Les Cagots ont été un peuple persécuté durant le Moyen Âge jusqu’au début du XIXème siècle. La figure fantasmée des cagots se construit au fil des siècles, traversant les périodes médiévale, moderne et contemporaine. Souvent liés à des images et concepts à connotation péjorative, les cagots sont considérés comme responsables des maux que subissent les populations en contact avec eux. Ce phénomène entraîne une mise à l’écart de cette population ainsi qu’une élaboration de nombreux éléments discriminants servant à alimenter le mythe les entourant. Le terme de cagot lui-même n’apparaît qu’en 1552 et ne fait partie que d’une multitude d’appellations désignant ces individus répartis sur les territoires du Sud-Ouest de la France (Gascogne) et du Nord-Est de l’Espagne (Navarre). Bien qu’ils n’existent plus aujourd’hui, l’étude des cagots permet de discerner les hommes et femmes victimes d’une ségrégation sur le temps long.
Origines et première séparation
La première trace écrite de cette population date de la fin du Xe siècle, le cartulaire d’un abbé du Béarn faisant référence à un christianum du nom de Auriol Donat, un propriétaire de terre issu d’une famille de milites. Au début du XIIe siècle, le Romancero du Cid raconte l’histoire de la rencontre entre son protagoniste, un pèlerin, et un gafo qu’il aide en lui offrant son propre lit. Aucun de ces textes ne montrent une forme de mépris ou de rejet envers les cagots, pourtant ces derniers sont rapidement assimilés à des lépreux notamment suite au troisième Concile de Latran en 1179 où l’on distingue « vrais lépreux » et « lépreux libres », les cagots entrant dans la seconde catégorie. Ces mesures peuvent s’expliquer par l’épidémie de lèpre ayant lieu à la fin du XIIe siècle.
Une existence difficile
Les Cagots sont exclus des célébrations religieuses, ils entrent par une autre porte se situant sur le côté de l’église et utilisent un bénitier qui leur est réservé. De plus, ils sont séparés des autres fidèles et se placent au fond de la nef, sous les cloches. Leurs sacrements sont également très différents de ceux des autres fidèles : la communion est faite au bout d’un bâton ; le baptême se déroule durant la nuit sans carillon ; le baiser de paix offert au bas de l’étole du prêtre, à genoux, et non en embrassant la croix ; les enterrements ont lieu dans un cimetière commun mais dans un angle que le curé ne bénit jamais ou parfois dans la fosse où se mêlent criminels, suicidés et filles de joie.
En outre, les cagots sont mis à l’écart de la société; ils sont séparés du reste de la population et vivent dans des cagoteries. Ces lieux sont des hameaux présents à la sortie des villes et villages et comptent moins de cinq familles en moyenne. Cette séparation forcée mène au développement d’une endogamie, obligeant les membres d’un même groupe social de choisir leur conjoint au sein de ce groupe. Ce phénomène entraîne à son tour un problème de consanguinité et finit donc par causer les malformations et handicaps visibles sur les photos prises à l’époque contemporaine. Il est possible que les cagots possédaient des attributs physiques les détachant du reste de la population dès le Moyen Âge mais il est certain que leur exclusion ait joué un grand rôle dans la détérioration de leur santé au fils des siècles.
La vie en communauté forcée des cagots est accompagnée d’une application de restrictions différente d’une région à l’autre. Selon des règlements de police datant de 1396 en Marmande dans le Lot-et-Garonne, les cagots sont soumis à :
- un accès limité aux marchés
- l’interdiction de fréquenter les moulins, lavoirs et fontaines publiques (si bien bien que les cagoteries possédaient leur propre puis pour le plus souvent)
- l’obligation de porter une marque de la patte d’oie rouge et de marcher sur les chemins uniquement pieds chaussés
Le non-respect de ces règles peut être puni par la flagellation publique au Moyen Âge. Une situation similaire est observable dans la commune de Moumour dans les Pyrénées-Atlantique, Ces restrictions qui découlent de l’édit de Charles VI datant du 7 mars 1407 interdisent les cagots de mener une activité autre que celle de charpentier pour les hommes. Ces derniers sont d’ailleurs reconnus pour leur talent dans ce domaine et sont sollicités pour la construction du château de Montaner (fin XIVe siècle) ou bien la charpente de l’église Saint-Girons de Monein (1464-1530). En outre, d’autres métiers leur sont confiés dans diverses régions comme celui de menuisier ou de cordier. Les femmes occupent fréquemment le rôle de sages-femmes parce qu’elles sont assimilées à des sorcières par le reste de la population.
Les implications scientifiques et religieuses
Les sciences médiévales et modernes se mêlent au religieux et servent à construire un mythe autour de l’origine des cagots changeant au fil des siècles. Dans son traité de Grande Chirurgie publié en 1363, Guy de Chauliac établit un ensemble de critères servant à identifier les cassots avec une prédominance d’attributs physiques liés à la laideur ou bien un manque d’hygiène. Au XVIe siècle, un enseignant à l’université prestigieuse de Montpellier nommé Laurent Joubert met en avant la théorie d’une lèpre blanche héréditaire. Ce nom possède une forte connotation religieuse et fait référence au récit de Guéhazi présent dans l’Ancien Testament. Pour sa trahison du prophète Élisée, lui et sa descendance sont condamnés à souffrir de la lèpre éternellement. Dans le même prolongement, le célèbre chirurgien Ambroise Paré , père de la chirurgie moderne, au service du roi Henri II, étudie le cas des cagots. Il étudie plusieurs individus et rapporte la capacité prodigieuse de l’un d’entre eux à pratiquer la momification par magnétisme :
« l’un d’eux tenant en sa main une pomme fraîche, celle-ci apparaît aussi aride et ridée que si elle fut restée huit jours au soleil » (Ambroise Paré, Traité de la Peste, 1568).
Il explique cela par la chaleur anormalement élevée dégagée par le corps du cagot. Cette forte chaleur serait également la source d’une capacité à flétrir les aliments. Il est aussi dit qu’un sang vert et bleu bouillonnant a pu être observé lors d’une saignée. Ces théories influent sur l’application de mesures discriminantes notamment dans les espaces religieux et la liturgie.
La représentation des Cagots
Les cagots étaient représentés de diverses façons sur divers supports tout d’abord dans des poèmes et chansons comme nous le montre les chansons béarnaises recueillies par l’historien Francisque Michel au XIXe siècle. Dans ces textes, les cagots sont perçus comme malveillants et mauvais, des êtres dont il ne faut surtout pas s’approcher de peur d’être comme eux. De plus, les cagots étaient représentés en statue, comme dans les églises où sur les bénitiers qui leur étaient destinés. Ces sculptures représentent les cagots portant un visage déformé par la maladie (lèpre).
Période contemporaine et disparition
La perpétuation de la mise à l’écart des cagots mène à l’endogamie et développe ainsi des handicaps physiques au sein de la communauté. Le mépris des cagots est ancré dans les couches populaires et mène une sévère discrimination. Cependant, avec la Révolution Française les cagots se voient offrir un patronyme souvent lié à leur métier tel que charpentier. Mais c’est durant la première industrialisation et les mouvements de population dû à la Première Guerre mondiale et à l’exode rural que les cagots et leur supposée malédiction sont peu à peu oubliés.
Pour aller plus loin
- Benoît CURSENTE, Les Cagots : Histoire d’une ségrégation, Cairn, Paris, 2018
- GUERREAU A., GUY Y., Les cagots du Béarn : Recherches sur le développement inégal au sein du système féodal européen, Minerve, Paris, 1996
- Paola ANTOLINI, Los agotes : Historia de una exclusión, Istmo, Madrid, 1989
- Geneviève JOLLY, Les cagots des Pyrénées : Une ségrégation attestée, une mobilité mal connue. Le Monde alpin et rhodanien, Revue régionale d’ethnologie, 2000, 28 (1), p.197–222.
- Benoît CURSENTE, La question des « cagots » du Béarn. Proposition d’une nouvelle piste de recherche, Les Cahiers du Centre de recherches historiques, 1998, (21)