La restauration de la Cité de Carcassonne par Eugène Viollet-le-Duc au XIXe siècle. [2022]

Eugène Viollet-le-duc, Daguerréotype, 1848. Source : Musée des monuments français.

« Je ne sache pas qu’il existe nulle part en Europe un ensemble aussi complet et aussi formidable de défenses des Ve, XIIe et XIIIe siècles, un sujet d’étude aussi intéressant et une situation plus pittoresque”  nous dit Eugène Viollet-le-Duc dans son livre Cité de Carcassonne en 1858. La Cité de Carcassonne, vieille de près de 900 ans d’histoire, est une représentation de l’évolution et de l’importance des cités dans le territoire languedocien, à l’époque médiévale et au XIXe siècle. La restauration désigne l’action et la volonté de différents acteurs de remettre en état un bâtiment dégradé voire détruit. Cette action est réalisée par Eugène Viollet-le-Duc qui est un architecte français né en 1814 et mort en 1879. Il est notamment connu pour la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ainsi que les remparts de la Cité de Carcassonne. Carcassonne est une ville du Languedoc actuellement dans l’Aude et dans la région Occitanie. Cette ville possède une cité médiévale fortifiée dont les origines remontent à l’époque de l’empire romain. Cette Cité, laissée à l’abandon à partir du XVIIe siècle, est reprise dans un contexte de redécouverte des patrimoines nationaux. Dès 1852 débute une grande période dite la “restauration” qui se prolonge jusqu’en 1913. Cette restauration a permis à Carcassonne de retrouver un certain prestige en France mais pas que. En effet, elle a été notamment classée à l’UNESCO en 1997. Néanmoins, cette Restauration n’a pas été bien accueillie par les acteurs de l’époque et fait face à une controverse. La mort d’Eugène Viollet-le-Duc en 1879 lors de la restauration n’arrête pas celle-ci qui continue dans la même pensée reprise par son élève Paul Boeswillwald. Ainsi, nous pouvons nous demander en quoi la Restauration de la Cité de Carcassonne a permis de lui donner un second souffle.

La Cité de Carcassonne au cours de l’histoire

La Cité de Carcassonne est créée au IIIe siècle après J.-C. La Cité est occupée au fil des siècles par différentes populations. La cité connaîtra une gloire tardive avec l’arrivée de la féodalité. Celle-ci passera de main en main et différentes dynasties utiliserons la Cité à des fins militaires, politiques et économiques. Les croisades lancées par le Pape Innocent III contre les cathares joueront un grand rôle dans l’histoire de la Cité de Carcassonne. Par la suite la Cité passe sous la juridiction de la royauté avec Louis IX. Celui-ci entreprendra de grands travaux avec notamment la construction d’une deuxième enceinte qui sera poursuivie par ses successeurs. Philippe III et Philippe le Bel, à leur tour, entreprendront de grands travaux dans la Cité. Ainsi, sous le règne de Philippe III, la porte Narbonnaise, la tour du Trésau, la porte Saint-Nazaire et toute la partie de l’enceinte environnante se construisent. Puis, une  modernisation de la Cité sous Philippe le Bel est réalisée. 

La Cité de Carcassonne, photographie, 1910 Source : Belcaire Pyrénées

Contexte de la restauration de Carcassonne

La Cité médiévale de Carcassonne se trouve petit à petit abandonnée. Il y a différentes raisons à cet abandon progressif. Tout d’abord, la Cité médiévale qui a un rôle de place forte et de gardienne de la frontière avec l’Espagne se voit dépossédée de ce rôle fondamental par la suite. Le traité des Pyrénées, le 7 novembre 1659, instaure une paix durable entre la France et l’Espagne ce qui fait que Carcassonne perd tout son aspect stratégique qui en faisait une place forte des plus importantes. On assiste ensuite à un abandon de la Cité médiévale par les instances administratives et religieuses pour la nouvelle cité. En 1657, un arrêt du conseil du roi transfère le siège et consistoire du sénéchal et président de Carcassonne dans la ville basse au lieu de la Cité en ville. La ville haute étant située sur une montagne, cela complique donc la tâche des officiers royaux de s’y rendre lors d’intempéries car ils ont leur habitation dans la ville basse. C’est donc pour des raisons pratiques que ces instances administratives ou religieuses sont transférées. De plus, bien que ce ne soit qu’en 1801 que cela devient officiel, la cathédrale Saint Michel remplace la cathédrale Saint-Nazaire.  Enfin, à l’orée du XVIIIe siècle, Carcassonne traverse une grave crise économique liée à son commerce de laine. Effectivement, la production est toujours plus grosse pour de moins en moins de débouchés à cause du port de Marseille ou du blocus anglais ce qui conduit à la faillite des manufactures Carcassonnaises. Cela achève l’abandon complet de la Cité médiévale de Carcassonne. 

La restauration

En 1830, la Cité est sauvée de la destruction totale par Jean Pierre Cros Mayrevieille.  C’est en 1835, que le projet est approuvé par Napoléon III, qui fait financer le projet à 90% par l’État et à 10% par la ville. Eugène Viollet-le-Duc étant le favori de l’impératrice est choisi pour ce projet alors qu’il travaillait sur l’église Saint-Nazaire. Le projet est approuvé pour revaloriser le patrimoine français dans l’Empire et dans l’Europe. Les travaux commencent en 1855. Eugène Viollet-le-Duc meurt en 1879. C’est donc son élève qui reprend la suite, Paul Boeswillwald, puis qui laisse la place à à Henri Nodet.  La restauration à l’intérieur se termine en 1889 et les travaux d’envergure en 1902.  En 1913, les travaux sont considérés comme terminés alors que seulement 30% sont terminés. En premier lieu, la restauration de la Cité est faite avec une volonté de rattraper le retard par rapport à la mode architecturale parisienne du XVIIe siècle.  Eugène Viollet-le-Duc s’est inspiré d’époques différentes et de matériaux d’autre régions. L’architecte a voulu montrer une certaine liberté de création à travers ce mélange de styles.  Deux styles principaux ressortent de cette période : un style pseudo médiéval avec une inspiration gothique et l’art nouveau. Ce mélange de style est vivement critiqué, et le style trop gothique d’Eugène Viollet-le-Duc est jugé trop présent.

La controverse de la Restauration

Hippolyte Taine, portrait de Léon Bonnat, 1890. Source : Bridgeman Art Library

Eugène Viollet-le-Duc donne une définition particulière de la Restauration. Selon lui, « Restaurer un édifice, ce n’est pas l’entretenir, le réparer ou le refaire, c’est le rétablir dans un état complet qui peut n’avoir jamais existé à un moment donné. » (Dictionnaire raisonnée de l’architecture française du XIe au XVI e siècle, tome 8). Eugène Viollet-le-Duc a une conception personnelle de l’image du Moyen Âge qu’il retranscrit dans la restauration de la cité. Il utilise donc de nombreux styles architecturaux avec des matériaux communs au XIXe siècle comme la fonte. L’utilisation d’un style nouveau qui dénote avec l’ancien provoque de nombreuses critiques.  C’est par exemple le cas des toitures de formes coniques. L’architecte fait le choix de donner cette forme aux toitures afin de lui donner un caractère médiéval à la Cité de Carcassonne. De plus, il utilise également de l’ardoise. Or, dans la région de l’Aude, les tuiles romanes sont le plus fréquemment utilisées.  Beaucoup de personnes critiquent la restauration d’Eugène Viollet-le-Duc. Parmi eux, Hippolyte Taines (1828-1893), historien et philosophe français. Pour lui, la restauration de E. Viollet-le-Duc donne un caractère trop gothique à la Cité, ce qui la dénature car il modifie fortement le style de la Cité d’origine en voulant lui donner un style médiéval. Joseph Poux, historien et archiviste français, parle des portes et fenêtres de certaines tours qui auraient eu une restauration de mauvaise qualité. Actuellement, la Cité est devenue symbole de la ville et malgré les critiques la restauration a suscité et suscite encore aujourd’hui, elle est tout de même classée au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO. 

La cité de Carcassonne avec ses toits coniques Source : Tourisme en Occitanie, La cité médiévale de Carcassonne

Impacts économiques et sociaux

La restauration de la Cité de Carcassonne a permis un renouveau culturel à la ville. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO en 1997, elle est devenue un incontournable pour les réalisateurs qui recherchent un décor médiéval pour leur film. C’est en effet dans la Cité de Carcassonne que le film les Visiteurs a été tourné en 1992. Le château de la Cité aurait même inspiré Walt Disney pour le château de la belle au bois dormant. La rénovation a permis un boom touristique pour la ville, le pays Carcassonnais et l’Aude. De ce fait, la Cité n’est pas seulement connue nationalement mais aussi et surtout dans toute l’Europe, comme peuvent témoigner tous les articles étrangers présents sur le site de l’office du tourisme de Carcassonne. En plus d’être connue dans tout l’Europe, la Cité s’ouvre petit à petit au tourisme mondial : c’est la destination n°1 des israéliens cet hiver depuis l’ouverture de la ligne Toulouse-Tel Aviv. En venant remplacer le domaine industriel en ruine, le tourisme n’a pas apporté que des bienfaits. Selon Marie-Geneviève, conservatrice en chef de la Cité de Carcassonne, la volonté de garder la Cité dans son histoire n’est pas vraiment compatible avec la vie des Carcassonnais présents au sein de la cité, qui ont dû transformer leur habitation en commerce et partir dans la ville basse.

Vue aérienne de la Cité de Carcassonne, photographie, 1950. Source : Belcaire Pyrénées

Courants artistiques du XIXe siècle

La théorie de l’ornement est importante au XIXe siècle. L’ornement a toujours été depuis la préhistoire quelque chose qui devait ajouter du beau dans l’utile. En France, la réflexion sur la fonction des ornements est moins forte qu’en Angleterre mais Eugène Viollet-le-Duc fait partie de ces architectes qui y réfléchissent et l’appliquent dans son style. Cette réflexion correspond aux discussions des artistes sur le statut esthétique de l’ornement ainsi que sa valeur sociale et symbolique. Cette réflexion se développe en même temps que les interrogations induites par l’ère industrielle sur l’utilité de l’art et par l’émergence de nouveaux types d’arts tels que l’abstrait. Cette réflexion française sur l’ornement est donc influencée par le contexte artistique, industriel et institutionnel. Ainsi, cette pensée est traversée par des courants idéalistes et rationalistes et par les questionnements sur l’art. Dans l’art d’Eugène Viollet-le-Duc, la géométrie tient une place particulière dans son “imaginaire scientifique” d’après Rossella Froissart Pezone. Il a une attitude énigmatique mais bien loin de l’obscurantisme que certains acteurs de l’époque promeuvent. A son époque, il y a une lutte entre les arts mineurs et les arts majeurs dans lequel s’inscrit l’architecte. L’ordre géométrique que met en place Eugène Viollet-le-Duc est important à cette époque et souvent repris. Il est composé par les lois d’ordre, de proportion et d’unité et repose sur la nature et sur les structures visibles issues de l’environnement.

Conclusion

Pour conclure, la vision d’Eugène Viollet-le-Duc est souvent contestée et l’est encore de nos jours. Cependant, sa restauration a permis un renouveau dans l’économie Carcassonnaise à bout de souffle et qui était focalisée sur un seul type d’économie : la fabrique de draps. De plus, cela a renforcé le dédoublement de la ville entre la Cité et la ville basse, la Cité faisant ombre parfois à la ville basse et son patrimoine historique. De nos jours, cette Cité reste dans les mémoires comme le monument far de Carcassonne et de son époque médiévale comme le voulait Eugène Viollet-le-Duc. Elle est souvent prise comme décors de film sur la période médiévale ce qui montre l’influence de cette restauration dans l’imaginaire collectif même de nos jours. Ce n’est pas qu’un phénomène français puisque la Cité est reconnue à l’UNESCO ce qui lui donne un rayonnement international aussi.

Pour aller plus loin :

Architecture :

CADIOU, F., LEMONDE, A., COULOMB, C. & SANTAMARIA, Y., XVI / Les patrimoines. Dans : François Cadiou éd., Comment se fait l’histoire : Pratiques et enjeux, p. 285-295, Paris, La Découverte, 2011.

CAPERA J., GARDEL M., HANCKE G., Carcassonne et le pays Carcassonnais, regards sur un patrimoine, Loubatières, 2010.

VIOLLET-LE-DUC E., DAMISCH H., L’architecture raisonnée : extrait du dictionnaire de l’architecture française, collection savoir hermann, 2e édition, 1978, vol 1, 228 p. 

Restauration :

DENOËL C., « La Mission héliographique de 1851, un voyage pittoresque et romantique à travers l’ancienne France », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 04 novembre 2021.

POUX J., La Cité de Carcassonne. Tome III, Le déclin – La restauration, 1466-1937 : histoire et description, Toulouse, E. Privat, 1938. 

Carcassonne :

AMIEL A., BAUDREUD., MARQUIE C. et al., Aude, Paris, Édition Bonneton, 1994.

GUILAINE J., FABRE D. (dir), Histoire de Carcassonne, Toulouse, Privat, 2001. 

MARQUIE C. Carcassonne, Morlaàs, Cairn, 2020. 

PANOUILLE J.,Carcassonne Le temps des sièges, Paris, CNRS éditions, 2001 ( 1er édition 1992).

Eugène Viollet-le-Duc :

BERCE F., Eugène Viollet-le-Duc, collection monographies d’architectes, édition du patrimoine, 2013

LENIAUD J., Viollet-le-Duc ou les délires du système, Paris, Mengès, 1994

PANOUILLE J., La Cité de Carcassonne, Paris, édition du patrimoine centre des monuments nationaux, 2012 (1998). 

XIXème siècle :

BERGEON LANGLE S., BRUNEL G., La restauration des œuvres d’art, Paris, Hermann, 2014. 

COHEN C., « L’ornement. Du XIXe siècle à nos jours », CRAL, 2021 [consulté en ligne le 24/02/2022].

MOHEN J.-P., Les sciences du patrimoine : identifier, conserver, restaurer, Edition O. Jacob, Paris, 1998. 

 YON J., « La création littéraire et artistique », dans : , Le Second Empire. Politique, société, culture, sous la direction de Yon Jean-Claude. Paris, Armand Colin, « U », 2012, p. 183-206.

Tadiotto Clara, Roche Maïwenn , Si Belahouel Chaïma , Mebarka Simon, Laligne Grégoire, Erbin Rayan et Blancke Clément