S’informer en Occitanie (1850-1945)

Par Elisa MAILLE, Anabelle GAMBA et Victor FIEVET

A partir de la seconde moitié du XIXème siècle, la presse connaît un grand essor en France et reste le moyen d’information dominant jusqu’à la moitié du XXe siècle. En effet, ce siècle est un siècle d’innovations techniques importantes qui vont progressivement toucher l’ensemble du territoire et révolutionner les moyens de s’informer pour la population française, et plus particulièrement occitane. Par Occitanie, nous entendons l’ensemble des régions du Midi, du Languedoc ainsi que du Roussillon. S’informer entre le milieu du XIXème siècle jusqu’à la fin des guerres mondiales signifie aussi un lien avec un contexte politique en évolution, qui va influencer et réguler les libertés de la presse et les évolutions techniques : radiophonie, cinéma et télévision. En effet, les années 1850 sont marquées par la fin de la IIème République et le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, dont va naître le Second Empire (1852-1870), puis l’installation de la IIIème République, cependant affaiblie par les deux guerres mondiales ainsi que le gouvernement de Vichy (1940-1945).

Comment s’organisent et évoluent les moyens d’informations occitans entre 1850 et 1945 ?

I) 1850-1914 : S’informer en lisant : l’âge d’or de la presse

A) 1850-1870 : Développement de la presse sous le Second Empire

L’image de la presse du Second Empire (1852-1870) connaît une évolution et un développement durant la période concernée. Nous pouvons apercevoir deux phases distinctes :

La première se déroule entre 1852 et 1860. La politique du gouvernement à l’égard de la presse était autoritaire avec une tutelle administrative qui impose le monopole postal, la surveillance accrue du colportage et de la vente sur voie publique des imprimés non périodiques ainsi que le cautionnement des timbres et brevets pour les imprimeurs et libraires, pour contrôler la presse politique. A partir du coup d’État du 2 décembre 1851 de Napoléon III, certains quotidiens sont supprimés et les rares journaux démocrates interdits ainsi que l’avertissement qui amène à une auto-censure par les rédactions.

La seconde phase se passe entre 1860 et 1870, plus libérale avec la réapparition ainsi que la naissance de nombreux journaux, avec la loi du 11 mai 1868 où les avertissements sont abolis et les timbres réduits. Une diversification du journalisme a lieu et ce sont les débuts d’une véritable révolution de la presse à un sou ou de la “petite presse”. Entre 1851 et 1870, le nombre de titres a été multiplié par 5 et les tirages quotidiens sont passés de 200 000 à 1,5 million d’exemplaires. Les classes populaires accèdent à la lecture régulière des journaux quotidiens et en Occitanie nous pouvons trouver certains titres comme Le Courrier du Gers, publié de 1868 à 1888 depuis Auch, L’Union Nationale, quotidien publié de 1868 à 1881 à Montpellier dans l’Hérault, ou encore L’Émancipation, journal toulousain paru entre 1868 et 1873.

Source : BNF Gallica

L’expansion du marché de la presse participe à l’évolution générale de la société. Nous pouvons apercevoir une nette diminution des analphabètes à la suite de la politique scolaire de la monarchie de Juillet, grâce à la loi Guizot et celle de l’empire avec la loi Duruy et les mesures prises par Rouland. Le nombre de lecteurs augmente et ils deviennent de plus en plus demandeurs. La croissance est accélérée grâce à de nombreuses innovations techniques qui augmentent la production en réduisant les coûts. Le développement des transports et des services postaux favorisent également la diffusion.

La mise en place du suffrage universel masculin instauré en 1848 crée une demande d’information des citoyens à la fois politique ou de faits divers à laquelle la presse répond.

B) 1870-1914 : Âge d’or de la presse

La IIIe République est une période marquée par la libéralisation politique que permet l’installation durable de la République et de son expansion économique sans précédent. Dès 1870-1880 dans le monde journalistique, la quête d’un lectorat “de masse” favorise l’émergence d’un “journalisme d’information”, fondé sur l’exposition factuelle des nouvelles, la narration des choses vues et surtout sur la recherche du spectaculaire. La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse du nouvel ordre républicain envisagée comme une suite logique du suffrage universel masculin, les journaux sont libérés des entraves administratives et financières connues sous le Second Empire.

Les oppositions politiques en crise et faibles espèrent reconquérir par cette nouvelle liberté de la presse, le terrain perdu sur le plan électoral et s’appuie sur la presse populaire. Cela entraîne l’apparition de nouvelles thématiques dans la presse comme le nationalisme, l’antiparlementarisme ou encore l’antisémitisme comme dans le cas de l’affaire Dreyfus. Des journaux comme La Dépêche ou Le Petit Méridional ont été les vecteurs privilégiés au développement du scandale ainsi qu’à sa mise en scène, essayant d’attirer un maximum de lecteurs.

A cette époque, les carrières de journaliste et d’homme politique étaient imbriquées. Nous pouvons trouver comme figures importantes de la presse radicale populaire du sud-ouest Arthur Huc et Maurice Sarraut, dirigeants de La Dépêche (Toulouse) ou encore Jules Gariel, directeur du Petit Méridional (Montpellier) et enfin Jean Jaurès, collaborateur régulier de La Dépêche : ces hommes avaient une double activité. Ils utilisaient la thématique de l’antisémitisme afin d’accentuer l’offensive contre les Républicains modérés au pouvoir et pour rassembler les opposants, en espérant rallier les suffrages populaires. L’important poids des stéréotypes véhiculés a eu un grand rôle dans la diffusion du discours antisémite. Dès les années 1880 de nouveaux termes xénophobes apparaissent comme dans La Dépêche qui introduit le terme de “juif allemand” en 1891 afin de distinguer le “bon juif français” du “mauvais juifs étranger”.

Source :
BNF Gallica – Presse ancienne numérisée : Extrait de La Dépêche du 10 novembre 1894

II) 1914-1939 : Avoir accès à l’information avec un renouvellement de ses moyens

A) La presse entre 1914 et 1918

Avec l’entrée en guerre de la France fin juillet 1914, la presse, habituée depuis 1881 à une totale liberté est pour la première fois confrontée aux contraintes qu’imposent une situation de guerre. Dès le 2 août 1914, l’état de siège est décrété sur l’ensemble du territoire, autorisant les autorités militaires à suspendre toute publication jugée nuisible. Le 3 août, un Bureau de la presse est instauré au ministère de la Guerre, chargé de filtrer toute information militaire avant sa diffusion. La censure et la propagande outrancière de la presse visent à conditionner l’opinion publique et maintenir le moral de l’armée en diffusant des informations déformées, inventées et/ou mensongères. C’est le début d’un véritable « bourrage de crâne ».

La Dépêche, Le Petit Méridional ou L’Express du Midi, adaptent leurs lignes éditoriales avec le discours officiel du patriotisme des soldats français mais font face aux censeurs militaires qui peuvent obliger à des espaces vides dans les articles, qui décrivent l’héroïsme des combattants français, des conditions de vie utopiques dans les tranchées ainsi que des descriptions des combats qui insistent sur la bravoure des soldats français et la cruauté supposée ou la lâcheté de l’ennemi avec l’utilisation d’un vocabulaire martial et grandiloquent. Ainsi le Petit journal du 7 février 1915 dit « Quand les Boches sont assurés de gagner nos tranchées et de se rendre sans tomber sous les coups de leurs propres canons, ils y mettent une ardeur incomparable. »

L’effet de ce bourrage de crâne est cependant limité et contre productif et perd en crédibilité, avec par exemple la grande retraite d’août-septembre 1914 ; les autorités modèrent le ton de la communication. Certains titres commencent même à se démarquer comme Le Midi Socialiste, journal influent dans le Sud-Ouest, donne progressivement la parole à certains discours pacifistes et syndicalistes opposés à la guerre. Si ces positions restent minoritaires et surveillées, elles reflètent le basculement progressif et la lassitude de l’opinion publique.

Source : BNF Gallica

B) Vers un renouvellement avec la mise en place de la radiophonie

Après la Première Guerre mondiale (1914-1918), la “grande presse” connaît une stagnation, de par un contexte de crise économique ainsi que par un contexte politique de radicalisation et de structuration des partis mais également avec une nouvelle concurrence avec les magazines et de la radiophonie. La Grande Presse cherche à se renouveler ; la presse politique croît, à toutes échelles par le biais d’acteurs engagés. Ces journaux peuvent être, hebdomadaires, bimensuels ou exceptionnels ; par exemple, le journal radical-socialiste Le Républicain de Lavaur fut publié entre mai 1932 et avril 1936, afin de soutenir la candidature du futur député Emery Comparé. On observe également le développement de journaux républicains et patriotes ou socialiste et syndicalisme ; par exemple l’Éveil ouvrier, organe des syndicats ouvriers, de l’action coopérative et socialiste publié à Carmaux entre 1934 et 1939, qui changera de nom pour “l’Éveil du Tarn socialiste : organe de la fédération socialiste SFIO du Tarn”.

Source : BNF Gallica – Extrait de la publication du 6 Octobre 1934

La radiophonie comme moyen de communication et d’information se développe avec l’innovation du poste à télégraphes puis du poste à galène et ses enjeux sont saisis à la fois par l’État ainsi que par les développeurs de la radioélectricité avec des intérêts économiques et commerciaux ; les stations d’Etat (PTT) font face au développement de stations privées, tolérées mais pas légalement autorisées.

Les individus jouent un rôle dans son développement et reçoivent des informations et des programmes de plus en plus variés. Une presse radiophonique est créée par des amateurs de la radiophonie, sous la forme de gazettes, et connaît aussi un investissement par des groupes presse dans des radios privées pour un meilleur contrôle et éviter la concurrence.

En Occitanie se développe Radio Toulouse fondée en 1925 par le propriétaire de La Dépêche du Midi Jacques Trémoulet face à Radio Toulouse-Pyrénées PTT. Une guerre des ondes est observable entre celles-ci. Les deux stations présentent des programmes d’informations, artistiques et retransmission d’autres radios PTT. Le même modèle se développe pour Radio Montpellier (1925), avec des programmes sur les marchés agricoles/viticoles qui font face à la création de la radio Montpellier-Languedoc (1929). Une privatisation des radios du Sud, appelée la “Radiophonie du Midi” se développe grâce à Jacques Trémoulet.

III) 1939-1945 : Une information toujours à contrôler

Après la défaite de 1940, le pays est divisé en deux zones : une zone occupée par l’Allemagne au nord et une zone libre administrée par le régime de Vichy au sud, sous la direction du maréchal Pétain. Pendant cette période l’information en Occitanie, comme dans le reste de la France, se trouvait au cœur des enjeux politiques et sociétaux. Entre le contrôle étroit exercé par le régime de Vichy et la résistance clandestine, deux univers médiatiques coexistaient : celui de la propagande officielle et celui de la presse libre clandestine.

A) La propagande de Vichy

Dès son établissement en 1940, Vichy utilisait l’ensemble des les médias pour diffuser un discours politique clair : responsabiliser la Troisième République et les Alliés dans la défaite de 1940, tout en mettant en avant une politique de collaboration avec l’Allemagne pour protéger la France de « pires conséquences » ainsi que la promotion des valeurs de la « Révolution nationale » (« Travail, Famille, Patrie ») et censurait toute critique du régime ou des Allemands. Les journaux régionaux comme La Dépêche, Le Petit Méridional ou encore L’Indépendant des Pyrénées-Orientales ont continué à paraître, mais avec des contenus encadrés. Les radios locales, comme Radio Toulouse, étaient également réquisitionnées par l’État. Elles diffusaient des discours de Philippe Pétain et des messages visant à justifier la collaboration avec l’Allemagne nazie. La propagande utilisait également des affiches et des rassemblements publics pour renforcer le rôle de Philippe Pétain comme « père protecteur ».

Source : L’Empaillé

B) La Résistance

Parallèlement, la Résistance produit son information à la fois dans un objectif d’organisation entre résistants puis maquisards, les réseaux étant disparates, ainsi que pour concurrencer la propagande du gouvernement de Vichy sous la forme de journaux et de tracts par une distribution anonyme ou organisée. Ils sont composés de messages anti-Pétainiste, d’organisation d’actes de sabotage et, d’organisation des réseaux de résistance et les maquis. Par exemple, Le Maquisard : Journal des Forces Françaises de l’Intérieur du Tarn, est un journal hebdomadaire mêlant à la fois des idéaux politiques, l’actualité du réseau, et remettant en question d’autres opérations résistantes. Cela nous montre donc que la concurrence idéologique et sa diversité permettent aux individus d’être à la fois informés, et de prendre position politiquement.

Source :
Cecila, bibliothèque numérique du patrimoine albigeois – Extrait du
Maquisard : journal des Forces françaises de l’intérieur du Tarn, n°23, 29/10/1944

Conclusion : 

Entre 1850 et 1945, s’informer devient un enjeu clé de l’intégration de la société, et tous les acteurs en prennent conscience. Les moyens d’information évoluent, touchent de plus en plus de monde et de classes sociales différentes et leurs variétés permet un choix d’information selon sa culture ou ses idéologies politiques ; inversement, les producteurs d’informations structurent également les opinions publiques.

Bibliographie :

Archives départementales du Tarn, Presse ancienne [en ligne]

CELERIER, Jean-Pierre, CAZALS, Rémy (dir.), La radio à Toulouse (1925-1945) : la puissance du groupe Trémoulet, Toulouse, S.I. s.n., 2002, 627 p.

CHARLE, Christophe, Le siècle de la presse (1830-1939), Paris, Seuil, 2009, 413 p.

DE FREMINVILLE, Solange, Un antisémitisme républicain ? : la presse radicale du Sud-Ouest dans le contexte de l’affaire Dreyfus, Toulouse, Presses universitaires du Midi, 2023, 155 p. 

GODECHOT, Jacques, LERNER, Henri, “La Dépêche” journal de la démocratie : contribution à l’histoire du radicalisme en France sous la Troisième République, Toulouse, Association des publications de l’Université de Toulouse, 1978, 1012 p. 

SOUTADE, Gérard, Le rayonnement géographique d’un journal tarnais : le Tarn libre, Albi, Imprimerie coopérative du Sud-Ouest, 1969, 32 p.

TCHUKRIEL, Thierry, CABANEL, Patrick (dir.), Accomodements, ambivalences, résistances dans la France de Vichy : Deux itinéraires de presse : le Journal du Tarn et l’Effort paysan, Toulouse, S.I. s.n., 2003, 123 p. 

ULMAAN-MAURIAT, Caroline, Naissance d’un média : histoire politique de la radio en France, 1921-1931, (Collection Communication et civilisation), Paris, l’Harmattan, 1999, 270 p. 

Représenter l’Humain au début du XVIème siècle dans les arts et les sciences [2024]

Par MAILLE Elisa (L1), GAMBA Anabelle (L1) et ANRIDHOINI Jarod (L2)

Introduction :

Considérée comme une période d’acceptation de styles artistiques perdus avec le Moyen-Age, la Renaissance n’est pas seulement connue pour cela. Elle est notamment connue pour de nombreux artistes qui ont su renouveler le domaine artistique de leur époque en apportant de nouveaux styles et techniques mais aussi de nouveaux sujets. De ces nouveaux sujets, appuyés par l’avènement d’un mouvement intellectuel majeur, ces artistes semblent avoir beaucoup privilégié le rapport avec le genre humain. Et c’est avec  ces productions artistiques mais aussi scientifiques que nous allons examiner dans l’étude de l’humain en ce qui concerne l’image qu’il se renvoie à lui-même. Quand nous parlons d’images, nous pensons à comment se voient les Hommes de l’époque moderne. Ainsi, nous ne ferons aucune distinction de genres, de poids, de particularités physiques afin de mieux cerner le cadre général de cet imaginaire humain. En ce qui concerne le cadre chronologique utilisé, nous nous concentrerons sur le XVIème siècle, une période propice à ses représentations, étant alors héritière de la Renaissance et de ses mouvements nouveaux ou retrouvés. De ce fait, nous étudierons une période où l’Homme est en second plan comparé à la religion chrétienne. Donc nous observerons aussi le changement d’une société influencée par cette dernière. 

C’est pourquoi nous nous demanderons :

En quoi le retour à l’antique, initié au courant du XVIe siècle, a chamboulé la société européenne de cette période ?

Dans un premier temps nous étudierons le nouveau regard sur l’humain dans différents domaines. Ensuite, nous analyserons comment la société européenne était divisée. Enfin, nous verrons de quelles manières cette nouvelle vision a été mise au service des institutions.

I) Un nouveau regard sur l’Humain

  • Dans le domaine intellectuel

Ainsi on voit apparaître, dans le milieu intellectuel du XVIème siècle, une vision renouvelée de l’Humanité. En effet, au Moyen Âge, la figure Humaine  est perçue, par les élites religieuses alors influentes à cette époque, comme diabolique. L’Homme est alors vu comme un être manipulable, néfaste, qui doit se racheter afin d’accéder au pardon céleste, au Paradis. 

Avec la découverte du continent américain en 1492, on voit le développement d’un nouveau mouvement de pensée : l’Humanisme. Ce courant, qui prône le rapprochement avec l’Antiquité (créant ainsi la période Moyen Âge signifiant un âge moyen, à oublier), a en quelque sorte pour objectif de montrer à la population, où plutôt le milieu de la bourgeoisie, que l’Homme n’est pas aussi mauvais que l’on croit.

Pour ce faire, il va se consacrer à la création d’institutions afin de valoriser la notoriété de l’esprit  mais aussi du corps auprès du grand public. D’où le dicton “ un esprit sain dans un corps sain.” Ainsi apparaissent alors les premières universités telles qu’on les connaît.

Ce travail n’est pas si facile qui en a l’air. Le mouvement a besoin alors de l’aide d’un grand personnage de l’époque pour toucher plus de monde. Et il le trouve en la personne de Léonard de Vinci.

Autodidacte et polymathe italien du XVème siècle (1452-1519), il a consacré une bonne partie de son œuvre à la recherche anatomique. Parmi ses nombreuses œuvres, la plus connue est sans doute L’Homme de Vitruve. Mais il ne s’est pas arrêté à ça. Il a notamment élaboré une peinture aux proportions anatomiques quasi-parfaites sous les traits de La Joconde, exposée actuellement au Louvre.  

« L’Homme de Vitruve », Léonard de Vinci, 1490
« La Joconde » ou « Portrait de Mona Lisa », 1503-1516
  • Dans le domaine artistique

Grâce à son influence, de Vinci inspira d’autres artistes majeurs de son temps. Nous pouvons en citer quelques uns comme Michel-Ange (1475- 1564), connu pour sa fresque visible à la chapelle Sixtine, auteur de la sculpture, aussi connue que sa fresque, David au musée de Florence, ou Albrecht Dürer (1471-1528)  avec son réalisme inouï pour l’époque.

Autoportrait d’Albrecht Dürer, 1498
Extrait de la fresque de la Chapelle Sixtine, Michel-Ange, 1508-1512
David (1501-1504), sculpture en marbre de Michel-Ange, Galerie de l’Académie, Florence

Ainsi, l’Humanisme se développe grâce à l’appui du domaine artistique. En effet, nombre de ces auteurs, étant alors dans des milieux aisés, voient alors leur nombre de commandes augmenter.  Ces commandes passées et finalisées, l’on voit donc les œuvres parcourir de nombreux pays à travers toute l’Europe grâce aux commandes étrangères.

Le développement de l’Humanisme a permis alors, aux sociétés aisées européennes notamment, de mieux comprendre leurs aspects humains. Mieux encore, grâce à l’apparition d’œuvres Humanistes, ces sociétés ont pu s’ouvrir aux mondes extérieurs. Cependant, il faut se le demander, si les institutions de l’époque acceptent ce nouveau courant de pensée, surtout l’Église.   

II) Entre conflit et acceptation

  • Contrairement à l’Eglise

Ce nouvel intérêt pour la représentation de l’Homme pendant la Renaissance a apporté une nouvelle vision pour l’Humain ; est alors apparu un nouveau rapport d’antagonisme entre les sciences et les dogmes de la religion catholique. 

L’Eglise a un grand rapport d’influence dans le fonctionnement de la société, et donc dans les représentations des femmes et des hommes, d’abord dans le cadre mental. Par exemple, la femme était considérée comme le diable, comme impure, par la métaphore d’Adam et Eve issue de la Bible. Sa représentation est le reflet de cette vision et de cette idéologie. 

La représentation anatomique est donc déjà fortement influencée. Et, par l’idéologie que tout Homme est inférieur à Dieu et à Jésus, l’intérêt pour l’anatomie humaine est donc refoulée. « L’intérieur” du corps, ses humeurs et ses maux sont demeurés inexplicables et énigmatiques ; l’Humain étant la création de Dieu, il était moralement interdit de pratiquer des expériences ou des analyses approfondies sur un corps humain, comme des dissections. 

  • Utilisation scientifique

Mais à l’inverse de cette vision religieuse, le courant de la Renaissance apporte également un développement des sciences, et donc une curiosité anatomique, particulièrement sur le fonctionnement du corps humain. En effet, les médecins de cette époque ont des connaissances sur ce domaine, limitées aux écrits de Galien, intellectuel grec ayant vécu au Ier siècle avant J.-C. Le corps est considéré comme un objet d’étude et instrument du savoir ; de plus, après les épidémies ayant sévi lors des siècles précédents comme la peste noire, l’intérêt pour la santé s’accroît de plus en plus. 

Dans les villes phares du courant humaniste ont lieu des dissections publiques appelées “leçons d’anatomie” ; on peut par exemple citer l’Académie des Sciences de Paris, mais le phénomène a débuté en Italie, centre du courant humaniste. C’est d’ailleurs à l’université de Padoue en Italie que André Vésale, anatomiste et médecin flamand, décide de pratiquer ses premières dissections, étant moins contrôlé par l’Eglise. Il va révolutionner la représentation de l’Homme dans son ouvrage , qu’il publie en 1548 ; en se basant sur l’observation anatomique, il développe un canon du corps humain et un idéal de structure, qui sera repris et contribuera à l’évolution de la représentation anatomique. Par ailleurs, il appuie ses recherches et son point de vue par des reproductions imagées, souvent d’un élément du corps mis en valeur par la place accordée sur l’image, et des descriptions détaillées. On peut également citer les Tables Anatomiques d’Ambroise Paré, qui suivent une mise en forme similaire. 

Extrait de « Humani corporis fabrica », André Vésale, 1543
Extrait des « Tables anatomiques » d’Ambroise Paré, 1586

Cet intérêt amène également à un intérêt pour le “néant”, les choses qu’on ne peut encore expliquer par l’observation et la dissection d’un corps ; une réflexion sur l’âme, qui serait la forme substantielle d’un humain, et qui associée au corps donne le corps humain. Cette réflexion naît chez les scientifiques, à l’inverse du discours de la papauté.

Un autre des résultats de cet intérêt anatomique débouche sur l’apparition d’une vanité, d’une admiration allant jusqu’au fantasme par rapport aux capacités du corps humain, causées par une curiosité en plein accroissement ; la dissection peut être “trompe-l’oeil”, les représentations du corps humain sont embellies et enrichissent l’imaginaire, et la volonté d’en savoir de plus en plus sur l’Homme. 

La représentation de l’Humain durant le XVIe siècle est à la fois nouvelle et suscite de l’intérêt, mais est également controversée et crée un rapport d’antagonisme, qui va amener à un bouleversement des mœurs et à des changements dans la société moderne.

III) Une nouvelle vision au service des institutions

  • Apparition de nouvelles représentations « réalistes »

L’iconographie de la Renaissance donne aussi à voir des figures prothétiques dont le succès tient à l’apparition de nouvelles techniques réparatrices et à une nouvelle vision du corps. La réflexion sur la prothèse montre une compréhension du corps propre. La Renaissance commence à représenter un corps qui n’est plus seulement le corps mystique, mais un corps matériel, organique. Il y a la désacralisation du corps avec un regard scientifique. Des théâtres anatomiques existent afin d’assister à des dissections. Les individus difformes/informes, décapités, décomposés sont exhibés. 

Si on revient aux prothèses, au XVIe siècle, les lunettes passent d’un signe d’érudition à un attribut de folie, un signe d’ignorance/d’aveuglement ridicule car à cette époque, les verres “altèreraient” la perception de la réalité. De plus, ils donneraient la physionomie d’un monstre. 

Mais aussi, dans les représentations iconographiques des conflits militaires, l’amputation est un stigmate de la défaite qui jouent du comique de l’infirmité. 

Le maniérisme pictural comme les caricatures et le grotesque montrant une imbrication du vivant et du non-vivant suscite aussi le rire. Par exemple, les portraits d’Arcimboldo sont des compositions à la manière des collages, des combinaisons d’hétérogènes, assemblages d’éléments disparates en une forme humaine, un visage et un buste. Les pièces de ces compositions sont souvent organiques, animales ou végétales, mais aussi artefactuelles, donc de nature prothétique

« Vertumne », Giuseppe Arcimboldo, 1590

L’art graphique exprime la déshumanisation du corps. Mais on peut aussi retrouver dans les œuvres beaucoup de propagande anti-réforme. 

Après avoir parlé de la représentation des hommes, dans la littérature médicale, au XVIe siècle, la femme décrite comme “un être instable” jusque là, est enfin reconnue comme un être spécifique avec l’image invalidante de la “femme-utérus”, un réceptacle où se forment les petites créatures de Dieu. L’obstétrique se développe. La grossesse est perçue comme une maladie. La mère est importante car elle porte l’enfant et transmet le sexe, la couleur de peau et quelques traits de caractères qu’ils soient bons ou mauvais : les anormalités et les malformations sont imputables aux femmes. La misogynie, les tabous et les superstitions sont alimentés aux sources religieuses. Les recherches scientifiques sont misogynes : des comparaisons existent entre les femmes et les poules. 

Pour les procréations “sans hommes”, il y a une argumentation religieuse sur la copulation avec le diable ; ce sont donc des femmes “sorcières” qui sont envoyées au bûcher. Les explications morales et religieuses justifient la majorité des cas de malformation/mutilations/monstruosité.

  • Utilisation politique et religieuse

On peut également parler du fait que cette nouvelle vision a été reprise par le pouvoir royal dans un enjeu politique. On peut par exemple citer la représentation du roi François Ier, considéré comme le roi de la Renaissance. Ses portraits royaux s’inspirent du mouvement de la Renaissance en Italie, et cherchent à paraître réaliste et montrent une évolution depuis les rois prédécesseurs. Il souhaite apporter un nouveau courant dans la royauté française, ce qui est donc visible ; on peut retrouver des similitudes avec les autoportraits de Dürer.

Portait de François Ier, entre 1525-1550

Cependant, l’Eglise, contre cette image et représentation de l’Homme, va développer une “contre-anatomie” : le Suaire de Turin, ou la dissection au Mystère spirituel. Il s’agit d’une représentation des blessures et des douleurs infligées au Christ. Contrairement aux autres représentations du corps humain, des organes etc., cette œuvre n’inspire pas la curiosité et le fantasme mais la douleur. Cette représentation du Christ est très ambiguë, entre la science et le fantasme, la curiosité et la mélancolie de par la douleur représentée, et entre le savoir et la vanité. Cette œuvre inspire également une réflexion sur le néant après la déconstruction du corps du Christ. Elle peut aussi être un moyen de montrer qu’il ne faut pas être trop curieux et céder à la tentation.

Extrait du Suaire de Turin, XIVe siècle, redécouverte au XVIe siècle

Conclusion :

Le retour de l’Antiquité, que ce soit avec un style  inscrit dans une œuvre ou bien avec un thème reprit dans un courant artistique, à permis à la société du XVIème siècle de redécouvrir son lien avec le corps humain. En effet, nombre d’artistes, d’auteurs, de scientifiques se sont intéressés aux œuvres antiques, délaissées au Moyen Âge, afin de révolutionner la vision de l’Homme, perçue comme un être maniable et diabolique. Les autorités, d’abord réticences à cette nouvelle vision, ont su s’adapter et même s’allier avec elle pour arriver à leur fin. Ce changement d’avis aboutit à un changement des mœurs qui ainsi fait évoluer la société peu à peu. Ces représentations et nouvelles techniques seront reprises et évolueront lors du courant artistique baroque, dès la fin du XVIe siècle.

Bibliographie :

BARBIN Evelyne, Arts et sciences à la Renaissance, Paris, Ellipses, 2007, 318 p.

CEARD Jean, L’univers obscur du corps: représentation et gouvernement des corps à la Renaissances, Paris, Belles Lettres, 2021, 121 p

CORBIN Alain, COURTINE Jean-Jacques, VIGARELLO Georges, Histoire du corps. 1: De la Renaissance aux Lumières, Paris, Points, 2005, 610 p.   

GALLEGO CUESTA Susana, Traité de l’informe: monstres, crachats et corps débordants à la Renaissance et au XXe Siècle, Paris, Classiques Garnier, 2021, 448 p.

GABAUD Florent, Représentations du corps prothétique de la Renaissance à aujourd’hui, Cahiers du MIMMOC, Université de Poitiers, 2021, Vol.26 

GAMIRET Antoinette, « Représenter le corps anatomisé aux XVI XVII siècle : entre curiosité et Vanité », Étude épistémè, n°27, 2015

MARUCCI Laetitia, “L’homme vitruvien et les enjeux de la représentation du corps dans les arts à la Renaissance”, Nouvelle revue d’esthétique, 2016, n°17, pp. 105-112