L’entraînement sportif lacédémonien a-t-il pour seul but de former de futurs soldats ?

« L’éducation se prolongeait durant l’âge adulte. On ne laissait à personne la liberté de vivre à son gré ; la cité ressemblait à un camp militaire… »

Plutarque, Vie de Lycurgue* XXIV, 1.

L’éducation spartiate se qualifie par divers aspects mettant en avant la pratique du sport. L’agogé est la formation militaire couplée à un système d’éducation utilisé à Sparte. Elle est conçue afin de préparer et former les jeunes hommes spartiates à devenir des soldats d’élite. De ce fait, ils pourront servir au mieux leur cité. Elle est mentionnée pour la première fois par Xénophon dans son ouvrage Constitution des Lacédémoniens. Cependant, dès le IIème siècle av. J-C, les sources concernant l’éducation spartiate abondent. Notamment, grâce à l’auteur et philosophe grec Plutarque et ses biographies, Vies Parallèles, nous avons un témoignage de l’impact du sport à Sparte. Le biographe dédia entre autres une de ses œuvres au législateur mythique de la grande RhêtraLycurgue*De ce fait, dès l’ère de Lycurgue, les jeunes spartiates s’adonnent à une éducation basée sur les faits d’armes et de défense de la cité. L’éducation homérique des siècles précédents ne conserve que peu d’influence. On y constate la conservation de l’athlétisme ou des sports hippiques qui apportent une grande notoriété à la cité lors des Jeux Olympiques. Outre les jeux, des concours de danses sont organisés par la cité comme les Gymnopédies en été. Celles-ci marquent le passage de l’enfance à l’adolescence, debout nus et en plein soleil, le chant accompagnant la danse. L’agogé tire donc ces prémices des réformes de Lycurgue* mais ne se voit mise en place qu’au milieu du VIème siècle av. J-C. Une sélection de la génétique des futurs spartiates est appliquée par les Lacédémoniens dès leur naissance. L’eugeneia signifie “la belle naissance” selon Francis Galton, un anthropologue et géographe anglais. L’eugénisme peut donc s’appliquer avant la naissance avec la sélection des parents mais aussi après la naissance. En effet, une sélection s’effectue avant même la conception de l’enfant par le choix des parents. Dans un premier temps, les deux parents se doivent d’être spartiates de naissance, Selon Plutarque, une examination du nouveau-né par les anciens de la tribu afin de déterminer s’ils sont robustes ou non. La formation commence dès l’âge de 7 ans et dure jusqu’à la fin de l’éducation collective à 20 ans. Ainsi, les soldats spartiates sont, de par leur entraînement, considérés comme les plus redoutables de Grèce classique.


La pratique sportive spartiate

Cléophradès, Amphore panathénaïque à figure noire d’une course à pied de spartiates, 500 av. J.-C, Musée du Louvre.

L’éducation sportive constitue un rouage essentiel au sein de la cité de Sparte.  En effet, l’éducation du spartiate, par le biais de l’agogé, est  nécessaire dans le cadre de la préparation des guerres récurrentes entre les cités durant la  période archaïque (800-480 av. J.-C.) et classique (480-323 av. J.-C.). Le sport servait notamment à exprimer leur rivalité et leur supériorité renvoyant à l’agon, désignant toute forme de compétition. Ce sentiment transparaît principalement dans la participation des spartiates aux compétitions sportives panhelléniques* comme les jeux olympiques ou pythiques. Sparte est par ailleurs connue pour sa réputation, dont les nombreux vainqueurs de ces jeux sont connus pour être en majorité des spartiates. Par exemple, lors de la 15ème édition des Jeux à Olympie, 46 vainqueurs sur 81 actuellement connus viennent de Sparte. 

Pour améliorer leurs conditions physiques, les hommes disposent de plusieurs espaces de pratique sportive. Le palestre, principal lieu d’entraînement dirigé par le pédotribe, était un terrain ouvert, carré entouré de  de portiques destinés principalement à la formation des jeunes garçons entre douze et seize ans. On y pratiquait la lutte, le lancer de javelot et de disque ou encore le saut  et le pugilat tandis que les jeunes filles y pratiquaient la gymnastique. Après 16 ans, les éphèbes et  les adultes poursuivent leur entraînement dans des gymnases. La pratique du sport est également indissociable des objectifs de perfectionnement moral dans l’éducation du spartiate comme en témoigne la description du sport établie par Plutarque dans ses Vies Parallèles :

« Apprendre à bien obéir, à supporter patiemment la fatigue et à vaincre au combat »

Plutarque, Vie de Lycurgue, XVI, 10.

Ces derniers se distinguent par l’honneur et la vertu, la modération regroupant le contrôle des émotions et la discipline ainsi que la loyauté et l’esprit de compétition. L’objectif était de former des individus complets, capables d’incarner la perfection à la fois physique, mentale et morale.

Kylix à figures rouges représentant des hommes (éraste) courtisant des jeunes (éromène), Douris, v. 480 avant notre ère, Musée Métropolitain d’Art.

C’est donc dans cet objectif que les pratiques pédérastiques* étaient répandues dans la cité. Il s’agissait d’un rite de passage de l’éducation permettant aux jeunes hommes d’être mentorés par un homme plus âgé qui lui enseignait les vertus physiques et morales pour devenir un bon spartiate.  C’est pourquoi le principe du  « kalos kagathos » : l’Homme bon et beau, était largement répandu à travers toute la Grèce, et les spartiates s’efforçaient de s’y conformer.

Deux domaines sociétaux liés au sport : la formation à la guerre et la religion

L’agogé semble être mise en place vers 550 av. J-C après la réforme de Lycurgue. Selon Xénophon, dans “Constitution des Lacédémoniens”, elle sera organisée, collective et obligatoire pour toutes et tous. Ce sont les homoioi (citoyens) spartiates qui constituent le corps de citoyens-soldats de l’État. L’éducation spartiate vise à former des citoyens-soldats robustes et disciplinés, prêts à défendre la cité. Très tôt, ils sont dressés à obéir et accoutumés à la douleur. Les activités sportives, telles que la course, la lutte et le lancer de disque, étaient conçues pour développer la force, l’endurance et l’agilité nécessaires sur le champ de bataille. Par la suite, ils vivent avec leur mère jusqu’à leur sept ans où les jeunes enfants sont retirés de leur famille. Les enfants de 7 à 12 ans sont élevés par le paidonomos qui est spécifiquement chargé de les éduquer. Ils vivent tous ensemble sous le contrôle de la cité. Bien qu’ils y apprennent à lire et à chanter, la pratique sportive occupe la majorité de leur temps. Entre l’athlétisme, la survie en pleine nature et le maniement des armes, l’agogé les forment à devenir les meilleurs soldats. La discipline et la rigueur sont les maîtres mots de l’éducation spartiate. Une fois l’âge de vingt ans atteint, ils renforcent les rangs de l’armée lacédémonienne. À Sparte, les citoyens masculins n’ont qu’un seul métier, celui de soldat. 

L’anthropomorphisme à Sparte est similaire à celui des autres cités grecques. Cependant, chaque divinité n’a pas la même représentation. En effet, Athéna est la divinité poliade d’Athènes mais également de Sparte ce qui nous amène à comprendre que les deux cités n’en n’ont pas la même vision. De ce fait, des fêtes religieuses sont organisées en l’honneur des dieux partout sur le territoire. Lors de ces fêtes, de nombreuses festivités s’y déroulent comme les danses.

Danseurs pendant le Karneia, détail d’une céramique, Royal Ontario Museum, Toronto, Canada

À Sparte, l’une des fêtes les plus importantes est celle du dieu Apollon avec les Karneia. Cette fête est associée au début de l’hiver soit la période de Dionysos et marque donc la fin de l’été soit la période d’Apollon. Durant neuf jours, les festivités au sein de la cité battent leur plein. Une course est organisée  :  les Staphylodromes (σταφυλοδρόμοι). Celle-ci  consiste en une course poursuite entre un porteur de bandelettes et des porteurs de grappes de raisin. Le vainqueur a donc l’honneur de prononcer les vœux de bénédictions de la cité. La danse s’illustre accompagnée de musique et de théâtre lors de la fête. Celle-ci est pratiquée par des hommes et des femmes, ce qui explique la pensée de Platon sur la formation totale du citoyen : « Ceux qui honorent le plus bellement les dieux par la danse sont aussi les meilleurs au combat » (Platon, Lois, VII, 796). Cela nous amène donc à penser que les spartiates y voyaient potentiellement cet intérêt. 

« Leur étude des lettres se limitait au strict nécessaire ; pour le reste, toute leur éducation visait à leur apprendre à bien obéir, à bien supporter la fatigue et à vaincre au combat. »

Plutarque, Vie de Lycurgue, XVI,10.

Une gynécocratie modéré ?

Figure féminine courant à Sparte. Bronze, style péloponnésien, deuxième quart du Ve siècle av J.-C, musée du Louvre.

Dans la plupart des cités, comme à Athènes, la femme est maintenue toute sa vie à l’écart de la sphère publique et reste proscrite à l’oikosA Sparte, l’éducation des jeunes filles est  similaire à celle des garçons. Dès l’âge de 7 ans, elles sont envoyées au gymnase et leur entraînement athlétique soutenu dure 11 ans.  Elles vont pratiquer la course, la lutte, le lancer du disque et le javelot…  Néanmoins, toute cette préparation physique n’a pas pour but que les filles s’engagent dans les conflits armés. Selon Lycurgue, une progéniture robuste et en bonne santé ne peut en réalité provenir que de parents solides et athlétiques. Ainsi, il est donc primordial d’entraîner les jeunes filles pour les rendre résistantes à l’enfantement et avoir des enfants robustes.  

C’est en général à l’âge de 18 ans que les filles se marient et vont pouvoir accomplir leur devoir de mère de famille. 

Au contraire des hommes préparés à un avenir guerrier, les femmes occupent un rôle dans la sphère privée, au sein de l’oikos en s’occupant de diverses tâches domestiques comme de la logistique, l’agriculture ou encore les tâches alimentaires mais elles veillent également au début de l’éducation des enfants.  

Les  femmes spartiates sont souvent la cible de moqueries par des auteurs athéniens notamment durant la guerre du Péloponnèse où Sparte et Athènes sont rivales. En effet, les différences sociales et culturelles entre les cités vont être à l’origine de ces critiques. C’est notamment le cas dans la tragédie Andromaque d’Euripide où selon la mythologie grecque, Pélée qui affronte Ménélas lors d’un combat en 425, s’en prend à Hélène et plus généralement à l’éducation des jeunes filles, en affirmant ceci : 

« Aucune fille de Sparte ne saurait être vertueuse ! Elles désertent leurs maisons et, les cuisses dénudées et le vêtement relâché, partagent avec les garçons les mêmes pistes de course et les mêmes palestres. »

Euripide, Andromaque.

Pour lui, toutes les femmes spartiates sont licencieuses en raison de leur pratique sportive. En effet, la femme qui dévoile son corps, est  souvent méprisé à Athènes. Finalement, Euripide et les auteurs athéniens, par le biais de ces moqueries, veulent avant tout mettre en valeur les coutumes de leur cité au détriment des mœurs de Sparte. Qualifié parfois de gynécocratie*, ce terme est toutefois à remettre en question puisque ce sont bel et bien les hommes qui contrôlent et décident de la vie intérieure de Sparte malgré que l’influence des femmes dans la vie politique et sociale de la cité soit encore aujourd’hui sujets à débat. 


L’éducation sportive spartiate tend vers une élite militaire au sein de la Grèce. Cependant, cet aspect guerrier n’est pas le seul objectif qui amène la cité à pratiquer le sport. Les hommes et les femmes sont entraînés ensemble dès leur plus jeune âge à des finalités distinctes. Les garçons ont pour vocation de devenir de robustes guerriers. Les femmes, quant à elles, doivent devenir fortes afin d’enfanter de futurs guerriers. La similitude de la pratique sportive dure jusqu’à l’adolescence. Les garçons se tournent par la suite vers une pratique sportive centrée sur le militaire alors que les filles continueront à la pratiquer pour des concours ou des fêtes religieuses. Les filles deviennent par la suite des femmes qui se doivent d’engendrer les futurs défenseurs de la cité de Sparte. La place qu’elles occupent les amènent à être dévalorisées par les autres cités du monde grec quant à leur importance et leur rôle pour Lacédémone. Le sport à Sparte permet donc de former des soldats d’élites tout en solidifiant le devoir des femmes de le pratiquer. S’y ajoute le culte du corps ainsi qu’une pratique liée à la religion au sein de la société lacédémonienne. Cela consolide le sport comme élément clé de la cité spartiate. 


Notes* :

  1. Lycurgue : Né vers le début du VIIIe siècle, Lycurgue est un législateur de la cité de Sparte à l’origine de la Grande Rhêtra, la constitution fondatrice de la société spartiate. Ses réformes abordent  la redistribution des terres, l’éducation militaire des jeunes Spartiates et la création d’une assemblée d’hommes anciens appelée Gerousia. Cependant, les historiens débattent encore aujourd’hui quant à son existence, le considérant parfois comme un mythe. 
  2. Les compétitions sportives panhelléniques sont des fêtes à caractère religieux  qui réunissent des athlètes de toute la Grèce antique dans des épreuves sportives et artistiques. Les principaux Jeux Panhelléniques comprenaient les Jeux Olympiques Anciens à Olympie, les Jeux Pythiques à Delphes, les Jeux Néméens à Némée et les Jeux Isthmiques à l’isthme de Corinthe. Ces jeux étaient organisés en l’honneur de différentes divinités grecques telles qu’Apollon ou Zeus et étaient des événements majeurs dans la vie sociale et culturelle de la Grèce antique.
  3. Pédérastie : Pratique sociale impliquant une relation d’amour ou de désir entre un homme plus âgé, appelé l’éraste, et un adolescent ou un jeune homme, appelé l’éromène. Cette relation n’était pas seulement de nature sexuelle, mais inclut souvent des éléments d’éducation et de mentorat, où l’éraste agissait comme un guide pour le jeune homme dans différents aspects de la vie, y compris l’éducation, la formation militaire et la culture. 
  4. Gynécocratie : La gynécocratie est un système politique ou social dans lequel les femmes occupent une position dominante ou exercent un pouvoir prépondérant. À Sparte, les femmes bénéficiaient d’une relative autonomie et d’une liberté plus grande. De plus, en raison des absences fréquentes des hommes pour les campagnes militaires, les femmes pouvaient jouer un rôle plus actif dans la gestion des biens familiaux et dans la prise de décisions domestiques participant à cette théorie  d’une gynécocratie à Sparte.

Étudiants :

  • L2 : Mathis Charrié – Talia Kosmidrowicz
  • L1 : Tao Dando – Arthur Magnaval