La Mappa Mundi d’Albi, exemple et exception d’une carte médiévale
Une mappa mundi est littéralement une « carte du monde ». C’est une représentation typique du Moyen-Âge qui a pour but de représenter l’orbis terrarum : le monde connu. Conservée à la Médiathèque Pierre Amalric, parmi les manuscrits anciens, la mappa mundi d’Albi est une des plus anciennes qui nous soit parvenues. Elle représente le monde sous une forme d’un fer à cheval, elle est orientée à l’Est. Elle s’inscrit dans contexte de mutation pour toute l’Europe où la culture romaine fait face aux influences barbares. En effet cette carte daterait environ du VIIIe siècle, en plein Haut Moyen-Âge.
En quoi la mappa mundi d’Albi fait-elle l’exception dans la cartographie du haut Moyen-Âge tout en s’inscrivant dans la continuité des connaissances géographiques tardo-antiques ?
I- L’une des plus anciennes cartes médiévales conservée
La datation du VIIIe siècle est encore sujette à débat de même que son origine. La datation peut cependant tendre plus vers ce VIIIe siècle puisqu’on repère sur la carte la présence de Ravenne qui gagne de l’importance au VIIIe siècle et pourrait être donc une information de datation.
Pour ce qui est de l’origine de la carte, on l’ignore mais il y a trois hypothèses. Elle a peut-être été faite ici même à Albi, mais c’est plus probablement une copie d’une carte antique qui a été faite en Septimanie, région qui correspond à peu près à l’ancienne province romaine de la Narbonnaise. La théorie que la carte ait été réalisée en Espagne n’est pas non plus exclue.
Qu’importe où elle a été faite, elle l’a été à la demande de l’évêque d’Albi. En effet, à cette époque, l’albigeois est un centre culturel important de la région comme en témoigne les nombreux manuscrit du VIIIe siècle trouvés à la cathédrale, dont le Ms.29, le manuscrit où se trouve la carte.
II- Un héritage antique omniprésent
Donc, bien que médiévale, la mappa mundi d’Albi possède encore une forte inspiration antique. La représentation visuelle du monde en carte nous paraît logique aujourd’hui, il suffit de voir à quel point la projection de Mercator nous est familière, mais ce n’est pas forcément le cas dans l’Antiquité et au Haut Moyen-Âge. En effet, on peut préférer une représentation textuelle. On peut prendre l’exemple de Ptolémée, géographe connu du IIe siècle qui à posé les bases de la cartographie dans son ouvrage Géographie.
Même si le but de l’ouvrage est la création d’une carte au final, c’est uniquement du texte qu’utilise Ptolémé pour décrire au mieux le monde connu. La représentaiton médiévale classique est la carte dite du « T dans l’O » avec le Nil, la Méditerranée et le Tanaïs comme frontière entre les continents. Cette division viens de Strabon.
Notre carte reprend surtout les informations d’Orose, un prêtre du Ve siècle et d’Isidore de Séville, évêque du VI-VIIe siècle. Ils s’intéressent tous deux à l’histoire et la géographie et compilent les données de l’Antiquité qui leurs sont parvenues. La mappa mundi d’Albi reprend en grande partie les connaissances et les toponymie de ces deux auteurs. En effet, 94 % des toponymes sont d’origine tardo-antiques. Ceci s’explique en partie par l’instabilité politique de l’époque, due aux “invasions” barbares”, et à un Empire Romain d’Occident dont l’héritage est encore très important.
III- Une représentation partielle du monde médiéval
On peut cependant c’est une carte médiévale et on peut s’étonner de l’absence d’éléments purement médiévaux. Pour déterminer quels éléments toponymiques de sont pas médiévaux, on peut se concentrer sur ceux qui n’apparaissent pas chez Orose et Isidore de Séville. La carte
d’Albi n’en compte que 2. Donc même si c’est en faible qualité, ceux qui ont dressé cette carte ne se sont pas basé uniquement sur des connaissances antiques. Les deux termes de la mappa mundi d’Albi sont Deserto et Sina : une donnée topographique, un désert, et une donné biblique, le Mont Sinaï.
Notre étude se concentrant sur une époque où la pérennité et la diffusion du savoir sont en Europe du fait de l’Église, il apparaît logique que les auteurs de la mappa mundi étudiée et plus généralement les cartographes médiévaux sont, la plupart du temps, des clercs et (Isidore, Orose) s’intéressent particulièrement aux hauts-lieux de la religion. Ainsi, des lieux primordiaux de la chrétienté sont mis en valeur, à l’instar de Rome ou Constantinople, les deux capitales du christianisme mais aussi Jérusalem, le mont Sinaï, ou encore Babylone,
citée de nombreuses fois dans les écrits juifs et chrétiens. En outre, les cartes indiquent également des lieux fantasmés. Nous pouvons citer le jardin d’Éden ou le Paradis, présents sur la carte, et qui y sont délimités par le fleuve mythique Phison.
En conclusion, nous pouvons dire que la mappa mundi d’Albi est bien une carte du Moyen-Âge par son contexte de création. En outre, elle est fortement inspirée du savoir tardo-antique. Cependant, les rares connaissances médiévales sont majoritairement influencées par la culture chrétienne.
Pour mettre en perspective la carte d’Albi, nous pouvons nous pencher sur un autre type de carte, celles représentées en T, comme évoquées précédemment, qui sont largement répandues au Moyen-âge, comme la mappemonde d’Ebstorf, datant du XIIIe siècle D’autres cartes ultérieures à celle d’Albi nous renseignent sur l’évolution des connaissances en matière de cartographie. Pour ce qui est du monde arabe, le plus bel exemple est la carte du savant Al Idrissi, ayant voyagé à travers le monde connu compilant de nombreuses informations. Il faut attendre la fin du moyen age et le début de la renaissance pour que la cartographie européenne connaisse un nouvel essor avec l’apparition des portulans, cartes représentant uniquement les côtes, nécessaires dans un contexte du commerce maritime.