Le XVIIIe siècle est avant tout le siècle des Lumières et de la Révolution française (1789-1799). C’est une période de bouleversements des cadres de la société d’Ancien régime régie par une volonté d’égalité. Pour autant, une partie de la population reste tout de même mise à l’écart et ne profite pas des droits offerts par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Ces personnes sont les individus atteints de folie, c’est-à-dire de troubles mentaux, que l’on appelle les « fous ». Les fous, ou encore les « aliénés », ont toujours été perçus comme des êtres à part. Bien souvent victimes de percussions et de toutes sortes de brutalités, leur état les rendait différents du commun des mortels. On ne peut les changer, ils ne sont pas considérés comme des Hommes et ne peuvent bénéficier des mêmes droits. C’est dans ce contexte qu’un certain Philippe Pinel, un médecin Tarnais né à Joncquières le 20 avril 1745 et mort en 1826 à Paris, a fait basculer cette vision. Par ses travaux, il a su ouvrir un nouveau regard sur les fous et améliorer leur condition en faisant naître une nouvelle discipline médicale visant au traitement des maladies mentales : la psychiatrie.
Des débuts difficiles
Ce n’est que tardivement, à la cinquantaine, que Philippe Pinel se spécialise dans le traitement des maladies mentales et devient aliéniste. Après avoir terminé ses études dans le sud, âgé de 33 ans, il décide de partir pour Paris dans l’espoir de se perfectionner en médecine et d’y mener sa carrière. Mais il peine à réussir et se détourne progressivement des études pour se consacrer aux idées de la Révolution Française en s’opposant à la Terreur.
Les premières observations dans la Maison de Belhomme
Malgré des premiers pas difficiles dans la capitale, c’est lors de cette période que Pinel acquiert ses premières expériences avec des malades mentaux. En 1786, il arrive dans la Maison de santé de Belhomme, un pensionnat accueillant des personnes démentes en échange d’un loyer. Mais il n’avait pas la liberté de pratiquer tous les soins nécessaires sur ses patients puisque le gérant de l’établissement voulait les garder le plus longtemps possible afin de gagner plus d’argent. Pinel est contraint de partir de la Maison de Belhomme puisqu’en 1793, il se fait nommer médecin-chef de l’hôpital de Bicêtre.
Le « libérateur des enchaînés »
En 1793, Pinel est promut médecin-chef de l’hôpital de Bicêtre et en 1795, de la Salpêtrière. C’est là qu’il commence véritablement sa carrière d’aliéniste et connaît un des moments phares de son histoire : la libération des enchaînés. Les aliénés étaient souvent enchaînés dans les hôpitaux, et Pinel aurait ordonné d’arrêter cette pratique. Or, il n’a fait que continuer le travail de Jean-Baptiste Pussin, un employé de Bicêtre. Dans ces deux établissement, où les conditions des malades sont effroyables, Pinel souhaite changer les traitements vers des pratiques moins brutales. C’est en voyant faire Pussin appliquer des méthodes plus humaines qu’il constate que cela améliore l’état des fous, et finalement qu’ils sont des êtres raisonnables et sensibles.
La défense d’une thérapie plus humaine
Un des premiers grands travaux de Philippe Pinel est sa Nosographie Philosophique publié en 1789 où il classe les maladies mentales. Celui-ci va ouvrir la voie sur son œuvre majeure Le Traité Médico Philosophique sur l’aliénation mentale, ou la manie. C’est dans cet ouvrage, paru en 1800, qu’il expose son concept d’aliénation mentale, c’est-à-dire l’origine des troubles mentaux. Ce qui est novateur, c’est que Pinel part du principe que l’aliéné est un homme malade que l’on peut soigner et que son état n’est pas condamné. Pour soigner celui-ci, il préconise le traitement moral. Pour lui, ce n’est pas en infligeant des traitements brutaux comme les saignées ou l’administration de drogue que l’on arrive à une guérison des malades. Il faut faire preuve de bienveillance, d’humanité et de patience pour y parvenir. Chose qu’il revendique dans son Traité :
« Les aliénés, loin d’être des coupables qu’il faut punir, sont des malades, dont l’état pénible mérite tous les égards dus à l’humanité souffrante et dont on doit chercher, par les moyens les plus simples, à rétablir la raison égarée.” Philippe Pinel.
Le Traité a suscité de nombreuses réactions après sa parution. Certains jugent ses théories trop confuses et lui reprochent même de négliger les saignées. Cependant, d’autres aliénistes admirent ses travaux, mais aussi des philosophes comme l’allemand Georg Wilhelm Hegel, pour qui Pinel constitue une rupture avec son temps.
Les idées pinelliènes instigatrices d’un mouvement en faveur des aliénés
Pour autant, les idées de Pinel n’ont pas permis de changer la situation des malades de son vivant. Mais au XIXe siècle, grâce à une prise de conscience générale sur l’état des fous, on assiste à de réelles mesures visant à l’amélioration de leur condition grâce aux travaux des pionniers sur la folie comme Philippe Pinel. C’est Jean-Etienne Esquirol, élève de Pinel, qui reprend son idée en la développant, et qui crée l’asile. En 1838, une loi est votée obligeant chaque département à se munir d’un établissement de santé spécifique dans l’accueil et dans le traitement des malades mentaux afin de les protéger, mais aussi pour qu’ils ne présentent pas de danger pour eux-mêmes et la société.
Du geste libérateur à nos jours
Philippe Pinel fut un des premiers aliénistes dont le travail a permis une prise de conscience sur la condition des malades mentaux au XIXe siècle. C’est en cela qu’il est l’un des pères de la psychiatrie. Il a su ouvrir la voie sur cet objet d’étude qu’est la folie. Pour autant, c’est un personnage dont le travail reste malgré tout méconnu. On lui attribue essentiellement d’avoir libéré les aliénés de leurs chaînes, comme on le voit souvent dans les représentations tel que la statue érigée en sa mémoire devant la Salpêtrière. Ce mythe a résisté d’autant mieux que l’œuvre réelle de Pinel, le traitement moral, devient de plus en plus oubliée. Aux yeux de Pinel, désenchaîner les malades n’était pas un événement notable. Bien qu’il n’était pas seul dans cette entreprise, il faut retenir qu’il a réussit à changer le regard sur les malades mentaux en les traitant plus humainement et en les considérant comme des Hommes.
Etudiantes : Pauline Minatchy (L2), Mathilde Aygalenq (L1)