Il y a, dans de nombreuses villes de France, une rue, une place, une école qui portent son nom. Depuis 1992, son patronyme est utilisé pour nommer une fondation d’utilité publique. Puis, plus récemment, en 2014, cet homme devient bien connu des étudiants toulousains, puisqu’il donne son nom à leur université. De fait, Jean Jaurès est connu, indirectement, de tous. Souvent étudié, décrit comme le garant d’un système et d’une idéologie politique spécifique, Jean Jaurès est un personnage historique admiré. Un personnage que nous avons voulu analyser sous le prisme d’un élément essentiel dans une démocratie : les médias et plus généralement l’information. Ici, le média majoritaire, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, est la presse. Il est alors intéressant de considérer l’utilisation de Jean Jaurès, mais aussi sa perception dans la presse.
Si, pour beaucoup, Jean Jaurès apparaît comme un simple politicien du vingtième siècle, il faut insister sur son engagement politique et son combat pour la presse. Et pourtant, l’avenir de Jean Jaurès dessiné par ses parents, Jules et Marie Adélaïde Jaurès, était tout autre. Ils pensaient faire de lui un administrateur des postes à Castres, sa ville natale. Un jour de mai 1876, le jeune Jaurès de 17 ans fait un discours dans la cour du lycée, qui fascine l’inspecteur général du Tarn, Félix Deltour. Il lui permet d’obtenir une bourse et Jean Jaurès part à Paris à l’Ecole Normale Supérieure où il étudie la philosophie. En 1881, il obtient l’agrégation de philosophie et enseigne à Albi. Il devient ensuite maître de conférence à la faculté de lettres de l’université de Toulouse, où il rencontre de nombreux socialistes. Jean Jaurès rentre en politique pour faire valoir ses idées. Sans cesse, il combat le nationalisme et agit pour l’égalité.
Ce combat se traduit par des engagements publics. Comme on peut le voir sur cette image, c’est le cas à Carmaux, à environ 13 km d’Albi, ville ouvrière important au XIXe siècle. Dès 1892, Jean Jaurès soutient la grande grève des mines de Carmaux, dans laquelle les miniers et les ouvriers demandent de meilleurs conditions de vie et de travail. Jaurès écrit de nombreux articles dans la Dépêche pour les soutenir et permet à cette grève d’être visible. Par la presse, Jaurès devient ainsi une figure du mouvement socialiste. Mais ce n’est pas seulement ces événements qui marquent le passage de Jean Jaurès au cœur de la vie politique.
En effet, en 1898, Jean Jaurès prend part à l’affaire Dreyfus. Les intellectuels français de la fin du XIXe siècle se saisissent de cette affaire emblématique d’espionnage dans l’armée française. Ils utilisent la scène politique et la presse pour dénoncer ou réhabiliter Alfred Dreyfus, capitaine de confession juive accusé de livrer des secrets militaires à l’Allemagne. De nombreuses personnalités intellectuelles et politiques s’engagent pour remettre en cause la supposée trahison d’Alfred Dreyfus. C’est le cas d’Emile Zola, rédacteur de l’article “J’accuse”, publié dans L’Aurore le 13 janvier 1898, mais aussi de Jean Jaurès qui devient “dreyfusard” en 1897. Ils dénoncent les incohérences des accusations et procès faits à Alfred Dreyfus. Jean Jaurès rédige de nombreux articles dans le journal La Petite République en 1898. De plus, il essaie de mobiliser les socialistes afin d’innocenter Alfred Dreyfus. Puis, il rédige le livre Les Preuves, publié le 28 septembre 1898 dont vous pouvez voir ci-contre la première page, livre dans lequel il révèle les preuves de l’innocence d’Alfred Dreyfus et dénonce l’antisémitisme de l’armée française.
Ces prises de position dans la presse vont de paire avec l’engagement politique de Jean Jaurès. Se retrouvant d’abord dans la ligne politique de Jules Ferry, il s’en éloigne rapidement et se range parmi les « socialistes indépendants ». Il est député du Tarn à trois reprises (1885-1889, 1893-1898, 1902-1914). Dans sa formation politique, il cherche à unifier un mouvement socialiste naissant encore très disparate. La première étape est marquée par la création du Parti socialiste français (1902). La seconde est la fondation de la Section française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) en 1905. La SFIO est la première tentative d’unification des socialistes de France en un seul parti. Bien qu’il ne dirige pas la SFIO lui-même, Jean Jaurès en est la figure de proue, et son point de vue et ses écrits font généralement autorité. Il fait également de L’Humanité le journal officiel du parti, en 1911.
La SFIO est la première unification des socialistes de France en un seul parti, rassemblant des réformistes, menés par Jean Jaurès, aux révolutionnaires, incarnés par Jules Guesde. le premier logo de la SFIO utilise comme symbole un drapeau rouge frappé des lettres « PS » (parti socialiste). Mais l’emblème généralement associé à la SFIO est celui adopté au cours des années 30. On y voit trois flèches noires sur un fond rouge, entourées d’un cercle et entrecoupées par les initiales du parti.
Tout au long de son parcours, l’ascension de Jean Jaurès est accompagné d’articles engagés dans la presse, pour laquelle il écrit constamment des articles engagés servant sa politique. Jaurès commence sa carrière de journaliste dans La Dépêche de Toulouse le 15 janvier 1888, où il expose l’importance de l’école aux jeunes citoyens. Il collabore avec ce journal jusqu’à sa mort en 1914. Jean Jaurès renforce rapidement ses liens avec la presse qui lui permet d’exprimer ses opinions politiques. La presse est à cette époque un canal de diffusion qui prend de l’ampleur, grâce aux progrès d’alphabétisation, notamment liés aux lois Ferry de 1881 et 1882. Cela permet à Jean Jaurès de transmettre ses idées et valeurs politiques dans le sud-ouest de la France, dans un premier temps, puis à l’échelle nationale. Le 16 juin 1889, il publie par exemple un article, “Laïcité”, dans la Dépêche de Toulouse. Il y relate l’importance de cette notion et appelle à la séparation de l’Église et de l’État.
Fort de sa place dans la presse, Jaurès décide de créer son propre journal : le 18 avril 1904, l’hebdomadaire L’Humanité devient le journal de Jaurès mais aussi du parti socialiste qui sera tiré aux alentours de 130 000 exemplaires.
Grâce à son engagement Jean Jaurès est devenu une figure importante dans la société française. Ses prises de position socialiste et sa volonté de ne pas voir la France entrer dans la guerre en 1914 provoque de fortes tensions. Le 31 juillet 1914, il est assassiné. Après la Première Guerre mondiale, l’entrée de sa dépouille au Panthéon divise : elle montre à la fois les avancées des idées socialistes en France mais également les oppositions à ce mouvement politique. Le 23 novembre 1924, Jean Jaurès entre au Panthéon : cet événement attise les tensions entre les partis politiques. Il est largement médiatisé par des journaux locaux et nationaux. De même, une retransmission en direct à la radio est organisée.
Le 31 juillet 1914, Jean Jaurès était attablé au café Le Croissant dans le quartier de Montmartre avec ses collègues de L‘Humanité. Il est assassiné de deux balles dans la tête par Raoul Vilain qui considère Jaurès comme un obstacle à l’unité du pays dans la première guerre mondiale, Jaurèsétant résolument pacifiste et s’opposant au ralliement de son parti à la décision de prendre les armes. Sa mort fut un choc pour tout le pays, elle réunit une grande foule lors de ses funérailles à la veille de la Première Guerre mondiale. Pourtant, son assassin sera relâché dans un contexte de nationalisme fort. Rapidement après la première guerre mondiale la question de son entrée au Panthéon fait débat.
Si Jean Jaurès est certes une figure du socialisme français du début du XXe siècle, sa mémoire est pourtant célébrée de manière très large en France au XXe siècle, jusqu’à aujourd’hui. Par exemple, le fait que François Mitterrand décide de mettre une rose sur la tombe de Jean Jaurès, en mai 1981, n’est pas anecdotique, ce geste permet de commémorer l’action de Jaurès tout en inscrivant Mitterand dans sa continuité. On observe aussi une opposition entre la gauche et la droite autour de la mémoire de Jean Jaurès.
Entre les fondations de la IIIe République et l’essor de la presse, Jean Jaurès s’inscrit dansune période de construction politique. Ses talents d’orateur sont reconnus, de même que ses engagements locaux et ses talents d’écriture. Ainsi, la presse a été vecteur de sa légitimation à l’échelle nationale. Après sa mort, à la veille de la Première Guerre mondiale, les médias de tous bords le reconnaissent volontiers comme le père fondateur du socialisme en France. L’image d’un militant pacifiste et humaniste est toujours présente dans la France du XXIe siècle. Aujourd’hui, mêmes certains élus politiques d’extrême droite se disent les successeurs de ses idées.
Pour aller plus loin :
- AVNER B.A., « La panthéonisation de Jean Jaurès », Terrain, octobre 1990, disponible sur : https://doi.org/10.4000/terrain.2983
- BESSE DESMOULIERES R., CANDAR G., « Il n’est pas si facile de récupérer l’héritage de Jean Jaurès », Le Monde, 30 juillet 2014, disponible sur : https://www.lemonde.fr/politique/article/2014/07/30/il-n-est-pas-si-facile-de-recuperer-l-heritage-de-jean-jaures_4464495_823448.html
- CANDAR G., DUCLERT V., Jean Jaurès, Paris, Fayard, 2014, 688 p.
- CAZALS R., Jean Jaurès. Combat pour l’humanité., Portet-sur-Garonne, Edition Midi-Pyrénéennes, 2017, 320 p.
- DUCANGE J., KEUCHEYAN R., ROZA S., Histoire globale des socialismes XIXe-XXe siècles, Paris, Presses Universitaires Françaises, 2021, 1152 p.
- DUCLERT V., Jean Jaurès, la politique et la légende, Paris, Autrement, 2013, 283 p.
- DROUIN M. (dir), L’affaire Dreyfus, Paris, Flammarion, 2006, 766 p.
- JEANNENEY J-N., Une histoire des médias. Des origines à nos jours., Paris, Point, 2015, 464 p.
- LAURENTIN E., « Notre but, L’Humanité, 18 avril 1904 », C’était à la une, France Culture, 24 novembre 2017, 4 minutes, disponible sur : https://www.franceculture.fr/emissions/cetait-a-la-une/notre-lhumanite-18-avril-1904
- RIOUX J-P., Jean Jaurès, Paris, Tempus, 2003, 326 p.
Combes Mathilde (L2), Fulachier Manon (L2), Dal Compare Marie-Lou (L1), El M’Ghari Walid (L1), Marcato Aurore (L1), Vives Thomas (L1).