Par Elisa MAILLE, Anabelle GAMBA et Victor FIEVET
A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, la presse connaît un grand essor en France et reste le moyen d’information dominant jusqu’à la moitié du XXe siècle. En effet, ce siècle est un siècle d’innovations techniques importantes qui vont progressivement toucher l’ensemble du territoire et révolutionner les moyens de s’informer pour la population française, et plus particulièrement occitane. Par Occitanie, nous entendons l’ensemble des régions du Midi, du Languedoc ainsi que du Roussillon. S’informer entre le milieu du XIXème siècle jusqu’à la fin des guerres mondiales signifie aussi un lien avec un contexte politique en évolution, qui va influencer et réguler les libertés de la presse et les évolutions techniques : radiophonie, cinéma et télévision. En effet, les années 1850 sont marquées par la fin de la IIème République et le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, dont va naître le Second Empire (1852-1870), puis l’installation de la IIIème République, cependant affaiblie par les deux guerres mondiales ainsi que le gouvernement de Vichy (1940-1945).
Comment s’organisent et évoluent les moyens d’informations occitans entre 1850 et 1945 ?
I) 1850-1914 : S’informer en lisant : l’âge d’or de la presse
A) 1850-1870 : Développement de la presse sous le Second Empire
L’image de la presse du Second Empire (1852-1870) connaît une évolution et un développement durant la période concernée. Nous pouvons apercevoir deux phases distinctes :
La première se déroule entre 1852 et 1860. La politique du gouvernement à l’égard de la presse était autoritaire avec une tutelle administrative qui impose le monopole postal, la surveillance accrue du colportage et de la vente sur voie publique des imprimés non périodiques ainsi que le cautionnement des timbres et brevets pour les imprimeurs et libraires, pour contrôler la presse politique. A partir du coup d’État du 2 décembre 1851 de Napoléon III, certains quotidiens sont supprimés et les rares journaux démocrates interdits ainsi que l’avertissement qui amène à une auto-censure par les rédactions.
La seconde phase se passe entre 1860 et 1870, plus libérale avec la réapparition ainsi que la naissance de nombreux journaux, avec la loi du 11 mai 1868 où les avertissements sont abolis et les timbres réduits. Une diversification du journalisme a lieu et ce sont les débuts d’une véritable révolution de la presse à un sou ou de la “petite presse”. Entre 1851 et 1870, le nombre de titres a été multiplié par 5 et les tirages quotidiens sont passés de 200 000 à 1,5 million d’exemplaires. Les classes populaires accèdent à la lecture régulière des journaux quotidiens et en Occitanie nous pouvons trouver certains titres comme Le Courrier du Gers, publié de 1868 à 1888 depuis Auch, L’Union Nationale, quotidien publié de 1868 à 1881 à Montpellier dans l’Hérault, ou encore L’Émancipation, journal toulousain paru entre 1868 et 1873.



L’expansion du marché de la presse participe à l’évolution générale de la société. Nous pouvons apercevoir une nette diminution des analphabètes à la suite de la politique scolaire de la monarchie de Juillet, grâce à la loi Guizot et celle de l’empire avec la loi Duruy et les mesures prises par Rouland. Le nombre de lecteurs augmente et ils deviennent de plus en plus demandeurs. La croissance est accélérée grâce à de nombreuses innovations techniques qui augmentent la production en réduisant les coûts. Le développement des transports et des services postaux favorisent également la diffusion.
La mise en place du suffrage universel masculin instauré en 1848 crée une demande d’information des citoyens à la fois politique ou de faits divers à laquelle la presse répond.
B) 1870-1914 : Âge d’or de la presse
La IIIe République est une période marquée par la libéralisation politique que permet l’installation durable de la République et de son expansion économique sans précédent. Dès 1870-1880 dans le monde journalistique, la quête d’un lectorat “de masse” favorise l’émergence d’un “journalisme d’information”, fondé sur l’exposition factuelle des nouvelles, la narration des choses vues et surtout sur la recherche du spectaculaire. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse du nouvel ordre républicain envisagée comme une suite logique du suffrage universel masculin, les journaux sont libérés des entraves administratives et financières connues sous le Second Empire.
Les oppositions politiques en crise et faibles espèrent reconquérir par cette nouvelle liberté de la presse, le terrain perdu sur le plan électoral et s’appuie sur la presse populaire. Cela entraîne l’apparition de nouvelles thématiques dans la presse comme le nationalisme, l’antiparlementarisme ou encore l’antisémitisme comme dans le cas de l’affaire Dreyfus. Des journaux comme La Dépêche ou Le Petit Méridional ont été les vecteurs privilégiés au développement du scandale ainsi qu’à sa mise en scène, essayant d’attirer un maximum de lecteurs.
A cette époque, les carrières de journaliste et d’homme politique étaient imbriquées. Nous pouvons trouver comme figures importantes de la presse radicale populaire du sud-ouest Arthur Huc et Maurice Sarraut, dirigeants de La Dépêche (Toulouse) ou encore Jules Gariel, directeur du Petit Méridional (Montpellier) et enfin Jean Jaurès, collaborateur régulier de La Dépêche : ces hommes avaient une double activité. Ils utilisaient la thématique de l’antisémitisme afin d’accentuer l’offensive contre les Républicains modérés au pouvoir et pour rassembler les opposants, en espérant rallier les suffrages populaires. L’important poids des stéréotypes véhiculés a eu un grand rôle dans la diffusion du discours antisémite. Dès les années 1880 de nouveaux termes xénophobes apparaissent comme dans La Dépêche qui introduit le terme de “juif allemand” en 1891 afin de distinguer le “bon juif français” du “mauvais juifs étranger”.

BNF Gallica – Presse ancienne numérisée : Extrait de La Dépêche du 10 novembre 1894
II) 1914-1939 : Avoir accès à l’information avec un renouvellement de ses moyens
A) La presse entre 1914 et 1918
Avec l’entrée en guerre de la France fin juillet 1914, la presse, habituée depuis 1881 à une totale liberté est pour la première fois confrontée aux contraintes qu’imposent une situation de guerre. Dès le 2 août 1914, l’état de siège est décrété sur l’ensemble du territoire, autorisant les autorités militaires à suspendre toute publication jugée nuisible. Le 3 août, un Bureau de la presse est instauré au ministère de la Guerre, chargé de filtrer toute information militaire avant sa diffusion. La censure et la propagande outrancière de la presse visent à conditionner l’opinion publique et maintenir le moral de l’armée en diffusant des informations déformées, inventées et/ou mensongères. C’est le début d’un véritable « bourrage de crâne ».
La Dépêche, Le Petit Méridional ou L’Express du Midi, adaptent leurs lignes éditoriales avec le discours officiel du patriotisme des soldats français mais font face aux censeurs militaires qui peuvent obliger à des espaces vides dans les articles, qui décrivent l’héroïsme des combattants français, des conditions de vie utopiques dans les tranchées ainsi que des descriptions des combats qui insistent sur la bravoure des soldats français et la cruauté supposée ou la lâcheté de l’ennemi avec l’utilisation d’un vocabulaire martial et grandiloquent. Ainsi le Petit journal du 7 février 1915 dit « Quand les Boches sont assurés de gagner nos tranchées et de se rendre sans tomber sous les coups de leurs propres canons, ils y mettent une ardeur incomparable. »
L’effet de ce bourrage de crâne est cependant limité et contre productif et perd en crédibilité, avec par exemple la grande retraite d’août-septembre 1914 ; les autorités modèrent le ton de la communication. Certains titres commencent même à se démarquer comme Le Midi Socialiste, journal influent dans le Sud-Ouest, donne progressivement la parole à certains discours pacifistes et syndicalistes opposés à la guerre. Si ces positions restent minoritaires et surveillées, elles reflètent le basculement progressif et la lassitude de l’opinion publique.

B) Vers un renouvellement avec la mise en place de la radiophonie
Après la Première Guerre mondiale (1914-1918), la “grande presse” connaît une stagnation, de par un contexte de crise économique ainsi que par un contexte politique de radicalisation et de structuration des partis mais également avec une nouvelle concurrence avec les magazines et de la radiophonie. La Grande Presse cherche à se renouveler ; la presse politique croît, à toutes échelles par le biais d’acteurs engagés. Ces journaux peuvent être, hebdomadaires, bimensuels ou exceptionnels ; par exemple, le journal radical-socialiste Le Républicain de Lavaur fut publié entre mai 1932 et avril 1936, afin de soutenir la candidature du futur député Emery Comparé. On observe également le développement de journaux républicains et patriotes ou socialiste et syndicalisme ; par exemple l’Éveil ouvrier, organe des syndicats ouvriers, de l’action coopérative et socialiste publié à Carmaux entre 1934 et 1939, qui changera de nom pour “l’Éveil du Tarn socialiste : organe de la fédération socialiste SFIO du Tarn”.

La radiophonie comme moyen de communication et d’information se développe avec l’innovation du poste à télégraphes puis du poste à galène et ses enjeux sont saisis à la fois par l’État ainsi que par les développeurs de la radioélectricité avec des intérêts économiques et commerciaux ; les stations d’Etat (PTT) font face au développement de stations privées, tolérées mais pas légalement autorisées.
Les individus jouent un rôle dans son développement et reçoivent des informations et des programmes de plus en plus variés. Une presse radiophonique est créée par des amateurs de la radiophonie, sous la forme de gazettes, et connaît aussi un investissement par des groupes presse dans des radios privées pour un meilleur contrôle et éviter la concurrence.
En Occitanie se développe Radio Toulouse fondée en 1925 par le propriétaire de La Dépêche du Midi Jacques Trémoulet face à Radio Toulouse-Pyrénées PTT. Une guerre des ondes est observable entre celles-ci. Les deux stations présentent des programmes d’informations, artistiques et retransmission d’autres radios PTT. Le même modèle se développe pour Radio Montpellier (1925), avec des programmes sur les marchés agricoles/viticoles qui font face à la création de la radio Montpellier-Languedoc (1929). Une privatisation des radios du Sud, appelée la “Radiophonie du Midi” se développe grâce à Jacques Trémoulet.
III) 1939-1945 : Une information toujours à contrôler
Après la défaite de 1940, le pays est divisé en deux zones : une zone occupée par l’Allemagne au nord et une zone libre administrée par le régime de Vichy au sud, sous la direction du maréchal Pétain. Pendant cette période l’information en Occitanie, comme dans le reste de la France, se trouvait au cœur des enjeux politiques et sociétaux. Entre le contrôle étroit exercé par le régime de Vichy et la résistance clandestine, deux univers médiatiques coexistaient : celui de la propagande officielle et celui de la presse libre clandestine.
A) La propagande de Vichy
Dès son établissement en 1940, Vichy utilisait l’ensemble des les médias pour diffuser un discours politique clair : responsabiliser la Troisième République et les Alliés dans la défaite de 1940, tout en mettant en avant une politique de collaboration avec l’Allemagne pour protéger la France de « pires conséquences » ainsi que la promotion des valeurs de la « Révolution nationale » (« Travail, Famille, Patrie ») et censurait toute critique du régime ou des Allemands. Les journaux régionaux comme La Dépêche, Le Petit Méridional ou encore L’Indépendant des Pyrénées-Orientales ont continué à paraître, mais avec des contenus encadrés. Les radios locales, comme Radio Toulouse, étaient également réquisitionnées par l’État. Elles diffusaient des discours de Philippe Pétain et des messages visant à justifier la collaboration avec l’Allemagne nazie. La propagande utilisait également des affiches et des rassemblements publics pour renforcer le rôle de Philippe Pétain comme « père protecteur ».

B) La Résistance
Parallèlement, la Résistance produit son information à la fois dans un objectif d’organisation entre résistants puis maquisards, les réseaux étant disparates, ainsi que pour concurrencer la propagande du gouvernement de Vichy sous la forme de journaux et de tracts par une distribution anonyme ou organisée. Ils sont composés de messages anti-Pétainiste, d’organisation d’actes de sabotage et, d’organisation des réseaux de résistance et les maquis. Par exemple, Le Maquisard : Journal des Forces Françaises de l’Intérieur du Tarn, est un journal hebdomadaire mêlant à la fois des idéaux politiques, l’actualité du réseau, et remettant en question d’autres opérations résistantes. Cela nous montre donc que la concurrence idéologique et sa diversité permettent aux individus d’être à la fois informés, et de prendre position politiquement.

Cecila, bibliothèque numérique du patrimoine albigeois – Extrait du
Maquisard : journal des Forces françaises de l’intérieur du Tarn, n°23, 29/10/1944
Conclusion :
Entre 1850 et 1945, s’informer devient un enjeu clé de l’intégration de la société, et tous les acteurs en prennent conscience. Les moyens d’information évoluent, touchent de plus en plus de monde et de classes sociales différentes et leurs variétés permet un choix d’information selon sa culture ou ses idéologies politiques ; inversement, les producteurs d’informations structurent également les opinions publiques.
Bibliographie :
Archives départementales du Tarn, Presse ancienne [en ligne]
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DE FREMINVILLE, Solange, Un antisémitisme républicain ? : la presse radicale du Sud-Ouest dans le contexte de l’affaire Dreyfus, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2023, 155 p.
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SOUTADE, Gérard, Le rayonnement géographique d’un journal tarnais : le Tarn libre, Albi, Imprimerie coopérative du Sud-Ouest, 1969, 32 p.
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