement.

Le « travail ». Je me range à ma place. Un poste confiné, peu adapté à mon handicap ( un handicap quoi qu’en pense mon cher employeur ), et sans aucune intimité. Mais quel métier peut bien faire une femme de ma corpulence ? Un métier bien entendu invisible, sans client que je pourrais dégoûter, sans trop de mouvement. Imaginez-moi transpirante, en plus de dégoûter seulement par mon poids, je deviendrais encore plus laide, mon maquillage dégoulinerait, et mon odeur de transpiration serait intenable. Et, il ne faut pas non plus de métier trop manuel, mes doigts ne sont bien entendu pas assez agiles car trop gros comme leur propriétaire. Enfin bref, je suis téléopératrice pour un opérateur de télécommunication. Concrètement, mon taf c’est de répondre au téléphone à des clients pénibles et jamais contents, et d’en appeler d’autres pour les sonder sur la qualité des appels et des forfaits. En clair, l’idéal pour une grosse : pas de contact physique et pas de mouvement. Tout le monde est content.

J’ai tendance à manger seule, restant à mon poste de travail, isolée. Mais, si jamais un ou une collègue m’invite à manger en sa compagnie, je privilégie toujours quelque chose de sain par peur de passer pour une morfale, une goinfre. Et je ne commande jamais non plus, les autres penseraient à un relâchement de ma part, ce qui ne doit surtout pas arriver car dans l’inconscient, je subis un régime quotidien et perpétuel. Mais tout le monde semble bien constater qu’il ne fonctionne pas. Et souhaite me le faire remarquer aussi, plus ou moins gentiment, plus au moins discrètement. Plus au moins, plus ou moins. Mais sinon…fermez-là et laissez moi.

Mes sorties sociales sont moindres. Si ce n’est inexistantes. Les hommes et les femmes qui veulent sortir amoureusement avec moi ne sont en réalité avec moi que sexuellement. Physiquement, je suis séduisante pour certain.e.s, mais je suis aussi impossible à présenter à leurs familles. Je suis un objet de convoitise sexuelle, surtout pour les hommes. Parce que je suis belle, attirante, gentille, de bonne compagnie. Mais malgré tout ça, trop en dehors des normes, donc imprésentable. Trop, trop, trop. Pour mes amis, c’est un peu pareil. Je sais qu’il m’apprécie, et même grandement ( ou même grossement dans mon cas ), mais si on prend en compte mon poids, je ne peux faire les mêmes activités que tout le monde. Baisable, potable mais pas présentable. Et encore, j’ai de la chance comme on me le dit car je suis belle. J’ai un joli visage. Quelle chance… Jusqu’à entendre d’autres personnes se plaindre de leur minceur, de leur normalité. Une envie de vomir ( ? ). Au restaurant, je suis très mal à l’aise avec le fait de manger en public. Dans un lieu exigu, comme un bar bondé, je prends trop de place, et le regard des autres ou même les chuchotements me le font remarquer. Même si eux se pensent discrets. Restaurant et bar impossible. Sortie sportive impossible. Sortie shopping trop longue impossible. Impossible. Impossible. Impossible. Donc, je sors peu. Je reste chez moi. Déranger est le mot d’ordre. Dès lors, mes sorties principales consistent à faire les courses.

Dans un magasin, je ne vois que les objets de convoitise et de surconsommation que notre société nous oblige à mettre dans notre caddie car attirants, c’est meilleur que des légumes et puis c’est drôle aussi. Ça change de la cuisson vapeur ! De plus, dans ce même magasin, je vois bien les regards des gens qui surveillent mes achats en main et mon panier de courses. Car une grosse ça mange forcément des trucs de grosse. Quoi ? Elle a des pommes dans son chariot ? Oh, ça doit être une erreur ! Et si jamais j’ai le malheur d’aller dans un de ses magasins bio ou végan, les méprisants semblent encore plus vouloir me faire remarquer mes produits trop sains. Car oui, que fais-je là ? Quelle idée ? Car enfin, je suis grosse.

Le soir, je me couche en ayant perdu mon excès de positivité. Le souhait de passer une journée sans pression et sans impression de déranger des cons semble une nouvelle fois impossible. Et je sais bien que demain le monde tournera à nouveau, et que moi, je serais toujours grosse… Grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse, grosse…

Toi aussi

Toi aussi tu farfouilles dans le placard tous les soirs à la recherche de petits plaisirs sucrés ? Toi aussi tu peux manger une tablette entière de chocolat avec le sourire au bout des lèvres ? Toi aussi tu fais de la place dans ton estomac durant les repas, juste pour en avoir assez pour le dessert ? Si toi aussi t’es accro au sucre, rejoins-nous ! Ici, il n’y a pas de jugement, juste des récits honnêtes sur ses effets, sur nous et sur la société. On parle des problèmes engendrés par ce parasite si délicieux, mais aussi de ses aspects positifs. On est le collectif des Sucres Anonymes !