En 2004, l’auteur belge, Roger Fraenkel, publie “L’âne qui commandait les lions” au sujet du Maréchal. Ce titre illustre parfaitement la figure controversée de Joseph Joffre. Celui-ci naît dans une famille aisée le 12 janvier 1852 à Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Joseph Joffre intègre par la suite la prestigieuse Ecole Polytechnique en 1869. Alors âgé de seulement 17 ans, il se destine à une carrière militaire. Au cours de la Grande Guerre, avec toute l’expérience acquise au cours de sa carrière, Joffre est perçu comme le « héros » de la Marne. Mais plus tard, il est frappé d’une controverse : Joffre est critiqué par une partie de l’armée. En effet, sa stratégie de combat d’offensive à outrance lui vaut des critiques par une partie de l’armée et de la population.
Ainsi, comment la figure du Maréchal Joseph Joffre s’est-elle construite et de quelle manière a-t-elle évolué ?
I. La figure du militaire
Le capitaine Joffre reçoit sa mutation pour l’Extrême Orient (Asie orientale) en 1884. C’est le début de son ascension militaire. Cette mutation s’inscrit dans un contexte où la France cherche à s’affirmer par sa puissance coloniale. Il est également chargé de gagner le Tonkin (Viêt Nam) dans la guerre franco-chinoise (1881-1885). Joseph Joffre a un objectif, celui d’améliorer et d’aménager des hôpitaux et des bureaux pour l’armée française. Le Colonel Mensier en 1885 déclare à propos de Joffre que c’est un « Officier très intelligent et instruit. Capable, zélé, tout dévoué à son service. A déjà eu l’occasion de faire de grands travaux de fortification […]. Par son mérite, par sa manière de servir, cet officier est digne d’arriver aux grades élevés de l’armée du génie. » (Joffre, Arthur Conte, p. 54). Le 7 septembre, l’officier du génie reçoit la plus haute distinction qui est la Légion d’honneur. Le génie militaire désigne l’art de la construction des ouvrages militaires mais également la technique de maintien de l’infrastructure de communication. Par la suite, il y a la conquête de Tombouctou (Mali) de 1894 qu’il mène avec ses hommes. Depuis 1895, une campagne de colonisation est organisée sur l’île de Madagascar. A ce moment-là, Joffre est sous les ordres du général Gallieni et doit fortifier le port de Diego-Suarez tout en luttant contre les résistants malgaches. Ses expéditions coloniales témoignent du succès de Joseph Joffre dans sa carrière professionnelle.
Joseph Joffre reste au sommet de la hiérarchie militaire de juillet 1911 à décembre 1916. Il s’investit beaucoup dans l’élaboration des plans de mobilisation. En août 1911, éclate le coup d’Agadir qui est un incident militaire et diplomatique entre la France et l’Allemagne à cause de l’envoi d’une canonnière allemande dans la baie d’Agadir au Maroc. Ceci témoigne d’une forte tension et montre les rivalités impérialistes européennes. L’Allemagne estimait avoir un retard dans la colonisation de l’Afrique et convoitait le Maroc qui était sous protectorat français. La situation est tendue. Joffre prend plusieurs décisions face à cet incident avec l’Allemagne. Il réorganise l’armée en obtenant plus de financements, il met en place la logistique et mise sur de nouvelles unités comme l’artillerie lourde et l’aviation. De plus, en 1913, le généralissime renforce les liens entre l’Empire Russe et le Royaume-Uni. Les tensions avec l’Allemagne sont annonciatrices du conflit armé mondial qui éclate le 28 juillet 1914.
II. Les controverses sur le Maréchal Joffre
Joseph Joffre est souvent qualifié de « héros » de la Marne. Quand la Première Guerre mondiale éclate, les Allemands mettent en place le plan Schlieffen. Ce plan a été réalisé par le général von Schlieffen, chef de l’Etat-Major général de l’Armée allemande. Il a pour but de positionner la majeure partie de l’armée allemande le long des frontières occidentales et d’attaquer la Belgique ainsi que le Luxembourg par le nord pour contourner la France et son armée. L’Allemagne entre en France en août 1914, à 40 kilomètres de Paris. Le 24 août, Joffre fait reculer ses troupes vers Paris pour protéger la capitale mais aussi pour induire en erreur l’ennemi et faire croire à un repli. Sa stratégie fonctionne puisque l’ennemi, trop sûr de sa victoire, retire 2 troupes du front français. Le général Joseph Gallieni, subordonné de Joffre, est informé de ce changement et le convainc de lancer une contre-offensive. La bataille se déroule entre le 5 septembre et le 12 septembre 1914, de part et d’autre de la rivière de la Marne entre Paris et Verdun. La bataille de la Marne est une guerre de mouvement c’est-à-dire que d’importants mouvements de troupes se réalisent. En quelques jours seulement le militaire parvient à faire reculer les Allemands. Il sauve Paris et met en échec le plan Schlieffen. Joseph Joffre est décrit comme un homme qui réagit vite et fermement par sa hiérarchie en 1914. Le général Foch le complimente dans une citation à son sujet : « Ce qu’il a fait à la Marne, aucun n’eût été capable, à ce moment-là, de le faire » (Joffre, Rémy Porte, p. 88). À la fin de la bataille, une partie de la population considère Joseph Joffre comme le « héros » de la Marne.
Mais d’un autre côté certains détracteurs le surnomment le mauvais stratège de la Somme. Joffre pense l’offensive de la Somme pour alléger la pression sur le front de Verdun. Ces offensives ont aussi pour but de sortir des guerres de positions pour se réorienter vers des guerres de mouvement. La guerre de position est une phase défensive durant laquelle les troupes se cachent dans les tranchées et tentent de conserver leurs positions. Mais la bataille s’enlise. Pendant 5 mois les armées vont s’affronter lors d’attaques et de contre-attaques autant inefficaces que meurtrières. L’offensive se termine le 18 novembre 1916. Le bilan humain est terrible, on estime qu’il y a environ 1 million de soldats tués, blessés ou disparus (français et allemands) et la ligne de front n’a presque pas bougé. On accuse Joseph Joffre responsable de ce massacre. Joseph Joffre avait proclamé : « Une troupe qui ne pourra plus avancer devra, coûte que coûte, garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. » (La bataille de la Somme : l’hécatombe oubliée, 1 juillet-18 novembre 1916, Marjolain Boutet et de Philippe Nivet, p. 23). Ses adversaires lui reprochent son obstination et sa stratégie d’offensive à outrance. Suite au désastre de la bataille de la Somme, Joffre est remplacé par Robert Nivelle, général de l’armée française, en 1916.
Malgré tout, il est réducteur de ne résumer Joffre qu’au héros de la Marne déchu par la bataille de la Somme. On lui reproche son autoritarisme et sa façon de préparer la guerre. Dans son ouvrage intitulé Joffre, l’historien Rémy Porte essaie de nuancer et de réfuter ces critiques. La bataille de la Marne a tout de même causé la mort de 500 000 soldats. De plus, il est important de rappeler qu’il n’est pas seul à commander l’armée. Joseph Gallieni, gouverneur de Paris et commandant, a contribué à la réussite de la Marne. Joseph Joffre n’est pas un individualiste comme ses adversaires tendent à le faire croire. La bataille de la Somme est le résultat de 6 mois de discussion. Joffre, joue un peu le rôle de chef de la coalition en une conférence interalliée en 1915 à Chantilly. La bataille de la Somme comptabilise énormément de morts car c’est l’une des premières batailles industrielles. Elle se caractérise par la brutalité des combats, par l’expansion du champ de bataille sans oublier que le secteur industriel comme l’armement tourne à plein régime.
III. La postérité de Joseph Joffre
Dès la fin de la guerre en 1918, le maréchal est nommé à l’Académie française et ce sans même avoir à cette date publié d’ouvrage. Cette nomination reste prestigieuse et c’est en remerciement à ses services rendus pour la victoire de la France lors de la Première Guerre mondiale, qu’ il est élu à l’Académie française. Preuve de son succès, sont invités à sa cérémonie d’accueil les présidents français et américain Raymond Poincaré et Woodrow Wilson. De même le 14 juillet 1919 à Paris, il est plébiscité par la foule afin qu’il défile à cheval aux côtés du général Foch et que tous deux soient acclamés : non pas pour leur victoire mais pour le statut qu’ils incarnent de la gloire française. Le 3 janvier 1931, sept mois après sa dernière apparition à Chantilly, le maréchal meurt. Quatre jours plus tard, lors de ses obsèques nationales, la France pleure le héros de la Marne. C’est ainsi que dans la même année le parlement vote une loi afin d’apposer des plaques sur les édifices publics des communes déclarant : » Joseph Joffre maréchal de France, a bien mérité de la patrie ».
Désormais, bien que son nom apparaisse dans les programmes d’histoire contemporaine et surtout dans de nombreuses villes françaises comme Dijon avec son boulevard Maréchal Joffre ou Rivesaltes avec une rue qui lui est dédiée. Il est souvent éclipsé par la figure du Général Foch ayant œuvré à ses côtés. Le Maréchal depuis le début du conflit et encore aujourd’hui tout de même reconnu par ses pairs pour ses expéditions coloniales qui font rayonner le pays. Comme la conquête de l’île de Madagascar que la France compte toujours dans ses départements et pour laquelle il laisse aujourd’hui au nord de l’île la ville très touristique de Joffreville.
Conclusion :
Le maréchal Joffre est un militaire hautement respecté par sa hiérarchie. Détenteur d’un grand nombre de distinctions militaires. En 1916, sa carrière militaire est à son apogée lorsqu’il est nommé maréchal. En parallèle, on lui reproche sa stratégie « d’offensive à outrance » lors de la bataille de la Somme. Une fois la Grande Guerre terminée et malgré les reproches, il incarne avec les généraux Foch et Pétain la gloire française. De plus, il aura le droit à des obsèques nationales, souvenir du « héros » de la bataille de la Marne. Aujourd’hui, le maréchal reste un personnage connu pour ses victoires coloniales et des villes arborent des rues à son nom. Rémy Porte exprime dans son livre « Il serait artificiel (…) de séparer l’officier qu’il fut auparavant du chef du temps de paix, puis du commandant des armées en campagne du temps de guerre. Il s’agit du même homme » (Joffre, Rémy Porte, p. 116).
Bibliographie :
- COCHET François, La Grande Guerre, Paris, Perrin, « Tempus », 2018, 648 p.
- CONTE Arthur, Joffre, Paris, Perrin, 1998, 502 p.
- PORTE Rémy, Joffre, Paris, Perrin, « Tempus », 2016, 416 p.
Delmas Prescillia, Combes Clara (L2), Tragné Emma, Castres Séverin (L1)