Synthèse de l’interview de Joseph Planés, ancien joueur du Sporting Club Graulhétois et demi-finaliste du championnat de France en 1957, réalisée à Graulhet le 28 octobre 2017.
A la question « pourriez-vous vous présenter », Joseph Planés nous a répondu qu’il est né le 6 septembre 1932 à Graulhet dans une famille qui n’était pas impliquée dans le rugby. Il a réalisé plusieurs métiers comme menuisier, chiffonnier, gérant d’une station service, libraire, fonctionnaire à la mairie de Graulhet et employé chez un grossiste en électroménager. Joseph a commencé le rugby en 1948 à l’âge de 16 ans et il est toujours présent dans son club de cœur de Graulhet et celui de Briatexte qu’il a refondé en 1982. Il compte s’arrêter l’an prochain à 86 ans, âge où il pourra admettre que 70 ans de sa vie ont été dédiés à ce sport. Au rugby, il a joué plusieurs postes : talonneur, centre, ailier et troisième ligne aile.
Après s’être présenté, nous avons posé plusieurs questions à Joseph Planés…
Pourquoi et comment avez-vous eu envie de faire du rugby ?
Tout d’abord, je suis allé au rugby pour rejoindre mes copains qui étaient issus du même quartier que moi. Ensuite, c’était le sport majeur de Graulhet ; les autres étaient moindres et ne comptait que quelques licenciés. A mon époque, on ne peut pas différencier Graulhet avec un autre sport que le rugby. J’ai commencé le rugby à 16 ans (âge assez tardif) car il fallait que je travaille pour aider mes parents vu que nous étions une famille nombreuse. De plus, il n’y avait pas d’école de rugby et le Sporting disposait de seulement trois équipes (Juniors, Réserve, l’équipe première) ; c’était le « rugby des villages ».
Quelle place le rugby occupait-il dans la ville de Graulhet ?
Sans contestation, il occupait la plus grande place ! Il n’y avait que le rugby, les gens au café « parlaient rugby » et le week-end, la ville « vivait rugby ». C’était la discussion phare après le travail car bien sûr, il ne fallait pas mélanger travail et loisir. Les joueurs aussi avaient une bonne place dans la ville, nous étions reconnus. Pour se rendre compte de cet élan, lors de la demi-finale que nous avons jouée à Toulouse, la ville était déserte : 6 000 Graulhétois sur les 8 000 de la ville avaient fait le déplacement. De même lors de l’inauguration du stade Noël Pélissou en 1955, il y avait plus de 10 000 spectateurs dans le public ; plus que la population graulhétoise. D’ailleurs, pour moi, c’est le plus joli stade du Sud-ouest car il est en plein centre-ville. Auparavant, nos matchs se disputaient à la Bouscayrolle, une plaine. Avec un peu de recul, je pense que cet engouement était si fort car les distractions étaient rares et les gens travaillaient beaucoup. De plus, le fait que l’on soit au haut-niveau a énormément aidé le développement du rugby au sein de la ville. Je me rappelle que le lundi qui a suivi la demi-finale du championnat de France, tous les Graulhétois avaient bénéficié d’un jour de congé et les enfants n’allaient pas à l’école car elles étaient fermées. La ville s’était arrêtée ; c’était un jour de fête où nous avons été reçus à la mairie et où les journaux se sont déchainés sur l’évènement.
Qui étaient les dirigeants et comment s’occupaient-ils du fonctionnement du club de rugby ?
Il faut savoir qu’à Graulhet les mégisseries étaient très nombreuses (120 mégisseries lors de l’apogée du cuir à Graulhet). Sur les 120 patrons mégissiers, 60 faisaient partie de la chambre syndicale qui dirigeait le club. Mais il faut aussi rajouter des bouchers, des médecins et d’autres fonctions qui peuvent entrer dans la chambre syndicale. Cette chambre syndicale, c’était en quelques sortes les actionnaires du club. Tous les déplacements étaient à leurs frais ; le bus qui été loué le dimanche ou bien l’utilisation des voitures particulières des dirigeants. Il y avait aussi des sponsors qui donnaient de l’argent au club : le plus souvent, c’était des commerçants de la ville. Le club nous assurait pour les blessures, il n’y avait ni kinésithérapeutes ni soigneurs. Nous avions seulement un médecin, le docteur Pontié. Par contre, on pouvait passer des examens plus rapidement et on pouvait avoir des jours de repos si on était blessé assez gravement sans problème vu que les patrons s’arrangeaient entre eux au rugby. Il ne faut pas oublier le plus illustre dirigeant Graulhétois à mon sens : Marcel Batigne qui aura été le président de la Fédération Française de Rugby.
Voyez-vous une évolution du rugby et de sa place dans la société ?
Effectivement, il y a énormément de différence. La plus importante, à mon sens, est le niveau rugbystique qui ne cesse d’augmenter. Aujourd’hui les joueurs sont des professionnels alors que nous non. Le lundi matin, il fallait se lever pour aller travailler et certains faisaient des tâches très périlleuses. De plus les joueurs, même au haut-niveau,
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jouaient pour leurs clubs de cœur et défendaient ces valeurs ; hormis deux ou trois joueurs de notre équipe, il n’y avait que des Graulhétois pure souche ! Ensuite, je pense que ce n’est pas comparable car il y a l’essor des autres sports qui enlèvent des licenciés au rugby. Pour moi, le rugby a changé et il changera encore.
Que pensez-vous du rapport entre l’alcool et le rugby ?
C’est une question taboue pour le rugby. En effet, les troisième mi-temps sont indissociables et ne peuvent être enlevées à ce sport. Moi-même, lorsque j’étais gérant de la station essence à Graulhet, je faisais venir mes copains du rugby dans mon établissement et je « levait le pont » pour pouvoir boire un coup avec mes amis et partager de bons moments. De mon époque, c’était important d’avoir des moments comme celui-ci car après, on ne pouvait pas se détendre et je pense que le rugby nous a amené beaucoup de liberté de ce côté-là. C’est comme une tradition rugbystique ; pour nous, il était normal de boire un verre même avec son adversaire à la fin du match. Après la demi-finale, je me souviens que nous sommes allés tous manger au restaurant malgré la défaite. Néanmoins, je pense qu’avec l’arrivée du professionnalisme, la relation avec l’alcool s’est diminuée. Sans rapport à l’alcool, le club nous payait un repas par mois pour que l’on mange ensemble.
Selon vous, le Midi bénéficie-t-il une identité rugbystique ?
Je pense que le club de Graulhet est un bon exemple pour répondre à cette question car c’est un club qui a rayonné pour le cuir notamment mais aussi pour le rugby. Le Midi, c’est une terre de rugby : dans les années 1950, il y avait 7 clubs majeurs dans le Tarn qui jouaient au plus haut-niveau et cela provoquait les fameux derbys. Beaucoup d’équipes, même dans l’élite du rugby, sont issues du Sud-ouest. Malheureusement, énormément de grands clubs d’avant se sont effondrés avec le débarquement du professionnalisme comme Carmaux qui a été champion de France en 1951 et qui est désormais dans les plus bas niveaux de ce sport.
Quelle était la vie de joueur de rugby ?
Tout d’abord, les matchs avaient lieu le dimanche. Il n’y avait qu’un seul entrainement par semaine qui durait deux heures et demi car le travail était prioritaire. De plus, le rugby n’exigeait pas une omniprésence après le travail ; hormis le jour de l’entrainement, on se retrouvait entre joueurs au café. Toutefois, certains individus du club avaient une dévotion totale pour le club. Je cite la déclaration de Louis Montels qui était un supporter engagé : « Je dédie ce livre à mon épouse, dont la compréhension, la patience et l’amour qu’elle m’a porté n’ont pas été toujours récompensés, mais m’ont permis ainsi d’offrir 30 ans de ma vie à un club que j’ai porté et que je porte dans mon cœur ».
Est-ce qu’il y avait de l’argent dans le rugby ? Et est-ce que ce sport permettait une « ascension sociale » ?
En ce qui concerne l’argent, il n’y en avait pas ; ni primes ni salaires. Seuls les frais d’essence des rares joueurs qui venaient de l’extérieur étaient remboursés. Après les matchs, on allait même se doucher dans les vignes ou les bains publics ! On peut effectivement parler d’ascension car le rugby était un tremplin si l’on était en difficulté. La chambre syndicale pouvait trouver du travail dans les usines ou l’administration aux joueurs qui n’en avaient pas vu que c’était eux les patrons. De plus, si l’on avait un fonds de commerce, la visibilité que nous amenait le rugby nous permettait d’augmenter les ventes. Cela a été mon cas lorsque je disposais de ma station essence.
En ayant 7 ans au début de la Seconde Guerre mondiale et ayant participé à la guerre d’Algérie, avez-vous vu des changements du rugby sous les guerres ?
Dans le courant de l’année 1956, j’ai été appelé pour aller combattre en Algérie avec six autres Graulhétois. Nous jouions tous les sept dans l’équipe première de Graulhet. La guerre a donc un impact car elle fait baisser les effectifs de joueurs. Lors de la Seconde Guerre mondiale, pour être honnête, je ne me souviens pas comment le rugby a été touché surtout qu’à la base, je ne fréquentais pas ce milieu. Néanmoins, je sais que l’équipe de Graulhet a persisté sans être au plus haut-niveau. Mais elle a tout de même était championne de France au niveau Excellence au courant de la saison 1947/1948.
Nous remercions chaleureusement Joseph Planés de nous avoir reçus chez lui pour nous raconter son rapport au rugby et sa vision vis-à-vis de l’évolution du rugby.