Les animaux et leurs représentations dans l’art en Occitanie du XIe au XIVe siècle

L’animal est un sujet privilégié dans l’art : sa représentation traverse le temps et les sociétés, depuis l’art rupestre préhistorique à nos jours. Au Moyen Age, les drôleries mettent en scène des animaux et le bestiaire roman propose un répertoire animalier diversifié. La religion a aussi interrogé notre place par rapport à l’animal. S’agissant du christianisme, le passage très célèbre de la nomination des animaux par Adam dans la Genèse est un acte de domination qui insiste sur le rôle particulier dont est investi l’Homme dans la création divine (Genèse 1:28). Mais c’est aussi un acte de reconnaissance et de connaissance. Par l’acte de nommer, et l’usage de la parole, Adam se distingue du reste des créatures. Une distinction (cognitive, technique) qui suscite encore au XXIe siècle des débats philosophiques et scientifiques…

Quelle place pour l’animal dans l’historiographie ?

Jusque dans les années 70, les vétérinaires étaient essentiellement les seuls à s’intérésser à l’animal dans leurs thèses, à la fois comme objet biologique et culturel. Avec l’essor de l’histoire culturelle, l’enjeu de la préservation de la biodiversité et la prise de conscience grandissante de l’impact des activités humaines sur une faune et une flore fragilisées* ont nourri la recherche historique. Ces réflexions nouvelles ont trouvé leur expression dans le champ historiographique mais ont plus largement touché la vie politique des Français**. Aujourd’hui, le sujet de l’animal ne relève plus de la « petite histoire« (Pastoureau) et est étudié sous différents angles qui ont facilité le croisement disciplinaire entre la science historique, l’archézoologie, la zoologie, l’éthologie et la génétique évolutive.

*Le loup gris par exemple a complètement disparu en France métropolitaine dans les années 40 jusqu’à sa réintroduction dans les années 90 depuis l’Italie. 

** Ça passe concrètement en 1970 par la création d’un ministère de l’environnement

Représentations générales de l’animal

Dans le quotidien des populations médiévales, les animaux sont omniprésents. C’est donc tout naturellement qu’elles se sont posées la question de la responsabilité morale de ces êtres en cas de vols de nourritures ou d’accidents. Dans l’art, la représentation de l’animal est chargée des peurs, des concepts et de la recherche de  la perfection par l’Homme. Elle porte des défauts et des qualités qui nous renvoient à notre propre humanité et aux référents moraux de l’époque. Dans le bestiaire médiéval, les animaux représentent le bien ou le mal et symbolisent souvent ce que l’on trouve dans l’Ancien ou dans le Nouveau Testament. Cependant, l’interprétation peut être déformée car il faut prendre en compte tout le contexte dans lequel on retrouve l’animal. C’est en ce sens que la représentation de l’animal occupe une fonction didactique : en servant de modèle moral il montre à l’humain ce qu’il doit être et ne pas être. Dans ce processus d’assimilation, l’animal est l’extension de la nature humaine. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir un animal représenté en train d’effectuer une activité humaine.

L’animal produit de l’homme : le cas du chien

Nos ancêtres ont joué un rôle significatif dans l’évolution génétique des chiens par les croisements intentionnels et la sélection des races selon des critères physiques et des aptitudes spécifiques. A l’époque médiévale, cet animal bénéficiait déjà chez certains auteurs d’une image relativement positive. C’est le cas de l’érudit romain Isidore de Séville (†636) et dont les Étymologies constituaient une source importante de savoir pour les contemporains. L’auteur écrit au sujet du chien que sa nature le rend incapable de vivre en dehors de la société. Naturellement, cette vision positive se retrouve dans les ouvrages cynégétiques* comme le Livre du roi Moldus, ou, plus près de chez nous, le Livre de la Chasse (1387-89) de Gaston Phébus (1331-1391)

*Ouvrage qui porte sur l’art et les pratiques de la chasse

Dans cet ouvrage riche de pas moins de quatre-vingt-sept enluminures, Phébus dénombre cinq différentes races de chien : l’alant, le lévrier, le courant, le mâtin et le chien d’oiseau, chacune représentée et valorisée pour leur beauté. Gaston Phébus précise également les capacités physiques et les caractères associés à une race et une couleur du pelage. Ainsi suivant la description qu’il en apporte, les chiens courants noirs seraient plus rapides et les chiens d’oiseaux blancs tachetés (épagneuls), plus doux et intelligents. De manière générale, la meute de chien est valorisée en tant qu’instrument de travail.

Certaines associations dans le traité de chasse nous renvoient à tout un tas de’éléments de folklore et de traditions. Les valeurs symboliques projetées sur le comportement des animaux ne sont pas sans faire écho aux bestiaires et aux croyances médiévales chrétiennes.

Maison du 13e siècle dite Maison des Loups
Maison des Loups et ses statues lupines à Caylus, datant du XIIIe siècle (photo de Thérèse Gaigé, monumentum)

A l’inverse du chien : le loup. Dans le Livre de la Chasse, les artistes ont insisté plus qu’avec les autres bêtes noires* sur le caractère violent de cet animal. Ses traits péjoratifs sont suggérés par le sang de ses proies nombreuses (gloutonnerie), les crocs et son regard exorbité. De même, on le voit quasi systématiquement en train de manger ou en présence de sang. A la différence de beaucoup d’animaux, l’image du loup est toujours négative. Redouté, bien qu’il s’attaque rarement aux hommes, le loup est un prédateur pour le bétail. La menace qu’il représente a justifié la chasse qui a drastiquement réduit sa population, de la louverie de Charlemagne et Louis XIV à sa destruction au XIXe siècle. En plus d’avoir marqué la toponymie de certains lieux, le loup est très présent dans les scènes de chasse au loup comme celle plus tardive (XVIIe siècle) sur le plafond du château des Fiches à Verniolle, en Ariège.

*Dans l’ouvrage, Phébus distingue les bêtes rouges herbivores qui concernent les proies nobles par excellence telles que le cerf, aux bêtes noires aussi dites puantes. Ce sont les carnivores et nuisibles comme le sanglier, le loup et le renard.

Les spécificités de la représentation animale en Occitanie

2. Église du Plan d’Aragnouet (Hautes-Pyrénées)
Plan d’Aragnouet, XIVe (photo de É. Bielle)

Concernant les spécificités de la représentation animale en Occitanie, les productions artistiques de la zone sont très imprégnées de la faune locale. C’est ainsi qu’au XIVe siècle, après l’essor de l’aristotélisme*, l’isard et le bouquetin deviennent des sujets de choix dans le répertoire des artistes de la période. On retrouve ces figures dans des plafonds peints dont celui de Lagrasse, ou dans des peintures comme celle décorant la chapelle du château de Castillon-en-Couserans. Un autre exemple notable est la fresque de la chapelle funéraire de Dominique Grima au couvent des Jacobins de Toulouse, où un quadrupède arbore des cornes d’isard.  Cette tendance pour les artistes à peindre des espèces de leur environnement proche est illustrée par le Plan d’Aragnouet. Dans Le bouquetin dans les Pyrénées du Moyen Age au XXe siècle, Claudine Pailhès parle de représentation

pyrénéisée” des animaux.

*Avec cet aristotélisme permis par la rédecouverte des textes d’Aristote, on se tourne vers le monde réel. La connaissance des choses ne vient plus du divin (Platon) mais du contact avec notre monde extérieur. Ce réalisme qui exalte l’empirisme (les sens et l’expérience perçue) permet à la culture médiévale de s’intérésser autrement à la nature. Certains, comme François d’Assise (†1226), considèrent les animaux et les Hommes comme parents

Plan d’Aragnouet
Peintures du XIIIe de deux bouquetins sur l’abside du château de Castillon-en-Couserans (Ariège), (photo de J-F. Peiré, Drac Occitanie)

L’autre caractéristique distinctive réside dans l’apport ibérique, en particulier dans la zone languedocienne. Cette influence se manifeste dans la typologie des représentations des animaux. Dans les plafonds peints et closoirs du XIII et XIVe siècle du palais archiépiscopal de Narbonne c’est surtout vrai pour cerfs et les oiseaux : les plumes de l’alule suivent une ligne spiralée, un choix stylistique qui nous renvoie aux enluminures des Beatus* espagnols du VIII et XIIe siècle. Cette apport s’explique par la circulation de copies catalanes de Beatus dans le diocèse de Narbonne dès le XIIe siècle. Le diocèse ayant, à cette époque, des droits sur des évêchés catalans comme l’Elne. 

*Il s’agit de manuscrits espagnols qui comprennent des commentaires et des enluminures sur l’Apocalypse de Saint Jean

Narbonne, Palais Vieux, closoir, monuments historiques et objets d’art du Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées

L’animal dans la poésie occitane

Les propriétés naturelles, ou symboliques, attribuées à l’animal dans la tradition littéraire et des bestiaires ont inspiré l’expression artistique des troubadours occitans de la fin’amor* du XIIe. Ainsi, dans la chanson Altressi com l’orifans, Rigaut de Barbezieux (1120-1163) raconte comment il trahit et perd sa dame, manipulé par une autre. Frappé de douleur, il s’enferme dans une maison isolée dans les bois pendant deux ans et refuse de partir sans avoir obtenu son pardon. Dans ce passage, il utilise l’image de l’éléphant : “Comme l’éléphant qui, lorsqu’il tombe, ne peut se relever jusqu’au moment ou les autres, au bruit de leurs cris, le redressent grâce à leur voix (…)”. Les auteurs de bestiaires pensaient en effet que l’éléphant était dépourvu d’articulations au niveau des jambes. Il lui était donc impossible de se relever seul de sa chute. Cette spécificité est expliquée par Pierre de Beauvais par le fait que le mammifère met bas dans l’eau et qu’il s’adosse contre un arbre dans son sommeil. 

Le loup a aussi une place significative dans la littérature médiévale. Le troubadour Peire Vidal (1175-1205) chante la Louve de Pennautier. Entre 1190 et 1194, il écrit quatre chansons qui mettent en scène son amour pour la Loba, nom qui lui sert à dissimuler l’identité de sa dame. Dans De chantar m’era laissatz, la passion dévorante de ses sentiments glisse vers la folie. Il se met à porter la fourrure du loup et est chassé par les bergers. La Loba quant à elle rit et prend plaisir dans le spetacle de la souffrance du poète. Cette insensibilité manifeste renvoie à la cruauté traditionnellement associée à la figure lupine.

*littérature courtoise méridionale du XIIe siècle en langue vernaculaire. Aussi dit amour courtois, cette fin’amor porte sur un amour idéalisé et raffiné, mettant l’accent sur la courtoisie, la loyauté, le respect envers la dame aimée et que la dévotion. Elle met souvent en scène un amour adultère.

Conclusion

L’animal est une figure pluridimensionnelle : il est à la fois compagnon et nuisible, force et instrument de travail, ressource vitale et vecteur symbolique. L’utilisation pratique et symbolique de l’animal révèle la complexité de nos interactions avec notre environnement et la connexion particulière que l’Homme entretient depuis toujours avec le monde animal. Encore aujourd’hui, l’animal est omniprésent dans notre culture populaire : il est personnage de contes, de cinéma ou de jeu vidéo, nous amuse dans des memes, et sert de logo pour de grandes marques (Tony the Tiger, le crocodile de Lacoste, le renard de Firefox, la grue rouge de la Japan Airlines) 

L2 : Camille Dias, Clémence Laborie