La peste est un grand fléau qui a touché une grande partie de la France à partir de 1347 lors de la grande peste noire qui est apparue à Marseille. Celle-ci est la conséquence de l’arrivée dans la ville le 1er novembre 1347 d’un bateau de commerce génois porteur de cette maladie. Cette maladie infectieuse et contagieuse est générée par les puces et transmise à l’homme. C’est donc une épidémie bubonique qui va entrainer une peste pulmonaire, c’est-à-dire transmise de l’homme à l’homme par inhalation.
La province du Rouergue correspond approximativement à l’actuel département de l’Aveyron en vigueur depuis la réorganisation territoriale de 1789. La maladie de la peste est ainsi apparue dans la région rouergate dès 1439 à Villefranche de Rouergue, dans la ville de Rodez en 1450 mais aussi à Millau en 1456. Les épidémies se sont enchainées dans toute la province du XVe au XVIIe siècle et ont provoqué des bouleversements majeurs en termes démographiques, religieux mais aussi économiques et politiques.
Les aspects sanitaires et démographiques de la peste
La maladie de la peste a engendré des modifications démographiques. Les conditions sanitaires en sont les premiers responsables. En effet, durant l’époque moderne, les conditions sanitaires n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. L’hygiène corporelle et la propreté des villes et villages n’étaient pas aussi présentes dans les mentalités. C’est un phénomène qui s’est fait petit à petit au cours des siècles. Certains médecins avaient cependant compris l’importance de cela mais surtout la conséquence de cette insalubrité dans la favorisation des maladies dont celle de la peste.
« Le défaut de netteté et de saleté des habits, meubles habitations, façons de vivre : qui sont des dispositions à la corruption, et par conséquent à la peste. » Durand de Monlauzeur
Cette insalubrité est présente dans les villes comme dans les campagnes. Les animaux sont eux aussi mis en cause mais ces derniers le seront bien plus tard. En 1628, tous les chiens dans la ville de Rodez seront tués et les paysans ne pourront plus rentrer dans les enceintes de la ville avec leurs animaux. Dans les campagnes, les animaux cohabitent avec les hommes ce qui rend les habitants encore plus vulnérables à la peste qui passait pas l’intermédiaire des puces pour se propager. C’est cette mesure qui a marqué le début d’une prise de conscience de la maladie de la peste par les puces.
La démographie a elle aussi été bouleversée au cours des épidémies de peste. Elles ont provoquées des modifications dans les transformations au sein des populations. Les taux de natalité ont varié de manière considérable, certaines zones du Rouergue ont été désertées mais surtout, la peste a tué de nombreux rouergats dans les villes comme dans les campagnes. Toutes les épidémies de peste entraînent un important pic de mortalité et une évolution démographique.
Avant la peste de 1348, Rodez, la capitale Rouergate comptait entre 8 000 et 10 000 habitants. Cependant, ces chiffres ont évolué durant les phases d’épidémies de pestes. En effet, elles ont créées des trous dans les villes car les populations ont fui la peste ou en sont mortes. Certains villages sont même complètement décimés. C’est le cas d’un village dans la commune de Cassagnes-Bégonhès (Ségala) dont seuls trois habitants survécurent à l’épidémie de peste de 1628.
Certains chiffres des morts par la peste ont été comptabilisés et mettent en évidence l’impact de la maladie sur les populations.
1463 : 4 000 morts
1558 : 5 000 morts à Villefranche de Rouergue
1562 et 1565 : 7 000 morts entre Rodez et Villefranche de Rouergue
1629 et 1630 : 3 000 morts dans la ville de Rodez
Enfin, les hôpitaux et les médecins vont être chargés de la prise en main des pestiférés. Avec l’importance majeure des épidémies de peste sur la population rouergate, des lieux vont être mis à disposition des malades pour qu’ils soient soignés mais aussi éloignés du reste de la population. Cela permet ainsi d’éviter toute propagation de la maladie.
Les domaines isolés comme les colombiers ou les moulins ont été les premiers lieux de refuge des pestiférés. Le moulin de la Gascarie fût utilisé comme lieu de rassemblement des pestiférés. En effet, en 1518, il fût loué pour y créer une bodomie le temps des épidémies de peste.
Les bodomies sont des lieux de rassemblement des malades de la peste. Celle du Bourg fût créée en 1523. Ce ne sont pas des établissements hospitaliers proprement dit. Ce sont des lieux réservés à l’enfermement des malades de la peste avec des cabanes et des planches pour y installer les malades. Les infrastructures restent encore à cette époque très rudimentaires. Dans le Rouergue les hôpitaux, en plus des bodomies vont être mis à contribution pour soigner et prendre en charge les malades. Vers 1340, il existe trois hôpitaux à Rodez dont Notre-Dame du Pas, Sainte-Marthe et Vigouroux.
En 1676, le roi Louis XIV décide par un décret de construire des hôpitaux généraux dans toute la France. À Rodez, un rassemblement de tous les hôpitaux est effectué (sauf celui de Saint Jacques) dans l’hôpital Sainte-Marthe (aussi appelé le « Quadrilatère ») où de nombreux travaux vont avoir lieux.
Les conséquences religieuses
Les épidémies de peste ont eu des conséquences sur le plan religieux et notamment sur les croyances et les pratiques. En effet, dans le Rouergue de nouvelles pratiques religieuses apparaissent et les habitants s’appuient sur leur foi afin de faire face à la peur et au taux de mortalité élevé généré par les épidémies. De plus, de nombreuses chapelles dédiées à des saints spécifiques pour lutter contre la peste émergent.
Le pèlerin Saint Roch (1300 – 1380) est un personnage majeur car il a soigné les malades de la peste et a donné sa vie pour les pauvres et les démunies.
La chapelle de Treize Pierres à Villefranche de Rouergue a été construite en 1510 pour le culte à Notre-Dame de Pitié et à Saint Roch. C’est un exemple de ces constructions qui apparaissent durant la peste. De nombreuses statues dédiées à des saints sont aussi visibles. C’est le cas à Maryan, à Colombies ou encore à Noailhac près de Conques.
Une grande croyance va se développer autour de Notre-Dame de Ceignac. Lorsqu’en 1653 la peste arrive dans le Rouergue, cela créer une grande vague de peur et les habitants des villes se réfugient dans la religion et les prières. C’est ainsi, que les notables et les magistrats de Rodez vont se réunir et se dévouer à Notre-Dame de Ceignac. Ils lui promettent trois choses si elle les sauve de la mort : la première, de jeûner à perpétuité la veille de la fête de la Conception ; la seconde, de visiter solennellement la chapelle de Ceignac ; la troisième de lui faire don de la somme de 200 livres. Le 22 juin 1654, tout un peuple va accomplir cette promesse car la peste s’arrête aux portes de Rodez épargnant ainsi la population ruthénoise.
Les épidémies de peste vont entraîner le développement des confréries. Ce sont des associations de laïques fondées sur des principes religieux dans un but charitable ou de piété. La confrérie des Pénitents Noirs de Villefranche de Rouergue, la confrérie du Rosaire, et celle des Pénitents Blancs de Marcillac qui se sont installés en 1604 en font partis.
La chapelle de Marcillac, construite en 1666 a joué un rôle dans ces périodes de maladies. En effet, sa « lanterne des morts » sur son clocher éclairait dès qu’un décès était signalé et ne s’éteignait qu’après l’enterrement du défunt. Cette lanterne avait aussi pour but d’éloigner les mauvais esprits et d’appeler à la prière.
Pendant les périodes de peste, les mentalités se retrouvent confrontées à l’omniprésence de la mort qui est au centre de la scène pendant toute la durée des épidémies. Les populations vont alors réagir de différentes façons face à ce fléau qui touche une grande partie des habitants du Rouergue. Sylvie Mouysset dans La peste de 1628 en Rouergue explique que « Maître Delavernhe, notaire à Montbazens, habitué à établir une vingtaine de testaments par an, voit arriver à son étude onze personnes, le 9 octobre 1628, dans le même but d’organiser leur succession ». Ici, on voit que la population est consciente du risque élevé de contagions et du risque réel de mourir à leur tour de la peste.
De plus, les croyances religieuses vont laisser place à des croyances païennes faites de fantasmes et d’angoisses. Le démon est lié de manière fréquente à la peste et à la mort. Des superstitions se développent comme le fait qu’enterrer les cadavres à l’envers provoquerait l’arrivée de la peste. À Avignon, une femme a même été enterrée debout pour s’assurer de rejeter la maladie et à Sauveterre, un chat a été attaché à un cadavre ce qui permettait d’éloigner la mort.
Les conséquences économiques et politiques
L’économie est aussi touchée par ces épidémies de peste. Le commerce est perturbé et les commerçants sont directement touchés par ces phénomènes. En effet, le fort taux de mortalité et la fuite des habitants ont entraîné une importante perte de main d’œuvre et donc une baisse de la productivité pour certaines activités. Les propriétaires des terres les moins riches sont quant à eux forcés d’abandonner leurs domaines et les commerçants qui n’ont pas les moyens d’augmenter les salaires finissent ruinés.
De plus, la peste coûte cher aux villes du Rouergue, en 1630 à Rodez l’épidémie coûtera 35 000 livres en frais et emprunts, en même temps à Villefranche de Rouergue le montant s’élève à 37 000 livres. En 1664, la dette s’élève à 135 000 livres, l’endettement freine une reprise économique et une récupération après la maladie.
Les Consuls du département du Rouergue ont dû réagir très rapidement aux problèmes que pose la peste pour éviter une propagation de celle-ci mais aussi pour protéger les habitants des villes et des villages de ce fléau.
Les foires qui sont des vecteurs de sociabilité et de ressources des villes vont être règlementées voire supprimées dans certains cas. En 1529 la foire de septembre à lieu en dehors de la ville de Rodez afin d’éviter toute contamination intérieure. Les marchands venant de lieux contaminés ont l’interdiction de participer aux foires. Ce sont des systèmes mis en place par la capitale du Rouergue pour limiter et surtout éviter toute contamination.
Au XVIIe siècle, c’est une grande nouveauté qui va apparaître. En effet, tous les participants à la foire doivent avoir en leur possession un billet de santé. Il atteste que la personne n’est pas contaminée par la peste et qu’elle ne vient pas de villes touchées par la maladie. Toute personne n’ayant pas ce billet dans la foire de Saint André en 1627 ne pourront pas y accéder. C’est aussi mais le cas à Espalion, Laguiole ou Entraygues.
Les Consuls vont aussi mettre en place des postes afin d’organiser et de venir en aide à la population touchée par la peste. Le capitaine de guet devient le capitaine de santé et doit surveiller les portes, faire régner l’ordre, vérifier que les habitants nettoient la rue mais aussi s’occuper des pestiférés en cas de peste. Il tient ainsi un rôle important pour la ville. Cependant ce métier n’est pas sans risque comme en témoigne cette citation en vieux français.
« Les consuls de Villefranche doivent conserver la ville par le moïen de soldats s’estant trouvé en avoyr trente deux le soir et le lendemain n’en rester que troys et l’ung d’iceulx malade et les autres mortz de la maladie contagieuze »
Durant les épidémies de peste, de nombreuses techniques étaient mises en place pour essayer de remédier au fléau. Certains médecins ont compris les causes de propagation de la peste et ont essayé d’éviter la transmission de celle-ci. Des techniques ont été appliquées mais cela reste tout de même subjectif car les grandes avancées en France n’arrivent qu’au XVIIe siècle dans les grandes villes.
Durand de Monlauzeur, un médecin rouergat, avait compris que la peste était une maladie contagieuse qui se transmettait d’homme à homme.
De plus, l’hygiène est mise en cause par les médecins et l’hygiène corporelle va être conseillée. Le docteur Fualdez conseille qu’« Il sera bon de laver le visage, les poignets des bras et les tamples. »
Certaines méthodes pour éliminer la peste du corps sont mises en place par Durand de Monlauzeur dont plusieurs traitements pour évacuer le mal du corps des hommes. Ceux qui « affaiblissent le venin », ceux qui le repoussent en fortifiant le cœur et enfin ceux qui l’évacuent par accident.
En 1619, Charles de Lorme, le médecin de Louis XIII invente un costume protecteur de la maladie de la peste. La tête est en forme de bec et l’intérieur de celle-ci est rempli d’herbes et de parfum afin de ne pas inhaler l’air des villes et donc un air contaminé par la maladie. Un manteau et des bottes étaient aussi intégrés dans la tenue.