Lorsque l’on parle de musique et de contestation dans la deuxième moitié du XXe siècle, on pense aux chansons engagées de Bob Dylan, à la rage dénonciatrice du punk ou encore aux chroniques sociales que sont les textes de rap. Mais le XXe siècle est aussi un siècle marqué par les dictatures. Ces pays ne laissent pas de place à une quelconque critique. Pourtant, certains artistes ont osé élever leurs voix pour contester. C’est le cas par exemple du mouvement tropicália au Brésil : faites une phrase de résumé sur la situation et mettez le détail derrière un lien. Sur cette page, il faut vous concentrer sur votre sujet.
En 1961, João Goulart, membre du parti travailliste brésilien, est élu président. Il engage alors des réformes agraires et des projets de nationalisation, tout en se rapprochant de l’Union Soviétique. Ce faisant, il s’attire l’antipathie des classes bourgeoises brésiliennes et des États-Unis. La Crise de Cuba (16 oct. 1962 – 28 oct. 1962) fait monter d’un cran cette peur de la « menace rouge« , et le monde des démocraties libérales craint que le Brésil ne bascule du côté est du monde. Les États-Unis font alors en sorte d’éviter ce risque.
C’est ainsi que le 31 mars 1964, l’armée brésilienne, avec l’appui de la CIA, lance le golpe (le coup) : le général Olímpio Mourão Filho et ses troupes marchent sur Rio de Janeiro. Le 2 avril 1964, la présidence est proclamée vacante. C’est le début de 21 ans de dictature, la junte déclarant vouloir lutter contre le communisme et cultiver le sentiment national et religieux brésilien.
Economiquement, le Brésil connaît depuis la sortie de la Seconde Guerre Mondiale une période faste d’essor économique. Juscelino Kubitschek, président de 1956 à 1961 déclare vouloir faire avancer le Brésil « de 50 ans en 5 ans ». Malgré tout, ce sont les plus riches qui en sont les bénéficiaires, les pauvres s’entassant dans les favelas.
En réponse à cette réalité sociale, certains artistes de Bossa Nova décident alors de politiser leur message : c’est le cas par exemple de Nara Leão et de sa comédie musicale Opinião. C’est une première dans l’histoire de la musique populaire brésilienne.
Mais c’est les années 60 qui vont véritablement accentuer cette politisation. En effet le rock anglo-saxon pénètre le marché international. On assiste alors un clivage artistique entre les amateurs de cette musique venue de l’étranger et ceux qui préfèrent la musique nationale. La junte en cultivant le sentiment national promeut cette dernière.
Mais on assiste à un paradoxe : la junte promeut certes le nationalisme, mais tout en étant soutenue (et même en partie mise en place) par les États-Unis. Les opposants à la dictature s’opposent également aux Américains. Mais en étant contre les Américains, on est donc pour le nationalisme : on partage donc les idées de la junte. Le parti communiste par exemple, en étant anti-américain, se retrouve dans ce paradoxe. Mais à l’opposé, la nouvelle génération baignée dans le rock, la pop, est elle, ouverte à ces influences nouvelles et étrangères : ce sont les tropicalistes.
C’est à l’été 1968 que paraît Tropicália ou Panis et Circencis, une œuvre collective et véritable manifeste ayant pour but de changer la musique brésilienne en alliant bossa nova, pop rock anglophone et même musique avant-gardiste, en plus de texte métaphoriques et satiriques qui critiquent la dictature. En soit, un mouvement dans la droite lignée des autres mouvements à l’international, tel que les hippies, ou encore Mai 68 et le Printemps de Prague, qui prônent le libertarisme.
Mené par des artistes tel que Gilberto Gil ou Caetano Veloso, les tropicalistes mêlaient donc syncrétisme musical et textes satiriques, le tout en s’appuyant sur une forte présence médiatique. Ils participaient en effet aux concours musicaux qu’organisaient les chaînes de télévision. C’est lors de ces concours qu’ils réalisèrent leurs plus grands coups d’éclats. Par exemple, en 1967 sur le chaîne TV Record, Veloso chante Alegria, Alegria. Il est au début hué par la foule qui ne supporte pas les guitares saturées. Mais, au fur et à mesure qu’il chante, il conquiert la foule, et finit sous les acclamations du public.
Mais le live qui fera date sera celui du 3e Festival International de la Chanson de TV Globo de 1968. Gilberto Gil y propose Questão de ordem, mais est éliminé. Vient ensuite le tour de Veloso, qui, en voyant les évènements de Mai 68, avait composé É proibido proibir (il est interdit d’interdire). Dès son arrivée sur scène, c’est la huée : il est vêtu d’un costume de plastique vert flashy, les cheveux longs et des fils électriques lui pendent autour du coup, et choque la public. Ne parvenant pas à jouer par dessus les huées, il invective alors la foule, protestant contre l’élimination de son comparse, et comparant le public à des agresseurs. Il lance alors : « C’est cette jeunesse qui veut prendre le pouvoir ? Si vous deviez être en politique comme vous êtes en esthétique, nous sommes fichus ! »
Les tropicalistes sont ainsi mal vus de la dictature à cause de leur attitude et de leur exubérance, mais également de la gauche, jugeant leur présence médiatique et leurs sarcasmes trop éloignés de leurs idées politiques. Ils avaient donc une position iconoclaste, en contestant non seulement le pouvoir en place, mais également la principale force d’opposition. Il contestaient le pouvoir non pas par la politique ou la force, mais par les émotions, en opposant à la conservatrice et moraliste dictature une joie festive et théâtrale.
Le 13 décembre 1968 est rédigé l’Acte institutionnel n°5, qui entérine totalement le Brésil dans la dictature. Il stipule entre autre la dissolution du parlement, les pleins pouvoirs présidentiels, la censure et bien sûr la possibilité pour la police d’arrêter n’importe qui sans avoir à fournir de justification. En somme, plus de droits civils ni d’opposition politique.
C’est donc la fin du mouvement tropicália. Gilberto Gil et Caetano Veloso sont arrêtés et emprisonnés pendant plusieurs mois, puis forcés à l’exil, en 1969. Ils donneront un dernier concert avant de partir. Mais l’influence de ce mouvement qui n’a duré que deux ans se fera ressentir pendant encore longtemps.
En somme, le tropicalisme est caractérisé par son rejet de la dictature mais également par son opposition à la gauche d’alors. Il a su utiliser les moyens de l’époque (émergence des mass media) pour se faire entendre, et prônaient en idéal social et artistique, gagnant l’intérêt de la foule. Malheureusement, la renforcement de la dictature a coupé cours à cet engouement. De nos jours les tropicalistes font partis de l’héritage national, et ont marqué les consciences collectives. D’aucun vont jusqu’à dire que le duo Gil-Veloso a eu autant d’influence au Brésil que Lennon et MacCartney au Royaume-Uni. Gilberto Gil a d’ailleurs été ministre de la culture sous le gouvernement Lula.
Bibliographie :