Nostradamus [2018]

« Le succès et la légende de Nostradamus lui sont contemporains. Le destin extraordinaire de cet ordinaire médecin-astrologue du XVIe siècle s’explique par la rencontre entre les inquiétudes de son époque et l’art poétique et visionnaire de ses Prophéties ».

Portrait de Nostradamus réalisé par Cesare de Nostradame, date inconnue [Source: Bibliothèque Méjanes, Aix-en-Provence, France]

Son savoir se forme dans une France du XVIe siècle bousculée par de grands conflits idéologiques engendrés par les abus du pouvoir de l’Église. Ces conflits mènent alors à des guerres civiles qui affaiblissent le pouvoir royal. Au cœur de ceux-ci, la contestation se développe autour des évangélistes, protégés par François Ier jusqu’aux affaires des Placards de 1534. Cette affaire marque le début des affrontements religieux entre catholiques et réformés dans une France où tous les aspects de la vie sociale et politique sont imprégnés par la religion. Troublé par l’image brisée de la chrétienté, le peuple commence à se tourner vers des pratiques astrologiques voire occultes, dans certains cas. C’est alors qu’émergent les grandes figures de ces disciplines, dont l’illustre Nostradamus.

Né d’une famille d’origine juive le 14 décembre 1503 dans le petit village de Saint-Rémy-de-Provence, Michel de Nostradame, dit Nostradamus, un personnage aussi singulier qu’atypique, s’imposera comme un des prédicateurs les plus connus du XVIe siècle. D’abord diplômé d’un bachelier des arts, il se dirige vers le métier d’apothicaire avant de se tourner vers la médecine qu’il étudie à la Faculté de Montpellier dès 1529, mais il est très vite radié pour avoir utilisé illégalement des remèdes qu’il a mis au point.

C’est en 1546 que cet homme passionné d’astronomie et d’occultisme publie ses premiers Almanachs mêlant prévisions météorologiques et conseils médicamenteux. Passionné par les astres et leurs mystères, il publie en 1555 ses « prédictions perpétuelles », une prédiction ou une prophétie étant par définition l’action d’annoncer de futurs évènements ou encore de prédire l’avenir, dans son ouvrage Prophéties, qui fera dès lors toute sa grande renommée. Et sa renommée ne passe pas inaperçue : en 1564 Catherine de Médicis, femme de Henri II mais aussi grande figure du XVIe siècle de par son rôle dans les guerres de religion opposant catholiques et protestants, l’appelle à la cour de France. Elle est passionnée d’occultisme et veut que Nostradamus, au vu de ses prédictions sur la famille royale, soit le prédicateur astrologue attitré de la cour.

La médecine et l’astrologie : des disciplines liées ?

Une illustration d’un almanach médical, 1399. [Source: The British Library]

Au XVIe siècle, la médecine ne se cantonne pas entièrement au domaine scientifique : en effet, certains médecins mélangent la pratique de la médecine, supposée être scientifique, à des disciplines et des pensées liées au domaine de la superstition, chose impensable dans la pensée rationnelle des médecins du XXIe siècle.

La période de la Renaissance est considérée comme une époque où aucune frontière ne sépare la science de la magie, ni la métaphysique de la physique. La connaissance des astres et de leurs pouvoirs est donc considérée comme une des formes les plus élevées du savoir.  Il est donc habituel et indispensable pour les praticiens d’utiliser les tables astrologiques, les almanachs, les calendriers, présentant la position des astres à un jour donné, pour la pratique médicale et l’élaboration des remèdes.

Au XVIe siècle, tout le monde admet la science de l’astrologie. Nostradamus est aux yeux de ses contemporains, à partir de la publication de ses Prophéties en 1555, non seulement un prédicateur de renom mais aussi un médecin de talent. Notamment grâce à ses exploits lors des épidémies de peste de 1546, qui ont touchées les régions provençales et lyonnaises, au cours desquelles il élabore des remèdes qui ont sauvé une grande partie de la population.

Exemple d’almanach

Même si Nostradamus dédie la fin de sa vie aux études et pratiques liées à l’astrologie et l’occultisme, il faut garder en tête qu’il est avant tout un médecin, et que cette discipline ne le quittera jamais. À une époque où la connaissance du corps et de l’anatomie humaine progressent très lentement, médecine et astrologie ne fonctionnent jamais sans l’autre et Nostradamus est vite accrédité du titre de « médecin astrologue ». Il apparait donc clair que ces deux disciplines sont étroitement liées.

Nostradamus, un astrologue et un « prophète » pas comme les autres

Nostradamus astrologue , gravure de Charles Canivet vers 1810 [Source: Bibliothèque Nationale de France]

Personnage curieux, Nostradamus est encore aujourd’hui méprisé et ignoré par bon nombre d’historiens. Considéré comme étant un personnage peu sérieux, les dires à son sujet résident pour beaucoup dans le folklore de la philosophie et des sciences occultes de la Renaissance.

Surnommé le « mage du Salon », car les princes et les rois venaient directement le consulter dans sa maison à Salon-de-Provence, Nostradamus se distingue de ses semblables sur plusieurs points, ce qui fait de lui un astrologue et un prophète pas comme les autres.

Tout d’abord, Nostradamus n’était pas destiné à être astrologue. En effet, comme nous l’avons précédemment dit, formé à la médecine, il exerce ce métier pendant longtemps. Mais Nostradamus est vite passionné par l’astrologie. Considérons que l’astrologie remplit chez Nostradamus trois champs d’application : une fonction inspiratrice dans ses Centuries, une autre structurelle dans ses almanachs et pronostications, et enfin une professionnelle car Nostradamus pratique l’astrologie « judiciaire », très prisée au XVIe siècle. Nous parlons d’astrologie judiciaire lorsque les observations du ciel sont prétexte à distinguer le vrai du faux en vue de prononcer un jugement relatif à des individus. C’est donc bien une astrologie à part entière. Les champs d’application de Nostradamus, comparés à ceux de ses semblables, sont très élargis : il veut que l’astrologie devienne accessible à tous, et se met lui-même à la portée de tout le monde.

Nostradamus, médecin-astrologue élaborant des remèdes [Source: Alamy Stock Photo]

Convaincu que les épidémies de peste sont causées par une malédiction reconnaissable et lisible dans les phénomènes célestes, Nostradamus se penche très vite sur le domaine des prophéties. Nostradamus ne vit alors que pour les prédictions et l’astrologie. Ses dernières années de vie sont entièrement consacrées à la publication d’almanachs et de pronostications : il veut laisser le plus de traces possible, il veut que le monde futur soit au courant.

C’est ici que se distingue Nostradamus. En effet, ses prédictions demeurent, encore aujourd’hui, le sujet de nombreuses recherches, analyses et controverses. De plus, Nostradamus se considère comme un prédicateur, un « prophète », un vrai, répétant à maintes reprises qu’il ne possède pas de livres de magie et que son savoir, ses prédictions, sont liés à l’occultisme.

Catherine de Médicis et son penchant pour l’occultisme

Portrait de Catherine de Médicis [Source: Alamy Stock Photo ]

Au XVIe siècle, la France est bousculée par les guerres de religion car François Ier est contre les réformes des protestants, ce qui engendre la guerre entre catholiques et protestants. Le monde intellectuel, comme religieux, est aussi perturbé par de nombreuses avancées scientifiques. L’astrologie et l’astronomie sont révolutionnées avec les découvertes de Copernic et de Galilée. Le monde et les étoiles apparaissent comme différents avec les découvertes d’un univers héliocentrique. Le ciel peut être mieux observé grâce au perfectionnement de la lunette astronomique. Tout ceci permet de perfectionner les sciences occultes notamment l’astrologie car on a une meilleure perception des étoiles et du ciel. À cette époque, les guerres de religion véhiculent des incertitudes et des peurs autour d’obsessions apocalyptiques. Les pouvoirs en place profitent de ces obsessions pour renforcer leur pouvoir et l’imposer. Les astrologues se rapprochent du pouvoir pour rassurer et prédire sur ces fameuses obsessions.

Un matin devant la porte du Louvre par Édouard Debat-Ponsan, 1880  [Source: musée d’Art Roger-Quilliot ]

Catherine de Médicis est souvent considérée comme une personne mauvaise et dominatrice, d’où son surnom de la « reine noire ». Ce surnom est aussi dû à sa passion et son dévouement pour l’occultisme et en particulier pour les prophéties. Dès son plus jeune âge, les prophéties et leurs mystères la passionnent, l’accompagnent. Elle est très superstitieuse.

La prophétie la plus célèbre est celle faite sur François II agonisant au château de Chaumont. Pour connaître l’avenir de sa dynastie, Catherine de Médicis convoque deux grands astrologues qui sont Cosimo Ruggiero et Nostradamus. Tous deux vont lui prédirent la fin de la dynastie des Valois qui va être remplacée par celle des Bourbons. Pour Catherine de Médicis, c’est une descente aux enfers.

Nostradamus, voyant et mage de la cour royale

Nostradamus et Catherine de Médicis, Gravure du XVIIe siècle [Source: Wold History Archive]

Nostradamus et ses prédictions gravissent petit à petit les échelons pour arriver jusqu’à la cour royale. Grâce à la publication de ses almanachs, Nostradamus se fait connaitre du public et se fait même un nom grâce à ses prédictions qui sont reconnues par des nombreux personnages tel que Gabriel Simeoni, un humaniste florentin de la Renaissance. « Le grand mage » devient si célèbre que son nom fait écho à la cour de France. Il se fait connaitre à la cour grâce à la publication de l’almanach de l’année 1555, publié en novembre 1554. Celui-ci révèle de nombreux évènements qui seront reconnus plus tard comme par exemple la prise de Volpiano, une commune du Piémont en Italie. Cet almanach a une particularité par rapport aux autres almanachs.

Journal du XXe siècle, intitulé Nostradamus reçoit Catherine de Médicis [Source:La vie mysterieuse N:09 10 mai 1909 ]

En effet, il est le premier à contenir des quatrains prophétiques. Il va être appelé à la cour notamment par Catherine de Médicis. Le plus célèbre épisode de ces prédictions est celui cité précédemment. Nostradamus ne sera pas le seul astrologue privilégié du pouvoir royal. Ils représentent un ensemble. C’est prestigieux d’être à la cour mais les prédictions et les convictions des astrologues sont partagées en groupe. Mais même si les prédictions se font à plusieurs, il faut tout de même un certain prestige et une certaine célébrité pour pouvoir monter à la cour de France.

Même s’il est au sommet de sa gloire à la cour de France et est privilégié par la reine Catherine de Médicis, Nostradamus n’est pas moins critiqué tout comme ses confrères. Avec les climats perturbés par la guerre, les peuples critiquent le pouvoir et leurs entourages vus comme douteux. Même si la royauté est superstitieuse, le peuple ne se fait pas avoir si facilement et déclare qu’il est manipulé par les astrologues qui voient les guerres comme une opportunité de se faire un nom et d’avoir une influence sur le pouvoir.

Nostradamus et ses prophéties : du monde à l’Occitanie

La première édition de l’œuvre majeure de Nostradamus, Les Prophéties, a été publiée le 4 mai 1555 à Lyon, suivie de 3 rééditions jusqu’à sa mort. Le livre est divisé en centuries, chaque centurie compte 100 quatrains. Un quatrain est une strophe de 4 vers qui est normalement écrite en jouant sur des rimes. La plupart des quatrains dans les prophéties évoque des catastrophes telles que les pestes ; les désastres naturels ; les guerres, les batailles et les invasions. Certains quatrains concernent des personnes ou des villes bien précises avec des thèmes récurrents comme l’invasion de l’Europe et la fin imminente du monde.

Il existe même des prophéties dans lesquelles les évènements se passent dans la région de l’Occitanie, renforcant donc le lien entre Nostradamus et cette région, comme les deux quatrains suivants:

  • Centurie 9 quatrain 9  : Nimes et Toulouse

 

« Quand lampe ardante de feu inextinguible
Sera trouuée au temple des Veƒtales,
Enfant trouué. feu. eau paƒƒant par crible,
Niƒme feu perir. Tholoƒe choir les hales
. »

L’Expulsion des Huguenots de Toulouse, par Antoine Rivalz [Source: Musée des Augustins, 1727]
  • Centurie 9 quatrain 37 : Toulouse

« Pont et moulins en Decembre versez,
En si haut lieu montera la Garonne
Meurs, edifices, Tolose renuersez,
Qu’on ne saura son lieu autant matronne. »

Mais Nostradamus a laissé beaucoup plus de traces dans la région que de simples quatrains qui prédisent d’une manière trop vague des évènements du futur. En réalité, il existe seulement 2 exemplaires de la première édition des prophéties de 1555, un des deux exemplaires est conservé à la bibliothèque nationale de Vienne et le second à la bibliothèque municipale d’Albi.

Cet ouvrage a donc appartenu au contre-amiral, explorateur et bibliophile, Henry Pascal de Rochegude, une figure importante issue de la ville d’Albi. Le fait qu’un des seuls deux exemplaires des prophéties se trouve à Albi démontre bien l’intérêt des Occitans pour le personnage de Nostradamus ainsi que pour ses travaux. Nostradamus a donc eu un réel impact au sein de la région.

Ainsi, Nostradamus est passé d’un simple étudiant en médecine à Montpellier à une référence dans les domaines de l’astrologie et de l’occultisme. De par la rencontre entre le divin et l’humain, cette ambivalence fait sans aucun doute la force de ses Prophéties qui se distinguent des autres prédictions astrologiques vues comme une simple interprétation des messages des étoiles. L’œuvre de Nostradamus nécessite, elle, davantage de décryptage : ce n’est pas une interprétation,

c’est LE message lui-même

L2: NOJA Julien

L1: GOUSSÉ-DUMAS Marie et MIRA Manon

Bibliographie