L’affaire Sirven est une affaire judiciaire tarnaise et plus précisément castraise. Elle a mobilisé de grands auteurs comme Voltaire afin de défendre l’accusé.
Dans le cadre de ce blog, nous allons revenir plus en détail sur cette célèbre affaire qui a eu lieu dans les années 1760, sur un fond de conflit religieux, et qui a bouleversé l’Occitanie. Nous allons voir qu’elle possède des particularités qui la différencie des autres conflits religieux de la période, comme l’affaire Calas. Pour cela, il est important de rappeler au lecteur le contexte d’intolérance religieuse qui touche la France durant cette époque, puis de façon plus détaillée l’Occitanie avec la ville de Castres. Pour cela, nous avons rassemblé à l’aide de deux frises chronologiques les dates les plus importantes et marquantes à retenir afin de comprendre l’installation de ce climat d’intolérance religieuse, ainsi que les effets qu’elle provoque partout en France, et notamment dans la ville de Castres.
Maintenant que le contexte est plus clair, la question que nous allons approfondir au travers de ce blog est : l’affaire Sirven, un exemple de l’intolérance religieuse en Occitanie ou une exception ?
Pour cela, nous allons voir sous forme d’un journal de bord les débuts de l’affaire, puis nous verrons plus en détail la défense de Voltaire et son poids dans le dénouement de cette dernière qui correspond à un cas d’école, pour finir avec la représentation d’un cas inédit.
Mars 1760 : Présentation de la Famille et début de l’affaire
La famille Sirven, originaire de Castres, se compose de cinq membres, à savoir Pierre-Paul Sirven, spécialiste du droit féodal, sa femme et leurs trois filles. (Cette affaire débute avec la disparition d’une des filles, Élisabeth, qui montrait des signes d’aliénation mentale.) Au moment de la disparition d’Élisabeth, le père de famille travaillait pour la famille d’Espérandieu au château d’Aiguefonde. Élisabeth sera donc au cœur de cette affaire, notamment par les répercussions que ses actions auront sur l’ensemble de la famille, mais aussi et avant tout avec sa disparition. Revenons en mars 1760, la jeune Élisabeth rejoint le couvent catholique des dames noires à Castres, une institution qui recevait des filles de protestants enfermées par lettre de cachet. Cependant, ces quelques mois ne se déroulent pas comme prévu, dus au comportement d’Élisabeth qui montrait des signes d’instabilité mentale. Elle a souhaité rejoindre ce couvent afin de se convertir au catholicisme, elle qui provenait d’une famille protestante très pratiquante. On parlait même du fait que le protestantisme était héréditaire dans la famille Sirven. Rapidement enfermée dans sa cellule et déclarée démente, Élisabeth Sirven décide de fuir et revient chez sa famille en octobre 1760.
4 janvier 1762 : Découverte du corps
Le cadavre d’Élisabeth est retrouvé au fond du puits asséché du village de Saint-Alby. Les experts qui l’autopsie ne relèvent aucune trace de violence, mais ont été contraints de modifier leur rapport par le procureur Trinqué de Mazamet. L’expertise conclut que le cou porte des traces de serrements et le crâne la trace d’un choc violent, ce qui écarte la piste de la noyade. Très vite, on observe que l’autopsie a été très négligée et rudimentaire, car elle a été associée à la religion. Suite à la découverte du corps, la famille Sirven est donc la principale suspecte et les parents seront déclarés coupables. Ces accusations et cette autopsie erronée suffisent au juge de Mazamet pour lancer le décret du parricide. Face au danger immédiat, les Sirven sont obligés de prendre la fuite.
15 janvier 1762 : La décision de justice de Toulouse
Le procès de Pierre-Paul Sirven débute en janvier 1762. Il est jugé selon le concept de la justice seigneuriale. Les juges de Pierre-Paul Sirven sont ses anciens clients, vassaux du comté de Belle-Isle. Monsieur Sirven pense ainsi pouvoir gagner le procès. Cependant, ce territoire est riche et donc convoité par les juges. Le procès se conclut par la confiscation des biens de la famille Sirven.
Suite à ce procès, le procureur fiscal de Mazamet demande à l’Église la publication d’un monitoire afin d’apporter les preuves de la culpabilité de Pierre-Paul Sirven. Le premier monitoire est publié le 15 janvier 1762, et tout est fait pour incriminer les Sirven. Il est impossible de témoigner en leurs faveurs, ils sont donc condamnés par contumace. Pierre-Paul Sirven doit être brûlé vif, Toinette sera pendue. Les filles Sirven, quant à elles, sont bannies à vie et doivent assister à l’exécution. Le 29 mars 1764, en l’absence du couple, leurs effigies sont pendues puis brûlées sur la place du Plô face à l’église de Mazamet.
19 janvier 1762 : La fuite des Sirven
Le cardinal de Mazamet ordonne l’arrestation de Pierre-Paul Sirven le 19 janvier 1762. Ce dernier, prévenu de sa condamnation, fuit, car au vu de la décision de justice pour l’affaire Calas, il sait ce qui l’attend. Il arrive en Suisse dans la ville de Lausanne en avril 1762. Il sera rejoint par sa femme et ses filles 15 jours plus tard. Le trajet sera cependant périlleux, Toinette et ses filles seront secourues par le pasteur du désert Paul Rabaut et atteignent leur destination en juin 1762. Hélas, la mère tombe malade et meurt durant son exil en septembre 1765. C’est durant cette fuite que Pierre-Paul Sirven rencontre, à Ferney, celui qui l’aidera à survivre : Voltaire.
1764 : Un échange de lettres important
Afin de mieux comprendre cette affaire et son déroulement, nous pouvons nous appuyer sur un important flux de lettres entre les membres de la famille Sirven et les défenseurs de celle-ci. Ces discussions épistolaires sont le fruit d’une dispersion familiale entre : Pierre- Paul Sirven et son épouse à Genève, les sœurs d’Elizabeth, Jeanne et Marianne à Lausanne et Jean-Pierre Ramond à Castres.
Il faut tout de même nuancer le fait que ces lettres ont des émetteurs différents. En effet, nous retrouvons dans un premier temps des échanges entre la famille. C’est le cas des lettres que se sont envoyées Pierre-Paul Sirven et son gendre en 1764 et en 1771 (nous pouvons voir en cela que l’échange de lettres se fait tout au long de l’affaire.). Mais nous trouvons aussi des correspondances entre les défenseurs de M. Sirven avec, par exemple, une lettre entre Voltaire et M. Cathala, en 1765, qui montre que ce premier veut rendre justice à la famille persécutée.
Très récemment, en 2019, de nouvelles lettres ont pu alimenter la construction historique de cette affaire. Celles-ci nous parviennent de la descendance de la famille Sirven. Ce fond de lettres, avec plus de 482 documents, constitue les traces que la famille a pu laisser de 1598 à 1926. Nous retrouvons tout un ensemble d’archives familiales. Parmi celles-ci, plus d’une centaine sont liées à l’affaire, c’est le cas par exemple avec des lettres entre Pierre- Paul Sirven et son gendre.
“le fanatisme de la superstition subsiste dans toute sa force, et que le seul moyen de l’écraser est de faire rendre justice à la famille Sirven”. Selon Voltaire
1765 : La défense de Voltaire
La défense de Voltaire se fait sur deux fronts. En effet, à part porté secours à M. Sirven (physiquement en l’appelant à se réfugier en Suisse et par les multiples lettres envoyées à plusieurs défenseurs), c’est une défense pour la liberté de pensée, contre le fanatisme religieux qui est mis en place (comme on peut le voir avec le Traité sur la tolérance publié en 1763). Après que la famille du condamné a pris contact avec Voltaire, cette défense se déclenche rapidement. De là, débouche le texte écrit par ce dernier intitulé J’éclaire à l’intention des Sirven. M. Voltaire a un poids considérable au cours de l’affaire, mais il n’est pas le seul à apporter son aide. Les écrits de Voltaire ont pour la plupart traversé les frontières du royaume de France. Nous pouvons retrouver alors certains monarques protestants comme Christian VII du Danemark, qui offrent une contribution financière à Voltaire en faveur des Sirven (100 rigsdaler danois pour Christian VII en 1766). Sur cette même lancée, nous pouvons évoquer les avocats qui ont aidé Pierre-Paul Sirven. Il s’agit notamment d’Élie de Beaumont pour le début de l’affaire et de Pierre-Firmin de Lacroix.
Le retour de Sirven en 1769
Sous les conseils de Voltaire, Pierre-Paul Sirven revient à Castres, dans l’espoir d’être réhabilité. Il se fait emprisonner et juger, les nobles de Mazamet ne veulent pas le réhabiliter, car cela signifierait lui restituer tous ses biens, qu’ils n’ont pas.
Le 16 novembre 1769
Pierre -Paul Sirven est déclaré hors d’instance (c’est-à-dire que l’accusation n’est pas prouvée, mais son innocence non plus). Cette condamnation permet à la seigneurie de ne rendre aucun bien à Sirven et de mettre les frais du procès à sa charge. Pierre-Paul fait appel au Parlement de Toulouse pour condamner la justice seigneuriale de Mazamet afin qu’il lui restitue ses biens.
Il finit par être définitivement réhabilité en 1771 par la chambre criminelle de Toulouse.
« Je vous dois la vie, et plus que cela le rétablissement de mon honneur, et de ma réputation. Vous m’aviez jugé et le public instruit n’a pas osé penser autrement que vous, en éclairant les hommes vous êtes parvenu à les rendre humains ! »
Sirven dans une lettre adressée à Voltaire
- Les conséquences sur la postérité
27 juin 1820
Pour la première fois et tous les jours pendant un mois, se déroule au théâtre de Gaîté à Paris une pièce intitulée : « La famille Sirven ou Voltaire à Castres » écrite par Dupetit-Méré. Cette pièce s’éloigne complètement de la réalité puisque la fille s’appelle Poète, elle ne meurt pas et elle devient folle, car elle a failli se noyer.
24 juin au 18 septembre 2022
Exposition sur l’Affaire Sirven à Castres
28 novembre au 22 décembre 2023
Exposition au CDI du lycée international Victor Hugo à Colomiers
Bibliographie:
- B. Garnot, « Voltaire et la justice d’Ancien Régime : la médiatisation d’une imposture intellectuelle”, Le temps des médias , N°15, p. 26 à 37
- C. Coutel, “Mobiliser les lumières contre le fanatisme religieux”, Humanisme, N° 310, p. 16 à 21
- J. Bastier, “L’affaire Sirven devant la justice seigneuriale de Mazamet”, 1971.
- J. Thomas, « Les dimensions religieuses de l’affaire Sirven », 2019
- N. Barré, “Les « Dames noires » ou « Dames régentes » : la congrégation des Sœurs de l’Enfant Jésus”, Castres.
- PERSÉE : Université de Lyon, Procès, affaire, cause. Voltaire et l’innovation critique, CNRS & ENS de Lyon, Politix, 1994, Vol.7 (26), p.76-85
- Guide d’exposition des archives municipales de Castres.
- Voltaire, « Traité sur la tolérance », 1763