Les pigeonniers en Midi-Pyrénées AU XIXe et XXe siècles [2021]

« Bâtiment destiné à contenir des troupes de pigeons et à leur permettre de pondre et de couver leurs œufs à l’abri des intempéries” telle est la définition d’un pigeonnier selon le dictionnaire de l’architecture de Viollet le Duc.

Le pigeonnier a été un outil important au XIXe et XXe siècles. En effet, les pigeonniers ont surtout un aspect nobilier, agricole et économique. La Première Guerre mondiale va donner un regain à ses pigeons qui vont devenir le symbole de la nation.

Par ailleurs, ils sont très présents dans le Midi. Terre à dominante agricole, la région Midi-Pyrénées est l’une des régions les plus prolixes en termes de pigeonniers. Ainsi, malgré leur architecture différente, on observe de grandes zones riches en pigeonniers dans le Lot, le sud de l’Aveyron, le Tarn et le Gers. Dans le Tarn même, ces édifices sont très présents à Castres, Lavaur, Gaillac et les vallées de la Montagne noire.

Comment peut-on expliquer qu’un même bâtiment, ici un pigeonnier, puisse avoir à travers près de deux siècles des fonctions aussi diversifiées ?

  • Le XIXe siècle, le siècle des pigeonniers

Que ce soit dans le Tarn, le sud de l’Aveyron, le Gers ou le Lot, les pigeonniers ont tous une forme et une architecture différente. Le département du Tarn est celui où se regroupe tous les types architecturaux de pigeonniers. On observe une forte densité de colombiers à Lagrave, Marssac sur Tarn ou encore Gaillac.

Le sud de l’Aveyron est une région charnière entre le Lot et le Tarn-et-Garonne. On découvre donc un autre type de pigeonniers plutôt de forme cubique comme les « pigeonniers tourelles ». Ils se forment sur l’image d’un château. Similaires, pourtant aucun n’est identique aux autres car chaque artisan laisse sa touche, s’inspire des édifices locaux, donne forme aux souhaits du propriétaire et fait attention à l’environnement.

La région du Tarn est l’une des plus riches en pigeonniers. Ils sont construits dans la Vallée du Tarn et du Dadou. Malgré leur diversité certains types sont plus présents que d’autres.

Pigeonnier dit « gaillacois » de forme carrée avec une toiture pyramidale à quatre pentes très pentue dite « en queue de vache ».
Pigeonnier pied de mulet dit « toulousain ». Il a une toiture en forme de gradins souvent en tuiles qui protège l’édifice du vent. Très présent dans la plaine toulousaine et montalbanaise.

 

 

 

 

 

 

Les pigeonniers de type castrais sont en grès, couverts de tuiles en ardoise avec de hauts clochetons et sont très présents autour de Castres, Puylaurens, Saint Paul Cap de Joux.

Dans le Lot et le Gers, la brique est remplacée par la pierre calcaire ou grès, pour solidifier les fondations.

Les pigeonniers « gariotte » très présents dans le Gers et le Lot et Garonne. Ils sont de forme simple avec des matériaux simples comme de la pierre calcaire et représentent un habitat pauvre et familial.

Ainsi, on voit que, même s’ils sont présents dans n’importe quelle région, certains pigeonniers ont des spécificités locales.

Bien évidemment, l’intérieur de ses édifices est aménagé pour les oiseaux. Ainsi on retrouve à l’intérieur comme à l’extérieur : les boulins, les épis de faîtage ou encore les fenêtres et lucarnes

Espaces aménagés pour les couples de pigeons, les boulins sont présents dans l’ensemble des pigeonniers pour permettre aux pigeons de pondre et couver leurs œufs 
Souvent en demi-sphère, les boulins sont aussi en osier ou encore en poterie comme dans la région albigeoise

 

Les lucarnes ou fenêtres sont plus ou moins élaborées et permettent au pigeons d’aller et venir mais aussi de faire passer la lueur du jour

 

Accessoire esthétique, cet élément de décoration permet de montrer sa richesse et permet aux pigeons de repérer leur lieux de vie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ces pigeonniers, sont des édifices architecturaux parfois monumentaux composés de divers matériaux selon les régions tels que la pierre, la brique, la terre crue, la chaux, qu’ils soient à colombage ou avec des charpentes multiples et différentes, ces pigeonniers sont certes des abris pour pigeons mais aussi des éléments qui entrent dans le cadre social d’une société et représentent une famille.

Le pigeonnier ou colombier est un édifice au XIXe siècle prestigieux. Au départ, il n’est réservé qu’à la noblesse et la bourgeoisie ayant un droit de colombier. Attribut féodal, le pigeonnier est donc très présent dans les châteaux ou les manoirs. Symbole de pouvoir, les ruraux convoitent cet élément social de prestige. Ainsi, petit à petit, le monde agricole s’approprie les pigeonniers, au même titre que les nobles, alors qu’avant les paysans possédaient majoritairement des volières.

Les pigeonniers ne sont pas disposés au hasard. La majorité se situe dans des champs céréaliers ou proches des vignes, loin des cours d’eau pour éviter la pollution et loin des arbres pour éviter les rapaces. Outre leur chair, les pigeons ont aussi un avantage pour l’agriculture ; leur fiente. Appelé colombine, les déjections des pigeons sont reconnues au XIXe siècle comme engrais. Elle est notamment utilisée comme engrais dans la production de pastel, de chanvre et pour fumer les terres viticoles. Elle était déversée dans les champs par temps de pluie pour permettre une dissolution rapide et éviter que l’engrais ne brûle les terres. Le fait qu’au fil des décennies les ruraux puissent posséder un pigeonnier, permet d’en faire un commerce, ce qui constitue un revenu supplémentaire. La colombine est tellement un engrais précieux qu’elle fait partie de la dot lors du mariage. Ainsi le pigeon fait partie d’une économie agricole et active l’économie rurale car la production devient pour le paysan une source de revenu.

Ainsi, en raison du nombre exponentiel de pigeonniers, leur place dans la société et leur importance économique, les pigeonniers sont au XIXe siècle des atouts dans le monde rural. Mais la crise du phylloxera et le développement d’engrais chimiques marquent le déclin des pigeonniers.

  • Le XXe siècle entre déclin et renouveau

Le droit de colombier a très peu été respecté. Une quantité incontrôlable de pigeonniers a donc poussé sur les terres agricoles de France. Le nombre de pigeonniers a été multiplié de façon déraisonnable et les pigeons sont passés d’atouts économiques à nuisible pour les paysans. Ces derniers subissent les ravages de nuées de pigeons sur leurs terres et ne peuvent même pas s’en protéger puisqu’il était interdit de tuer ou blesser un pigeon.

Le manque de contrôle de la reproduction des pigeons a créé une accumulation trop importante de ces derniers dans les villes mais aussi dans les campagnes. Leur colombine brûle et détruit totalement les récoltes et les champs.

Lors de la Première Guerre mondiale, les pigeons sont donc des sortes « d’estafettes » volantes qui sont capables de transmettre des messages qu’on appelle des colombogrammes. Outre permettre la communication entre le terrain et l’état-major ils permettent aussi de rester en contact avec les résistants ou les espions. On compte près de 30 000 pigeons messagers dans les armées françaises durant la guerre de 14-18. Au vu de l’explosion de ce moyen de communication, la France crée un centre d’instruction de la colombophilie militaire entre 1914 et 1919.

Aussi appelé « petits auxiliaires de guerre », ils sont les acteurs principaux de la colombophilie d’abord utilisés en tant que messagers, chaque nation commence à développer ce système pour de l’espionnage. Ils étaient surnommés “pigeon-soldat” ou “pigeon-héros”. Ils deviennent donc des ennemis pour les allemands qui utilisent tous les moyens pour les neutraliser comme des faucons.

Représentation d’un soldat libérant les pigeons voyageurs de leur cage pour qu’ils puissent aller remplir leur mission et délivrer le message accroché à leur patte.
Image d’un pigeon utilisé pour la Première Guerre mondiale à des fins d’observation pour repérer les fortifications adverses ou encore pour délivrer un message.

 

 

 

 

 

 

 

 

En ces temps de guerre, certains pigeons se sont démarqués par leurs loyaux services et ont été essentiels pour sauver certains bataillons. En France, le pigeon le plus connu est le pigeon “Vaillant”. Il incarne la résistance durant la bataille de Verdun, c’est lui qui délivre le dernier message de la victoire. Il est décoré à la fin de la guerre de la Légion d’Honneur et de la Croix de Guerre.

Dans tous les camps, les pigeons ont été utilisés, même les américains font appel à eux et ont eux aussi leur icônes nationales : Spike et Dear Friend qui ont fait près de 70 missions et sauvé le bataillon “Lost Bataillon” à Verdun en 1917. Eux aussi sont décorés de la croix de guerre américaine.

  • Mais qu’en est-il des pigeonniers depuis la fin de la Première Guerre Mondiale?

Abandonné à la fin du XIXème siècle car la colombine n’était plus un engrais assez rentable, la fin de la Première Guerre Mondiale marque un coup d’arrêt à l’expansion de ces pigeonniers. Les pigeons n’ont plus aucune valeur économique majeure et les pigeonniers ne sont plus signe de richesse nobilaire. Par conséquent, au fur et à mesure, les pigeonniers sont abandonnés, détruits ou en ruine. Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour qu’ils soient de manière partielle réhabilités et deviennent des édifices architecturaux témoins d’une époque. Ils prennent une fonction de mémoire. C’est un héritage de l’architecture rurale, un témoignage du passé. Ils ont été restaurés dès le milieu du XXe siècle, remis en état et deviennent des greniers, des lieux d’habitations ou encore des espaces de musée. Toute cette remise en valeur des pigeonniers n’aurait été possible sans le soutien et les travaux des architectes des Bâtiments de France qui ont pu faire de magnifique restauration et ainsi porter leur projet pour qu’ils soient classés Monument de l’Unesco. Ainsi ce titre a permis par exemple dans la région albigeoise de développer un tourisme autours des pigeonniers, des sentiers de randonnée… Enfin, des auteurs aussi fiers de leur patrimoine local chercher à les revaloriser c’est le cas de Michel Lucien qui met en avant cet héritage oublié et en fait des lieux de mémoire d’une France rurale du XIXe et XXe siècle quelque peu oubliée.

L’histoire des pigeonniers est donc bien plus importante que l’on ne le pense. En effet, outre leur pouvoir nobilier au début du XIXe siècle, le pigeonnier est un atout sociétal, économique, culturel et agricole. Les évolutions techniques du XXe siècle en agriculture et les évolutions politiques ont signé la fin de l’importance des pigeonniers qui sont devenus marginaux. Toutefois, les pigeons reprennent un essor important aux cotés des chevaux, chiens et bien d’autres animaux durant la Première Guerre mondiale. Aujourd’hui, les pigeonniers font la fierté de la région Midi-Pyrénées (désormais Occitanie) qui en compte un grand nombre. Les domaines viticoles tels que le Château de Saurs ou encore le Châteaux Lastours à Gaillac sont fiers de leur héritage.

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