La course à l’espace, élément de propagande du modèle soviétique de 1947 à 1975

À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) et les États-Unis d’Amérique ressortent comme les deux grands vainqueurs de la guerre. Cependant, dès 1947, les Américains tentent de limiter l’expansion du Bloc soviétique. C’en suit des rivalités géopolitiques entre les deux blocs afin d’imposer leur propre modèle (le capitalisme pour les Américains et le communisme pour les Soviétiques). Hormis la course aux armements nucléaires, toutes ces rivalités se déroulent par des conflits indirects, c’est-à-dire que les deux superpuissances ne s’affrontent jamais directement, mais par le biais de campagnes de propagande, d’espionnage, par des guerres par procuration, des rivalités sportives aux Jeux olympiques et par la course à l’espace.

Une avance technologique au service de la propagande

Dès les débuts de la Guerre froide, les États-Unis et l’URSS ont cherché à se distinguer dans le domaine scientifique et technologique. Les Soviétiques ont été les premiers à inaugurer cette course en 1947, lorsque la bureaucratie centrale du gouvernement a créé l’institut de recherche sur les fusées. Cette initiative a marqué le début de la quête soviétique pour dominer l’espace.

Page de couverture du journal soviétique «La Pravda» , après le lancement du premier satellite artificiel Spoutnik 1, le 6 octobre 1957 Source : La Pravda

La propagande est utilisée par les dirigeants soviétiques pour présenter l’URSS comme la nation la plus avancée technologiquement et scientifiquement. Cette approche vise à prouver la supériorité du système communiste par rapport au mode de vie capitaliste américain. L’URSS ouvre la course à l’espace le 4 octobre 1957 avec le lancement du satellite Spoutnik 1, le premier objet artificiel à être placé en orbite terrestre. Cette avancée technologique a été présentée comme une réalisation révolutionnaire dans les médias soviétiques, démontrant la supériorité de la science et de l’ingénierie soviétiques. Factuellement, cela demande une concentration de connaissance des principes scientifiques tels que la physique, l’astronomie, la mécanique des fluides.

La propagande portée par l’URSS soutient que leur conquête de l’espace est le résultat de l’organisation centralisée et efficace du gouvernement communiste, afin de renforcer le patriotisme. Cette vision est transmise dès le plus jeune âge. En effet, le régime soviétique cherche à mobiliser et à former une nouvelle génération de cosmonautes et de scientifiques. Ainsi, le gouvernement soviétique met en place des programmes d’éducation visant à encourager les jeunes à explorer les sciences et les mathématiques. Cette approche de la propagande scolaire et de la formation de la jeunesse est très efficace, et elle a créé une culture dans laquelle les jeunes Soviétiques sont encouragés à poursuivre des carrières scientifiques et technologiques pour contribuer au développement de l’industrie et de la recherche spatiale. De plus, le système éducatif est réorganisé pour inclure des programmes spécifiques axés sur les sciences spatiales. De nouvelles écoles sont créées appelées « écoles de l’espace » qui ont pour but de former la prochaine génération de cosmonautes et d’ingénieurs spatiaux. On voit donc que la propagande passe aussi par l’éducation de la jeunesse.

Le soft power : démontrer la supériorité du modèle au travers de différents supports

Le 12 avril 1961, Youri Gagarine devient l’un des cosmonautes les plus célèbres de l’histoire après avoir été le premier être humain à faire un voyage dans l’espace. Il remplit son devoir « d’instrument de propagande soviétique » en accomplissant une orbite complète autour de la Terre en 108 minutes. À son retour, il est accueilli par des célébrations massives et il est érigé en héros national, symbolisant ainsi le succès du programme spatial habité de l’Union soviétique.

La propagande autour de Youri Gagarine a par la suite atteint une ampleur sans précédent, le présentant comme le leader incontesté de la course à l’espace et le modèle même de loyauté et de volonté vis-à-vis de sa nation. L’Union soviétique fait de son personnage un messager de paix et un véritable symbole de l’exploration spatiale au niveau mondial. Les États-Unis se retrouvent alors écrasés, sous pression, de cette grande victoire soviétique, ce qui contribue à l’engagement des Américains dans une course effrénée à l’espace, annoncée par le président Kennedy lors de son célèbre discours en 1962 « We choose to go to the moon ». Le succès de Gagarine est aussi un élément de démonstration de supériorité technologique de l’URSS. Ce qui alimente la propagande et le soft power, qui, rappelons-le, est la capacité d’un État à influencer les relations internationales en sa faveur. Bien que l’URSS fasse preuve de démonstration de force, la propagande de l’État porte principalement un discours de paix en lien avec la conquête spatiale, tout en mettant en avant son intérêt dans une quête de la connaissance.

 Affiche officielle de la  Planète des tempêtes
Source : Allociné 

Les supports de propagande, éléments importants de soft power, tels que le cinéma, jouent un rôle majeur. Des films comme La planète des tempêtes (1962) illustrent le potentiel de l’espace comme alternative au mode de vie soviétique, utilisant l’animation pour représenter de manière réaliste l’espace. Mais après que les célèbres astronautes américains Neil Armstrong, Buzz Aldrin et Michael Collins aient posé pied sur la lune, les représentations évoluent vers une vision critique des autres planètes, les décrivant comme des répliques bourgeoises. Les dessins animés, tels que Vol pour la lune (1953), participent également à la stratégie de soft power, cherchant à inculquer le communisme tout en diabolisant l’ennemi et en mettant en valeur un modèle unique. Ces efforts démontrent comment la propagande, à travers divers supports, était intrinsèquement liée à la rivalité idéologique et à la quête de puissance internationale.

Le rôle de la femme en évolution, prémices du féminisme

« Hourra à l’héroïne soviétique, fille de la grande nation ! » affiche de propagande réalisé par  Y. Solovyev, 1963.

La propagande de l’URSS pendant la Guerre froide a eu un impact social significatif, en particulier sur le rôle des femmes, présentant une image d’égalité et d’avancements sociaux. Cet impact est illustré par l’envoi de Valentina Terechkova dans l’espace à bord du vaisseau Voskov 6 en 1963, faisant d’elle la première femme cosmonaute. Son voyage de trois jours en orbite a eu un retentissement international et a été utilisé comme symbole de la libération des femmes dans le bloc soviétique. À son retour, une cérémonie grandiose sur la place Rouge la consacre héros de l’Union soviétique et lui octroie l’ordre de Lénine.

Malgré cette image positive à l’étranger, la propagande soviétique présentant les droits des femmes et l’égalité des sexes comme des valeurs communistes universelles cachait des inégalités persistantes au sein de l’URSS. Pendant la Guerre froide, les organisations internationales, dont l’ONU, ont été utilisées par les superpuissances pour promouvoir leur image. L’URSS, notamment à travers l’UNESCO, a mis en avant les Droits des femmes et le développement sous une rhétorique typiquement soviétique, cherchant à façonner une image positive à l’international. Cependant, cette façade masquait les réalités des inégalités persistantes à l’intérieur du pays.

Des opposants au sein du programme spatial et scientifique

Entre 1945 et 1990, malgré la glorification soviétique des succès spatiaux, des individus s’opposaient à cette propagande. Ainsi, Anatoli Brounov, scientifique soviétique spécialisé dans l’astronautique, a été arrêté en 1977 pour avoir critiqué la gestion insatisfaisante du programme spatial soviétique. Après sa libération, en 1988, il émigre aux États-Unis. Andreï Amalrik, écrivain dissident, analyse de manière critique le système soviétique, soulignant dans son essai Will the Soviet Union Survive Until 1984 ? l’utilisation des succès spatiaux pour dissimuler les lacunes internes. En 1970, Amalrik fut arrêté pour « anti-soviétisme » après des prédictions provocatrices sur les problèmes économiques à venir.

Andrei Sakharov lors d’une interview à la conférence de l’Académie des sciences de l’URSS le 1er mars 1989

Andrei Sakharov, physicien nucléaire et défenseur des droits de l’homme soviétique, joua un rôle clé dans le développement de la bombe à hydrogène. Mais sa désapprobation croissante envers le régime soviétique, notamment sur les droits de l’homme, le conduit à s’engager éthiquement. En 1968, il eut un succès partiel avec le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires auquel il s’oppose. Critiquant ainsi les autorités en 1979, Sakharov perdit ses privilèges, il fut déchu de ses distinctions et assigné à résidence à Gorki de 1980 à 1986, sous étroite surveillance du KGB. Ce qui montre une oppression du régime soviétique sur ses opposants intérieurs. 

1969, un tournant majeur de la course à l’espace

En 1969, la mission Apollo 11 envoyée par les États-Unis, qui se qualifie par l’alunissage de Neil Armstrong et de Buzz Aldrin sur la Lune, est souvent considérée comme une victoire symbolique pour les États-Unis dans la course à l’espace. Cependant, cette perception doit être nuancée, car l’Union soviétique avait précédemment réalisé des avancées significatives dans l’exploration spatiale. Malgré la portée politique et médiatique de cet événement, l’URSS a affirmé sa fierté nationale en mettant en avant ses propres réalisations, notamment le lancement du Spoutnik et le vol de Yuri Gagarine dans l’espace. Parallèlement, les États-Unis ont utilisé cette réussite pour améliorer leur image et détourner l’attention des problèmes internes, tels que l’impopularité de la guerre du Vietnam. Ce retrait de la guerre a été perçu comme une victoire pour l’URSS, qui soutenait le Nord-Viêt Nam. Ainsi, bien que l’alunissage ait marqué un moment important dans la course à l’espace, celui-ci n’est pas une réelle victoire des États-Unis.

Coopération entre les deux leaders du monde bipolaire

La période de détente entre les États-Unis et l’Union soviétique, qui commence dès les années 1960, s’est caractérisée par des progrès dans les relations, notamment par la signature du Traité de non-prolifération nucléaire en 1968. Bien que cela n’ait pas directement affecté la course à l’espace, cela a contribué à apaiser les tensions entre les deux pays. De plus, la diminution de la propagande à la fin des années 1970 a favorisé un questionnement à propos des messages diffusés par le gouvernement et les médias chez les citoyens des deux nations. La coopération dans le domaine spatial a renforcé cette détente, illustrée par le vol spatial conjoint Apollo-Soyouz en 1972, démontrant la possibilité de collaboration entre les deux puissances spatiales.

Ouverture aux autres blocs de l’Est : le rayonnement de l’Union soviétique sur les autres pays, l’image de l’URSS sur le monde.

Le Français Jean-Loup Chrétien répond aux questions des journalistes après son atterrissage dans le désert du Kazakhstan à la suite de la mission Soyouz T6 le 2 juillet 1982 

Dans les années 1970, l’univers spatial était étroitement lié à l’influence de l’Union Soviétique. Les missions Soyouz étaient principalement réservées aux cosmonautes russes et à ceux des pays alliés tels que la Pologne, la Bulgarie, la Tchécoslovaquie, la Hongrie et même l’Est allemand, avec des figures telles que Sigmund Jahn. Jahn, astronaute est-allemand Il a été sélectionné pour participer au Programme spatial Intercosmos, une initiative soviétique visant à promouvoir la coopération internationale dans le domaine spatial à des fins pacifiques. Dans les années 1980, les vaisseaux spatiaux accueillent désormais des astronautes venant de divers pays, comme la France avec Jean-Loup Chrétien. Celui-ci a marqué l’histoire en devenant le premier francophone spationaute lors de la mission franco-soviétique PVH en 1982 à bord de la station Saliout 7, où il a séjourné pendant 8 jours. Cette époque a témoigné d’une ouverture croissante à la coopération spatiale internationale, transcendant les frontières nationales dans l’exploration de l’espace. 

Sur le plan économique, l’URSS a tiré des avantages de ses réussites spatiales en jouant un rôle prépondérant dans la coopération économique avec les nations du bloc de l’Est. Elle a offert une assistance technique et transféré des technologies avancées. Le prestige de l’URSS connaît un changement significatif, notamment au sein des pays du bloc de l’Est. En 1956, la Hongrie se retire du Pacte de Varsovie, se tournant ainsi vers l’Occident et le modèle capitaliste. Similairement, la Pologne aspire à accroître son autonomie et à rompre avec la centralisation de Moscou, particulièrement après la crise de 1980. Cependant, cette nation demeure liée à l’URSS. Dans ces nations, l’URSS parvient à maintenir une illusion de contrôle pendant ces crises grâce à l’intervention de l’Armée rouge et aux promesses de soutien matériel faites à la Pologne et à la Hongrie.

Bibliographie indicative