Peut-on parler d’un héritage léonardien en France ?

Peut-on parler d’un héritage léonardien

en France ?

À la mort de son protecteur, Julien de Médicis, le 17 mars 1516, Léonard de Vinci entreprend un long voyage pour rejoindre la cour du roi France, à la suite de la requête de François Ier et sa mère. Le peintre arrive en France au cours de l’automne 1516 et emmène avec lui son bagage culturel et technique, ainsi que ses deux assistants. Le passage de Léonard de Vinci est bref, seulement 3 ans car il meurt à Amboise en 1519. Pourtant son passage a marqué l’histoire alors, peut-on parler d’un héritage léonardien en France ?

Au sein de la cour du roi de France, Léonard de Vinci va avoir une place particulièrement importante. Il reçoit le titre de “premier peintre, ingénieur et architecte du roi” ce qui le hisse assez haut dans la hiérarchie de cette cour, et son influence s’entend probablement au-delà de la simple sphère artistique. Pourquoi ce peintre de la Renaissance italienne retient-t-il autant l’attention du roi de France ? Déjà le contexte de l’arrivée de De Vinci à la cour de France est important à aborder. En effet, nous sommes au début du règne de François Ier, moment où il cherche à asseoir son pouvoir et se construire une cour royale influente. Les guerres d’Italie auxquelles il a participé, lui ont montré comment les Italiens utilisent les arts pour légitimer et renforcer leurs pouvoirs et leur sphère d’influence.  C’est dans cette optique que François Ier va façonner sa cour royale, artistique et savante. Il va la construire en grande partie autour d’un homme, Léonard de Vinci, dont le prestige et la renommée sont déjà conséquents. De Vinci n’est pas le seul artiste italien à rejoindre la cour de François Ier. En 1518, le peintre florentin, Andrea Del Sarto ainsi que son élève, sont entrés au service de François Ier. C’est également le cas de l’architecte et sculpteur florentin, Girolamo Della Robbia, en 1527.

Dans la cour du roi François 1er, Léonard De Vinci a pour rôle d’organiser des fêtes et des banquets.  Le 3 mai 1517 par exemple, De Vinci s’occupe d’organiser la fête de baptême du dauphin Henri, fils de François Ier. A cette occasion, l’artiste crée des maquettes, des costumes et même un arc de triomphe. Quinze jours plus tard, ce dernier est chargé d’organiser une fête en l’honneur de la victoire de 1515 à Marignan. Avec sa science des mécanismes, il va éblouir la foule, notamment avec la création d’un canon qui envoie des ballons sur les invités.

Photo par Erik Möller, Le chevalier mécanique,
Léonard de Vinci.  Humain, inventeur,
exposition de génie, Berlin 2005

 Des spectacles mettant en scène des automates avec des mécanismes complexes de chevalier sont également mis en place par de Vinci pour reproduire la bataille de Marignan.

Nous pouvons également prendre en exemple le lion mécanique qui a pour rôle de divertir et impressionné les contemporains de François 1er.

Cet automate est pour l’époque de François Ier, une invention tout à fait innovante, en effet il peut se déplacer seul grâce à un mécanisme à ressort, et son poitrail peut s’ouvrir seul, laissant apparaître des fleurs de Lys, symbole de la royauté française. La machine en question a été perdue mais une réplique faite par Renato Boaretto à partir des plans laissés par Léonard de Vinci existe et est toujours visible au Clos Lucé d’Amboise. 

L’artiste est connu pour ses talents de peintre mais aussi ses talents d’architecte. En France, on suppose qu’il a participé à l’élaboration du château de Chambord

Léonard de Vinci n’a pas conçu intégralement de bâtiment en France. Cependant, on peut noter sa participation à quelques projets d’architecture dont celui du château de Chambord. Lorsque François 1er annonce la volonté de réaliser un château, il fait appel à plusieurs architectes, dont Léonard de Vinci. On suppose qu’il a fortement influencé la conception de l’édifice, ce qui peut expliquer la présence du plan centré en croix grecque. Léonard De Vinci tentent d’équilibrer les différentes parties de l’édifice qui sont toutes rattachées au corps du bâtiment central. Ce plan vient probablement de Léonard car nous avons retrouvé de nombreuses fois ce type de structure dans ces croquis.

Étude pour un escalier à quadruples révolutions,  Léonard de Vinci, folio 47r du manuscrit B2173, vers 1487-1490  Bibliothèque de l'Institut de France, Paris
Étude pour un escalier à quadruples révolutions, 
Léonard de Vinci, folio 47r du manuscrit B2173, vers 1487-1490 
Bibliothèque de l’Institut de France, Paris

Léonard va aussi se pencher sur la résolution des problèmes techniques, ses talents  d’ingénieurs vont être mis à contribution dans le renforcement de structures et la construction de voûtes.

Dans la partie centrale du château nous trouvons un escalier à double hélice qui organise le plan centré. Ici aussi, on attribue cet œuvre à Léonard de Vinci par la présence de beaucoup d’escalier à double voir quatre entrées dans ces croquis.

On sait avec plus de certitude que Léonard de Vinci va être chargé de projet plus ambitieux tel que  l’élaboration d’un plan de la ville de Romorantin.

Dans ce projet de grande envergure, il est responsable de la conception du palais et du jardin de la ville de Romorantin. Ce projet est une idée de François Ier et de sa mère, l’objectif est de créer une “cité idéale” pour à terme accueillir la cour du roi. Léonard De Vinci va être chargé de la réhabilitation et de l’embellissement de la ville. Pour cela, il va commencer par élaborer des croquis pour définir les plans de la ville inspirés des castrum romains avec une architecture géométrique.

Etudes architecturales pour Romorantin, Palais, Place, maisons et cathédrale, Léonard de Vinci, folio 806r du Codex Atlanticus,
vers 1517-1518, Biblioteca Ambrosiana, Milan

 Il va notamment réaliser d’autres dessins pour réaliser le palais ainsi que des écuries royales. 

La ville est traversée par la Loire. Il va se donner comme objectif de faire dériver le fleuve afin de créer un canal marchand. En outre, il prévoyait de déplacer des habitants de Villefranche, une ville située à côté car cette dernière aurait été inondée à cause de son projet. D’après le témoignage d’une esquisse d’un plan d’une vanne mobile, une fois le fleuve dérivé, le lit du fleuve sera nettoyé pour une image plus soignée de la ville. 

Léonard de Vinci va donc concevoir cette ville sur une idée d’un environnement propre, sain et dynamique. Cette conception architecturale devait être sa ville idéale même dans les moindre détailles. Cependant le projet n’a jamais vu le jour. Léonard de Vinci à donc élaborer à un plan d’une ville idéale pour François Ier.  

La présence de tableaux du peintre en France montre qu’il y a de toute évidence un héritage matériel du peintre. Les rois de France ont acheté un grand nombre de ces tableaux et cela a contribué à la diffusion générale de ses œuvres et à faire perdurer ces œuvres dans le temps. 

Saint Jean-Baptiste,
Léonard De Vinci, 1513-1516
Huile sur Bois, 69 × 57 cm,
Musée du Louvres, Paris

Dont la Joconde, qui a été achetée par François 1er un ans avant la mort de De Vinci, pour quatre mille écus d’or, il a probablement également acheté la Sainte Anne, la Vierge et l’Enfant Jésus jouant avec un agneau aux sœurs de Léonard qui ont été légué par Francesco Melzi, François 1er a également acquis le tableau de Saint Jean-Baptiste/ Bacchus mais la date et la façon d’acquisition ne sont pas connues.

Pour le tableau de la Vierge aux rochers, on ne sais pas exactement comment il a pu être obtenu, deux hypothèses subsistent, la première est que le tableau est venu en France à l’occasion d’un mariage entre les Valois et les Habsbourg ou en 1530 lors de l’union de François 1er avec Eléonore d’Autriche. Mais aucun document ne peut démontrer cela, on sait seulement avec certitude que certaines œuvres de Léonard De Vinci ont été utilisées par la France comme cadeau à des fins diplomatiques .  

Le passage de Léonard De Vinci à la postérité a été très rapide, déjà quelques décennies après sa mort, on voit transparaître dans les écrits qui parle de lui, une image idéalisée qui renforce encore l’image de “génie” qu’on lui prête déjà de son vivant. 

On retient sur le portrait dresser par le peintre et écrivain Giorgio Vasari qui romance la relation de Léonard de Vinci et François Ier en décrivant la mort du peintre dans les bras de son mécène, il écrit : « Le roi se dressa, lui prit la tête pour le soutenir et lui manifester sa tendresse en soulageant sa souffrance. Comprenant qu’il ne pouvait recevoir plus grand honneur, cet être d’essence divine expira entre les bras du roi, à l’âge de 75 ans ».

La mort de Léonard de Vinci par Jean-Auguste-Dominique   Ingres (1818) 40×50,5×8,5cm  Musée des beaux-arts de la ville de Paris
La mort de Léonard de Vinci par Jean-Auguste-Dominique  
Ingres (1818) 40×50,5×8,5cm 
Musée des beaux-arts de la ville de Paris

On sait que cette scène sort de l’imaginaire de Vasari, en effet François Ier n’est pas présent lors de la mort de Léonard qui a eu lieu le 2 mai 1519, le roi est à Saint Germain en Laye pour la naissance de son second fils.

Cependant la scène décrite par Vasari va continuer à se diffuser et à rentrer dans l’imaginaire collectif, au XIXe siècle par exemple le peintre Ingres va reprendre cette description pour peindre le tableau intitulé La mort de Léonard de Vinci en 1818. 

Le passage de Léonard De Vinci à la postérité est aussi passé par des événements marquants impliquant des œuvres du peintre, tel que le vol de la plus célèbre de ses peintures.

C’est lors d’une nuit d’août 1911, que le tableau de la Joconde, le célèbre tableau de Léonard de Vinci, a été volé. Le premier suspect est le poète Guillaume Apollinaire, car celui-ci a déjà été coupable de vol de statuette qui a été revendu à Picasso. Mais le tableau reste introuvable.

Pendant deux ans, les journaux émettent de nombreuses hypothèses sur la disparition du tableau, ces nombreuses hypothèses permettent de populariser le tableau, jusqu’au jour où la revue l’Illustration décide de donner cinquante mille francs à quiconque rapporte le portrait fait par Léonard De Vinci. C’est ainsi que Gabriele D’Annunzio, écrivain italien, dit savoir où celui-ci se trouve. Il n’est cependant pas pris au sérieux malgré son mobile…

Le véritable voleur est Vincenzo Perugia, qui travaille au Louvre. Il a conservé le tableau durant deux ans dans sa chambre parisienne, jusqu’au jour où il a tenté de le vendre à un antiquaire florentin, Alfredo Geri. Le 11 décembre 1913, celui-ci examine le tableau accompagné de Giovanni Poggi, le directeur du musée des Offices.

« La Joconde est retrouvée », Le petit Parisien, no 13559, 13 décembre 1913.

C’est ainsi que les deux hommes décidèrent de prévenir la police.

Le 13 décembre 1913, le New-York Times publie la première déposition du voleur dans laquelle il justifie son acte comme un acte de patriotisme et fait que le tableau doit être en Italie et non en France.Le juge ne le condamne qu’à seulement un an et demi de prison. En Italie, Vincenzo Perugia est reconnu comme un patriote voir même pour certain comme un héro. Le tableau retrouve sa place au Louvre le 4 janvier 1914, après avoir été exposé quelque temps à Florence. Il ne reste cependant pas longtemps au Louvre puisque l’été suivant éclate la Grande Guerre, durant laquelle la Joconde, comme d’autres pièces du musée, sont placées dans des lieux tenus secrets à Bordeaux puis Toulouse.

La postérité de Léonard De Vinci passe également par son inscription dans la pop-culture. Dans l’imaginaire collectif, la première image de Léonard De Vinci est celle d’un peintre, avec la célèbre Joconde. On en garde même une image parfois mystifiée avec la suspicion par certains de la présence du nombre d’or dans certaines de ces œuvres.

Colored Mona Lisa, Andy Warhol, 1963, Acrylique sur toile, 208,6 × 319,7 cm, 
lieu de conservation inconnu

La création de son mythe lors de son passage à la postérité ainsi que l’entretien de celui-ci dans le temps, vont placer Léonard De Vinci au rang de personnage historique qui s’intègre à l’histoire culturelle mondiale. Il est l’un des seuls artistes de la Renaissance à s’être aussi bien implanté dans notre pop-culture, son personnage est connu et apprécié par un large public.

On  le retrouve des romans tel que  le Da Vinci Code écrit par Dan Brown en 2003, l’adaptation de ce livre en film portant le même nom est d’ailleurs plus largement connu que le roman, celui-ci a été réalisé par Ron Howard en 2006. Cé type d’œuvre entretient un certain mystère autour de l’artiste. Ces peintures ont été largement diffusées et sont souvent reprises ou détournées par d’autres artistes. Le plus connu étant probablement la figure iconique du pop-art, Andy Warhol qui reprend et offre une nouvelle représentation de la Joconde, en 1963. On retrouve également Léonard De Vinci et ses œuvres dans des nouvelles formes d’art, dans le monde du jeu vidéo par exemple où on peut citer la présence de son personnage dans le deuxième opus de la licence Assassin’s Creed. 

Comme nous avons pu le voir, la question de l’héritage que laisse Léonard De Vinci en France est tout aussi vaste que complexe. Par les différents exemples évoqués et traités ici, et à la connaissance de l’œuvre de Léonard en France, nous pouvons nous visualiser cet héritage. Il est tantôt matériel bien qu’incomplet car le plus clair des œuvres de De Vinci que l’on trouve aujourd’hui dans les musées français nous proviennent de l’Italie, mais aussi immatériel. En effet, la venue de Léonard De Vinci en France est en elle-même déjà un puissant héritage. Sur le plan symbolique, la France apparaît comme un des centres de la Renaissance, et une place de choix pour les artistes désireux de trouver de nouveaux mécènes à l’époque.

En venant en France Léonard De Vinci associe ainsi sa gloire et son prestige à la couronne française, et le seul fait de nous demander si il a laissé un héritage ici, dans notre pays, nous pousse à conclure que l’impact de Léonard De Vinci en France est quelque part intemporel.

Auteurs de l’article de blog: MAZEL Clément (L1), CARTAILLAC Florian (L1), PRIEUR DE LA COMBLE Valentin (L1), VALAT Lilie (L1), NOWAK Sarah ( L2)