Victor de l’Aveyron [2021]

Il se trouverait dans ce siècle d’observation quelqu’un qui, recueillant avec soin l’histoire d’un être aussi étonnant, déterminerait ce qu’il est, et déduirait de ce qu’il lui manque, la somme jusqu’à présent incalculée des connaissances et des idées que l’homme doit à son éducation.”

Du livre Victor l’enfant sauvage de Jean-Marc Itard.

Source : Victor l’enfant sauvage de l’Aveyron, statue en bronze de Rémi Coudrain, 1987, place principale du village de Saint-Sernin (Département de l’Aveyron) 

Pour débuter, Victor est un enfant sauvage qui a été aperçu et capturé pour la première fois à Lacaune, dans le Tarn, en 1797 d’où il s’enfuit rapidement. Durant l’été 1799, il est recherché, attrapé puis exhibé. L’enfant étant craintif, il parvient à s’enfuir. Le 8 janvier 1800, il se rend, de lui-même, chez un teinturier qui prévient les autorités et le 10 janvier 1800, il est transféré à l’hospice civil de Saint-Afrique pour y être éduqué. En effet, l’enfant ne respecte aucun des codes sociaux : il mord, il ne veut pas porter de vêtements ; il fait ses besoins n’importe où.

Pourquoi un tel engouement autour de Victor ?

Victor suscite à la fois l’attention de la population et de la presse, mais aussi celle des scientifiques de l’époque. La période dans laquelle il s’inscrit est marquée par les Lumières. Victor est extérieur à la société et s’apparente donc à ce que Rousseau qualifie : “d’homme à l’état zéro”, dans Discours sur l’origine. De ce fait, il pourrait permettre de répondre aux interrogations humanistes de l’époque concernant la nature humaine et le rôle de la société sur les comportements humains. À cela s’ajoute le fait que la société soit marquée par « l’optimisme anthropologique », c’est-à-dire l’idée que l’homme est un être perfectible et donc qu’un progrès est toujours envisageable. Ainsi, les esprits sont persuadés que l’éducation de Victor est possible et sera rapide. De plus, les Lumières sont caractérisées par l’insistance des savants sur l’emploi d’une méthode rigoureuse dans laquelle chaque idée doit être prouvée. Victor semble donc à la fois être la source des réponses et le moyen de les démontrer.

Victor de l’Aveyron, soumis à de nombreuses observations 

  •  Les observations de Pierre-Joseph Bonnaterre.

À l’hospice de St-Affrique, l’Abbé Bonnaterre, naturaliste et spécialiste des sciences de la vie, décide de prendre en charge son éducation. Le spécialiste commence son étude sur Victor par un examen clinique : Victor mesure à cette époque 136 cm et il le décrit comme étant voûté. L’abbé fait état de nombreuses cicatrices causées par des brûlures : quatre cicatrices situées sur le visage de Victor et une grande cicatrice probablement causée par un objet tranchant.

Bonnaterre teste, ensuite, Victor sur la nourriture : le seul aliment que Victor semble apprécier sont les pommes de terre qu’il jetait au feu pour les faire cuire. L’abbé a essayé de lui faire boire du vin, mais Victor l’a directement recraché. Victor aimait seulement boire du lait et de l’eau.

Pour le naturaliste, Victor de l’Aveyron n’a pas vécu dans un état sauvage total. Il aurait été aidé par des tierces personnes. Son rapport n’étant pas concluant, il laisse Victor à Rodez.

  • Les observations du docteur Pinel.

Le ministre de l’Intérieur, Lucien Bonaparte, a été mis au courant du cas de Victor. Il exige le rapatriement de l’enfant à Paris qui est confié au Docteur Pinel, psychothérapeute. D’après ses premières constatations, Victor serait sourd, mais pas muet, car il observe que Victor sait prononcer le son “O”. Le docteur teste aussi l’odorat de l’enfant. Il lui fait tout d’abord sentir des excréments, mais Victor n’a pas semblé être dérangé par l’odeur nauséabonde. Puis le docteur Pinel lui fait sentir une bouteille de parfum et Victor a un mouvement de recul avec une expression de dégoût sur son visage. Pinel en a conclu que l’enfant avait pu s’accoutumer aux odeurs les plus nauséabondes qui sont très fréquentes dans les forêts. Après plusieurs essais d’éducation sur Victor, le rapport conclut à une impasse. Pinel pose alors un diagnostic : l’enfant sauvage est un cas d’idiotie. Pour lui, l’enfant n’est pas devenu idiot, mais il était idiot de naissance.

Les méthodes employées sont donc de véritables échecs, et face à cela certains individus comme Pinel tentent de se racheter une crédibilité en montrant que Victor est idiot.

« N’expérimentons pas à partir de nos propres comportements ». François Dagognet dans la préface du livre Victor de l’Aveyron  du docteur Jean-Marc Itard.

Itard , Jean E. M. Gaspard, gravure, auteur inconnu. Collection BIU Santé Médecine

Le docteur Itard est l’un des médecins qui travaillent à l’institut impérial des sourds et muets à Paris. Sensibilisé au cas de Victor par une conférence du Docteur Pinel, Jean-Marc Gaspard Itard décide de se pencher sur le cas de Victor de l’Aveyron. Il voit en Victor un enfant qu’on peut et doit socialiser et éduquer. Il se place, donc, en opposition avec ses prédécesseurs, puisque pour lui, Victor n’est pas fou ou idiot. L’éducation que le docteur Itard va donner à Victor est novatrice. Novatrice, dans le sens où elle ne se base sur aucun jugement, sur aucun acquis que l’enfant aurait pu ou dû acquérir avec une éducation dispensée par des parents, un instituteur, etc. Novatrice, aussi, car elle bouscule les sciences humaines.

Pour l’éduquer, il se donne cinq objectifs à réaliser ou à travailler avec Victor.

♦  Il faut aménager un bon environnement de vie pour Victor, en trouvant un consensus entre le traitement médical et le soutien pédagogique.

♦  Il faut réveiller la sensibilité nerveuse de Victor par des stimulants énergétiques. Le docteur Itard n’hésitera pas à provoquer la colère et la joie de l’enfant sauvage.

♦  Le docteur souhaite multiplier les interactions de Victor avec le monde extérieur. L’enfant sauvage va côtoyer une enfant de son âge, une voisine, et des amis du docteur Itard en plus de sa nourrice Madame Guérin.

♦  L’objectif principal reste et restera l’acquisition de la parole. Par des jeux, le docteur Itard souhaite amener Victor à s’exprimer.

♦  Jean-Marc Itard sait que Victor est un enfant impulsif, au caractère animal. C’est pour ça que le docteur Itard souhaite rendre Victor conscient de lui-même. Victor doit se contrôler et être capable de subvenir à ses besoins.

Victor réalise de nombreux progrès qui sont très utiles puisqu’ils permettent de confirmer, réfuter ou créer des théories concernant l’homme et ses comportements. Ces progrès sont à la fois comportementaux, de réceptivité sensorielle et pédagogiques. Sa sensibilité se développe, il arrive à distinguer les mots, même s’ il a du mal à leur accorder un sens. Victor canalise mieux ses émotions et réussit à désigner les objets et leurs utilités. Il exprime ses besoins, comprend des ordres et parvient donc dans une moindre mesure à interagir avec les personnes qui l’entourent. Le jeune garçon semble reconnaissant lorsque l’on s’occupe de lui, même s’il reste indifférent aux aspects de la vie sociale. En revanche, Itard a choisi de limiter les potentiels progrès de Victor en ne lui enseignant pas comment satisfaire ses nouveaux besoins du corps liés à la puberté. En effet, Itard sait que Victor, dont la préoccupation principale est la satisfaction de ses propres désirs, ne possède pas les codes sociaux. Il craint donc qu’ en sachant comment se satisfaire, Victor en vienne à développer des comportements obscènes.

Pourquoi le docteur Itard a arrêté l’éducation de Victor ?

Le docteur Itard arrête l’éducation de Victor en 1806. Selon lui, il faut à Victor une éducation spécialisée qu’il estime ne plus être en mesure de lui donner. Néanmoins, les progrès de Victor, même importants, sont aléatoires, ils régressent facilement et rapidement. Le docteur Itard décide d’arrêter l’éducation de Victor à contrecœur, mais demande à ce que Victor ne soit pas abandonné. Suite à ce semi-échec, apparaissent les limites de l’éducation du docteur Itard. Beaucoup d’apprentissages sont impossibles avec Victor puisqu’il ne dépasse pas, dans son éducation, la sphère du concret ou de l’actuel. Un grand nombre d’intellectuels et de scientifiques ont reproché au docteur Itard d’avoir été trop ambitieux avec Victor, le qualifiant d’anticonformiste. Or, ses travaux d’éducation et leurs limites montrent l’importance de la sociabilité primaire et de l’éducation dans la construction individuelle d’une personne ainsi que de son rapport aux autres. Madame Guérin poursuit l’éducation de Victor. Celui-ci meurt en 1828 à environ 42 ans.

 

Pour aller plus loin :

Itard J., Victor de l’Aveyron, Paris, Alila, 2009, 151 p.

Chappey J.L., Sauvagerie et civilisation. Une histoire politique de Victor de l’Aveyron, Paris, Editions Fayard, 2016, coll. L’épreuve de l’histoire, 266 p.

Jeanne Y., « Jean Marc Gaspard Itard, l’aube de la modernité », dans Reliance, 2007/3 (N °25), pages 129 à 134.

Malson L., Les enfants sauvages, mythe et réalité suivi de Mémoire et rapport sur Victor de l’Aveyron, Paris, 10/18, 2011, 247 p.

Gineste T., Victor de l’Aveyron, dernier enfant sauvage, premier enfant fou, Paris, Hachette, Littératures, 2004 (1993), p. 11 à 154.

Podcast:

Hondelatte. C., “ Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage – Le récit”, Hondelatte raconte, Europe 1, 28/07/2020, 37 minutes. 

Victor de l’Aveyron, l’enfant sauvage – Le récit

Étudiantes :

  • Cyrielle Roques
  • Émilie Teulier
  • Estelle Rous
  • Mathilde Combes